Critique | Musique

Sortie du nouvel album de Lana Del Rey: l’Américaine n’en fait qu’à sa tête (et elle a bien raison)

4 / 5
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Album - Did You Know That There's a Tunnel Under Ocean Blvd ?

Artiste - Lana Del Rey

Genre - AMERICANA

Label - Universal

Critique - L.H.

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur son nouvel album, Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd ?, Lana Del Rey prouve une nouvelle fois qu’elle n’est pas une star comme les autres. Avec des longueurs, mais en peaufinant et personnalisant un crooning et un songwriting au charisme sidérant

Interrogée récemment par Billie Eilish, pour le compte du magazine Interview, Lana Del Rey rigolait : « Si jamais quelqu’un veut apprendre comment traverser un tempête et comprendre que tout finit par passer, je peux lui donner quelques cours, pas de souci. » De fait, depuis qu’elle est apparue à la faveur de l’iconique Video Games, l’Américaine a rarement fait l’économie d’une controverse. Qu’elle soit « politique » (ses commentaires sur le féminisme, l’appropriation culturelle) ou purement musicale – il a fallu prouver que celle qui est née Elizabeth Grant n’était pas qu’un produit monté de toutes pièces, un artifice post-vintage.

Depuis Norman Fucking Rockwell !, les choses ont cependant changé. Dissipant les derniers malentendus – à moins que Del Rey n’ait simplement enfin trouvé le meilleur moyen d’exprimer ses ambiguités? -, l’album publié en 2019 a permis à l’autrice-compositrice de changer définitivement de dimension. Celle-ci n’incarne désormais plus seulement une neo-vamp hollywoodienne, trempant sa plume dans des ambiances de film noir fifties. Elle est entrée définitivement dans le cercle des auteurs majeurs du Great American Songbook, ajustant ses gimmicks rétromaniaques et autres filtres technicolor, pour mieux dépeindre la mélancolie lancinante d’un mythe américain réduit en lambeaux.

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Plus que jamais, Lana Del Rey est ainsi devenue cette star singulière, à la fois en décalage par rapport à l’époque et célébrée par ses contemporains. Une icône post-moderne dont l’Instagram reste « privé » et les vidéos TikTok publiées sur un compte « familial ». Une crooneuse pop s’acharnant à sortir des albums, dépourvus de tubes évidents. Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd ? ne fait pas exception. Avec 16 titres, s’étalant sur près de 80 minutes, ce neuvième album est une nouvelle épopée vénéneuse, qui ne ressemble à rien d’autre dans le paysage musical actuel.   

 

Princesse clivante

Publié le jour de la Saint-Valentin, le single A&W dépassé ainsi allègrement les 7 minutes. Il permet à Del Rey de creuser un peu plus son personnage d’amoureuse délaissée, victime consentante de la misogynie ambiante. « This is the experience of being an American whore », rumine-t-elle. Elle peut à la fois se rebeller – « Look at the length of my hair/and my face, the shap of my body/Do you really think I give a damn? » – et ajouter plus loin : « I’m a princess/I’m divisive »… Dans le même entretien avec Billie Eilish, la chanteuse revenait encore sur sa première interview avec Rolling Stone, au cours de laquelle le journaliste lui demandait pourquoi elle utilisait le terme « girl » dans ses chansons, alors qu’elle approchait les 30 ans… « On ne poserait plus ce genre de questions, l’époque a changé », explique-t-elle. Aujourd’hui âgée de 37 ans, Lana Del Rey pose donc en couettes, la moue toujours aussi boudeuse.  

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Produit à nouveau par Jack Antonoff, Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd ? poursuit l’exploration des grands archétypes musicaux américains – le classicisme seventies de Sweet, la folk-country orchestrale de Let The Light In avec Father John Misty. Cette fois, les paysages semblent cependant plus intimes. Pour ouvrir l’album, Lana Del Rey chante ainsi The Grants – son nom de famille -, évoquant le souvenir de ses proches. Celle qui déclara un jour « vouloir être morte », chante même désormais : « It’s a beautiful life/Remember that too for me »

Une fêlure dans chaque chose

Sur Kitsungi, terme désignant la méthode japonaise de restauration des céramiques, laissant les réparations visibles, Del Rey célèbre même sa résilience, citant le célèbre aphorisme de Leonard Cohen : « That’s how the light gets in ». Elle le fait de sa voix traînante, seulement accompagnée d’un piano (et d’une discrète batterie). Sur Fingertips, troublante réflexion sur la maternité, son charisme est encore plus impressionnant. Il faut l’entendre se balader en toute liberté, dessinant la mélodie en direct, pour finir par ruminer : « It’s a shame that we die »

Aux grandes fresques américaines, Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd ? préfère mettre l’accent sur des paysages plus intimes. Il est surtout la preuve que Lana Del Rey peut aujourd’hui se permettre à peu près tout. Comme insérer en interlude un prêche de Judah Smith, prêtre-influenceur prisé des stars de Hollywood, ou « écrire une simple chanson pour un ami » – Margaret, dédiée à la femme de Jack Antonoff. Ou encore multiplier les auto-références. Sur Peppers, notamment, elle réintroduit par exemple des éléments rap, déjà testés au début de sa carrière, tandis que le morceau de clôture, Taco Truck x VB, intègre une partie de la démo du monumental Venice Bitch. Et tant pis si, dans ce cas-ci, les deux tentatives tombent à plat. Elles sont moins une preuve de complaisance que l’aboutissement d’une démarche : celle qui consiste à gratter le vernis de la culture pop US dont elle est devenue désormais elle-même une icône…

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