Sortie de route, track #6: White (Hotel) Riot

Gonzo éthylique, Serge Coosemans chronique chaque lundi la nuit de 96 heures qui précède le début de semaine. Cultures noctambules, aventures imbibées, rencontres déglinguées, observations variées, win, lose et sortie de route assurées.

Devant moi, il y a la plus belle fille sinon du monde du moins de l’industrie chocolatière bruxelloise, derrière elle son futur ex qui râle de notre belle et cosmique osmose et au-delà, c’est l’apocalypse. Nous sommes dans la cour du White Hotel, ce vendredi 4 novembre, la soirée Plastic. Il y a des mecs qui balancent des oreillers éventrés par les fenêtres, il pleut des plumes. Des bouteilles de bière aussi, ce qui est déjà nettement plus funky. Derrière moi, une dizaine de types dansent sur une verrière qui menace de craquer. Il est tôt, même pas vingt-trois heures et il souffle déjà sur les lieux une véritable hystérie vandale. Génération Vice Magazine, des gamins à l’ouest qui se branlent de tout, sautent sur les lits jusqu’à les démolir, défoncent les portes fermées à coups de pieds, arrachent des lustres. A peine deux heures plus tard, leurs conneries vont totalement couler la fête mais sur le moment, personne ne semble vraiment prendre ombrage de leurs singeries. Il y a une ambiance permissive de fin du monde assez incroyable, une anarchie éthylique totale. Un sentiment d’irréalité, aussi, comme si on avait tous été aspirés dans un clip des Beastie Boys et que l’on fêtait notre dernier jour sur Terre alors que la Planète Nibiru est déjà visible à l’oeil nu dans le ciel et continue de foncer vers nous.

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On se retrouve dans des chambres blindées de pouffes qui couinent et de tocards à l’ixelloise, des brochettes de hipsters boudinés moustachus genre public du Tigre, et on ne sait pas qui montre quoi, qui fait quoi, où est le bar, qui est le DJ. D’ailleurs, on danse sur Just an Illusion d’Imagination et on aime ça, c’est dire la décadence. Dans une autre chambre, il y a une piste de skate, c’est complètement délirant et sans doute même suicidaire, sous un plafond à trois mètres cinquante. On ne comprend rien et on s’en fout car outre les pouffes et les tocards, il y a aussi un gros contingent de beaux et énormes sourires, de personnes on va dire « normales » même si, elles aussi, carrément perchées. La banane totale, 23 heures 20, et cette soirée est déjà bien partie pour être l’une des meilleures de l’année, si pas de la décennie. Et c’est là que ça se barre en couille. Mais alors, complètement.

Journaliste mais pas téméraire, au premier flic, au premier chien, on a fermé la porte de la pièce où l’on se trouvait, bien heureusement un bar. A clé. Et tandis que ça hurlait, que ça aboyait et que ça évacuait les 10 étages, 1000 personnes à vue de pif, avec tout le tact, l’écoute de qualité et la politesse qui font toujours la belle réputation de notre police en intervention, on a passé un très chouette moment à papoter tranquillou, en vidant une boutanche entamée qui n’avait plus de raison de se monnayer. Et puis, une demi-heure plus tard, 1 heure 30 du matin, on est sagement sortis de l’hôtel sans se faire gueuler dessus, sans risque de finir au poste ou avec un gnon sur le nez, sans même que les flics nous regardent. We own the night mais là non plus, on n’a rien capté. Qui? Pourquoi? Comment? Ouate le phoque? Bistro des Restos? Touche d’Y Voir?

Le lendemain, sur Facebook, j’ai eu comme l’impression de lire un reportage de guerre. Il y a des appels au lynchage des organisateurs, le bullshit décérébré habituel, sans doute signé par les mêmes branleurs de mammouths qui ont tout ruiné. On parle d’une foule énorme massée sur l’Avenue Louise, de plus en plus incontrôlable. De mecs qui escaladaient la façade voisine pour essayer d’atteindre le premier étage et entrer par les fenêtres. De bagarres dans la file et d’un début d’émeute, l’oeuvre de quelques lourdauds ivres et violents recalés à l’entrée et/ou furieux d’avoir acheté leurs places en prévente et de devoir attendre que cela se vide un peu pour accéder à la fête. De bagnoles amochées. D’organisateurs et de personnel complètement dépassés, effrayés même. D’une opé flicarde en deux temps: dompter la rue et puis tout fermer. On n’a rien vu de tout ça. Au même moment, il était pour nous surtout question de laisser tomber la bière pour passer au rhum et, quand en jetant un oeil par la fenêtre on s’est rendu compte de la très massive présence policière, on a plutôt pensé que Polbru venait de retrouver la mobylette du Mollah Omar.

Trois heures, ça a duré. Trois heures totalement dingues. Un petit entraînement pour l’insurrection qui vient, quand on regardera s’écrouler la société, se faire pendre aux réverbères les technocrates du FMI par de jeunes nihilistes explosés au speed. Place Tahrir en janvier, White Hotel en novembre, fallait en être pour comprendre l’époque, en humer le chaos. Final philanthrope: pensons tout de même aussi aux organisateurs, qui montent la meilleure soirée du monde, se prennent dans les dents un plan foirax à la Gengis Khan et ont aujourd’hui un hôtel à reconstruire, une réputation de Canigou à démentir et tout un tas de cinglés s’estimant volés qui menacent de les exploser. Ces gars là n’ont certes sans doute pas planifié les choses comme ils l’auraient dû (personnel de sécurité invisible. Surcapacité évidente…) mais ce qui leur est tombé dessus, c’était tout simplement de la PUTAIN DE BARBARIE, du délire médiéval, la connerie humaine dans toute sa misérable splendeur. Bien, quoi.

Serge Coosemans

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