Soko: « J’ai une soif de créativité qui ne peut être assouvie que par mon propre travail »

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Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Son incarnation de Loïe Fuller dans La Danseuse, le nouveau film de Stéphanie Di Giusto, marque le sommet provisoire de la carrière de Soko. Une jeune artiste autodidacte qui privilégie l’instant.

Elle s’allonge à demi sur le canapé, à la fois détendue et comme prête à bondir, telle ce chat dont elle a fait son emblème. Manches relevées tenues par des épingles de nourrice façon punk, ongles vernis de bleu, ceinturon à tête de lion et creepers aux pieds, elle fixe l’interlocuteur de ses grands yeux curieux. Soko se livre sans détour. Elle semble attendre la question suivante avec gourmandise. Et quand cette question lui plaît, elle ouvre un large sourire et appuie sa réponse d’une gestuelle expressive en diable. Rien d’étonnant pour une actrice qui, de manière exemplaire dans l’intense La Danseuse, incarne plus qu’elle n’interprète… « Avec tout le travail que je devais accomplir sur le corps, je n’avais pas le choix! », s’exclame Soko en riant. « Mon corps devait devenir le corps de la personne que j’interprétais, poursuit-elle, au prix d’un long et difficile entraînement physique, quotidien. J’ai pu vraiment bien comprendre Loïe car j’ai vécu dans mon corps ce qu’elle vivait dans le sien. Même si un siècle nous sépare… Même ce qu’elle devait manger, je peux le deviner, car on ne peut pas manger n’importe quoi avant un entraînement comme le sien, comme le mien. J’ai ressenti ce qu’elle devait ressentir quand lui venait un vertige à force de tourner sur elle-même, quand elle se sentait en danger, émotionnel ou physique. »

La vie comme le film

On voit dans La Danseuse ce que, normalement, on ne voit pas au cinéma: le travail de l’acteur, son entraînement physique. Parce que ce sont aussi ceux du personnage. « Je sais que d’ordinaire il faut cacher l’effort, sauf que c’est beau, l’effort! Rien n’est acquis, tout se travaille. C’est tellement beau de voir les gens à la tâche, arriver à dompter leur craft » Les mots viennent parfois en anglais à celle qui vit désormais à Los Angeles. Cet artisanat qu’elle admire et pratique est loin de toute vision éthérée d’une création qui viendrait de l’inspiration. « Loïe n’a pas été frappée par la foudre du génie, commente l’actrice, son geste vient d’une maladresse, d’une espèce d’instinct de survie. »

Tout est parti d’une folle envie de travailler pour Stéphanie Di Giusto, la réalisatrice du film. « J’aurais fait n’importe quoi avec elle! Je connaissais son travail, je l’aimais beaucoup en tant que personne. Elle m’avait dit qu’elle m’écrivait un film, ça me suffisait. Le sujet, le personnage importaient peu. J’avais confiance en elle. Nous avons la même sensibilité, nous aimons les mêmes films, nous sommes touchées par les mêmes choses, par les mêmes personnes. Je savais que quoi qu’elle me propose, ça allait être fou, complètement barré. Je la savais entière et jusqu’au-boutiste. La seule chose que je ne savais pas, c’est que ça allait prendre six ans… Je suis tellement fière d’elle! Comme Loïe Fuller, elle a dû se battre, surmonter tant d’obstacles et de trahisons!. Elle vivait ce que son film allait raconter… »

L’enthousiasme de Soko témoigne de l’élan qu’a constitué son travail avec Di Giusto. « Elle me nourrissait au compte-gouttes, de livres, de photos, de films, d’informations sur un personnage dont je n’avais même pas entendu parler auparavant« , se souvient une interprète qui s’est dit par moments qu’elle n’y arriverait jamais, la danse très particulière de Fuller étant tout sauf aisée à reproduire, mais qui a puisé la force nécessaire dans son « dévouement intense, le désir d’y arriver, d’être la meilleure, pas pour les autres mais pour moi-même, parce qu’on ne peut pas dire que quelque chose est trop dur. On peut tout apprendre… »

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No past, no future

Soko se trouve des points communs avec son personnage. « Loïe a découvert sa danse à 25 ans, moi j’ai commencé mes entraînements de danse à 29. Elle avait toujours voulu être actrice, mais s’était rendu compte que ça ne marcherait pas. Et elle a décidé de devenir danseuse. C’est un peu comme ça dans ma vie aussi. Je suis partie à Paris à 16 ans pour y être actrice, et puis à 19 ans j’en ai eu marre d’essayer et j’ai commencé la musique, en apprenant tout toute seule dans mon coin… » Deux albums plus tard, et avec au cinéma quelques rôle marquants dans Bye Bye Blondie et Augustine, l’autodidacte a fait ses preuves en toute liberté. « J’ai une soif de créativité qui ne peut être assouvie que par mon propre travail, clame-t-elle avec détermination, je ne peux pas me contenter d’exister à travers le désir des autres, qui me choisissent pour leurs films, pour raconter des histoires qui m’intéressent… ou pas. Ma satisfaction passe par le fait de créer moi-même, de raconter mes propres histoires, comme je le fais en ce moment avec le nouvel album sur lequel je travaille. »

Soko connaît le prix de la création, elle qui s’avoue « un peu hyperactive« , éprouvant des difficultés à « secentrer« . « Quand je danse devant la caméra de Stéphanie, ou quand je suis sur scène en concert, alors je m’oublie un peu, ou même beaucoup, poursuit-elle. Il n’y a plus de passé, il n’y a pas de futur, il n’y a que le moment présent. Parce qu’il y a le risque. J’ai la sensation que ce que je suis moi, dans ces moments-là, n’a jamais existé, ne s’incarne qu’à travers cette force qui passe à travers moi quand j’arrive à m’oublier. Au cinéma, dans un film comme La Danseuse, j’arrive à m’effacer. Pendant le tournage, je ne vois plus mes amis, je n’écris plus, je reste en pyjama quand je ne suis pas sur le plateau… » Sa foi dans l’instant, la magie du moment vécu, lui fait regretter « cette manie qu’ont aujourd’hui les gens de tout photographier, de prendre des selfies tout le temps, pour capturer le moment, pour prouver qu’il a existé… L’essentiel, l’élément humain, on ne le capture pas. On le vit, c’est tout et c’est merveilleux! »

Son envie de faire du cinéma, Soko l’a ressentie pour la première fois en voyant à la télévision… La Boum! Oui, le film à succès de Claude Pinoteau, sorti en 1980 et où Sophie Marceau se révélait en adolescente vivant ses premiers émois romantiques. « J’étais complètement amoureuse de Sophie Marceau, j’adorais sa manière de s’habiller, j’adorais tous ses potes, je voulais avoir la même vie qu’elle… Mon premier instinct a été de me dire que si je faisais du cinéma comme elle, je pourrais avoir des copains, être invitée à des boums, et embrasser des garçons dans des films! La chanson du film, Dreams are MyReality(1), je la chantais tout le temps. C’est un peu à cause d’elle que j’ai intitulé mon deuxième album My Dreams Dictate My Reality »

Soko sourit largement à l’évocation de ces souvenirs d’enfance. L’énergie débordante qu’elle canalise sur scène, en studio et sur les plateaux de cinéma (elle développe un projet personnel de film encore secret…), la toute jeune trentenaire la brûle avec une ferveur communicative. Elle ne se prend pas la tête et affiche la modestie de quelqu’un qui « sait qu’il y a toujours moyen de faire mieux, et qu’en travaillant on peut y parvenir« . « Le premier jour sur un plateau, j’ai toujours l’impression d’être nulle et de ne pas pouvoir y arriver, de ne pas être une actrice et de faire perdre des millions d’euros à des tas de gens… Mais ce sentiment de mise en danger me motive à travailler, à tout donner« , confie celle que les aléas du métier ne semblent pas troubler. Ainsi quand la vie imite le cinéma et qu’à Cannes, où est présenté La Danseuse, les médias n’en ont que pour Lily-Rose Depp, interprète dans le film d’Isadora Duncan, l’amie puis rivale qui supplante Loïe Fuller… « En plus c’est un peu moi qui l’ai choisie pour le film car on était copines, avant. Je l’ai suggérée quand l’actrice initialement choisie s’est décommandée… Il fallait retrouver, très vite, une comédienne de 16 ans très charismatique et j’ai dit que j’en connaissais une… » Et Soko d’éclater de rire avant de conclure: « Je ne vais pas me plaindre. J’étais logée dans un hôtel 5 étoiles, alors que quand je pars en tournée aux Etats-Unis avec mon groupe, on dort à six dans une chambre de motel, parce qu’il n’y a pas d’argent, parce que j’en perds à chaque concert. Alors en promo pour le film, les 5 étoiles, j’en profite, même si je me dis que je ne le mérite pas… »

(1) chantée par Richard Sanderson.

3 questions à… Stéphanie Di Giusto

Soko:
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Sortie de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs à Paris, elle s’est fait un nom dans la pub et dans la musique, comme photographe puis réalisatrice de clips (pour Camille, Brigitte Fontaine et Sliimy, entre autres). Collaboratrice de la styliste Vanessa Bruno, elle signe avec La Danseuse ses débuts de cinéaste.

Votre premier film a des allures de manifeste artistique…

Loïe Fuller m’a passionnée. Il me fallait lui rendre justice, j’étais comme en mission… Elle m’a aussi totalement désinhibée, ôté tous les doutes que je pouvais avoir quant au fait de m’attaquer à un premier film. Rien n’a été facile pour Loïe, son art était un combat, elle a été au bout, quitte à être trahie, volée même… Je crois que le beau peut toucher tout le monde. Et je crois dans les vertus de la difficulté. Je crois que la création vient de la contrainte. J’aime ça, me battre! Il aura fallu six ans pour que le film existe, mais jamais le désir n’a faibli. Peut-être parce que j’étais inconsciente, certainement parce que je me sentais « portée », j’avais ce film dans mon ventre, je n’avais pas le choix… On ne peut pas imaginer la puissance de la première fois!

Le film dégage une forte énergie, il est très physique…

C’est un film d’action sur un auteur! Un film sur le corps… J’ai filmé Soko plus comme une boxeuse que comme une danseuse… Donner à ressentir! Le cinéma, la mise en scène, ça sert à ça! Quand je rencontre le public et que des gens me disent qu’ils « ont frissonné », c’est le plus beau compliment du monde. Loïe nous transporte. J’ai voulu, pour elle, transporter le spectateur.

Pourquoi avoir choisi Benoît Debie comme directeur photo?

Je n’avais que des intégristes du beau dans mon équipe! (rires) Je voulais la modernité que Benoît met dans son travail. Cette exigence qu’il a de se servir de la lumière existante. On n’a utilisé que des décors naturels, où la lumière était déjà belle, en soi. Benoît aimait tous ces lieux. Il pouvait ajouter une bougie, éclairer un peu pour avoir le regard des acteurs -mon obsession-, mais l’essentiel pour lui comme pour moi était de capter la beauté qui est… Je pense par ailleurs qu’il a aimé explorer une féminité, une sensualité, qu’il n’avait pas encore eu l’occasion d’épouser d’aussi près.

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