RETOUR EN BEAUTÉ POUR LE JEUNE PRODIGE DE LA BD AMÉRICAINE, AUTEUR D’UNE FABLE LYSERGIQUE GRAPHIQUEMENT ÉPOUSTOUFLANTE SUR LA MORT.

Doctors

DE DASH SHAW, ÉDITIONS ÇÀ ET LÀ, 96 PAGES.

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Si vous êtes allergique aux albums qui secouent joyeusement le pommier de la bande dessinée « de papa » (Tintin, Astérix et compagnie), passez votre chemin. Fer de lance de la BD indépendante américaine, Dash Shaw fait partie de ces artistes-artificiers qui renouvellent en profondeur le genre en en dynamitant les codes narratifs et formels. Au récit linéaire bien balisé, aux cases soigneusement rangées et à la palette chromatique équilibrée, le trentenaire préfère les escapades introspectives, les digressions impromptues, les télescopages de formats et les explosions de couleurs. Le tout pour des décoctions graphiques aux effets narcoleptiques puissants.

Dans des registres aussi variés que la chronique familiale (Bottomless Belly Button) ou le campus novel (BodyWorld), Shaw a réussi l’alchimie entre délires visuels et forage dans les eaux profondes de l’inconscient. Une démarche arty (ce n’est pas pour rien que le groupe islandais névrotique Sigur Ros a fait appel à son talent pour le clip de Seraph) qui atteignait toutefois ses limites dans son dernier album, New School. Le dessinateur y avait la main un peu lourde côté effets spéciaux, noyant le fil de l’intrigue sous un déluge abstrait un brin indigeste. Il a visiblement tiré les leçons de cette expérience puisque son nouveau comic, Doctors, revient à une plus grande sobriété. Toute relative heureusement. Situé à l’embouchure du fantastique, de la science-fiction et du drame intimiste, ce récit à tiroirs houleux nous projette dans un futur proche où un médecin aurait inventé une machine révolutionnaire, le Charon, capable d’envoyer un être vivant dans les rêves post-mortem d’un défunt pour le ramener à la vie. Illégaux et risqués (le mort croit toujours être en vie dans ce sas onirique qui ne dure qu’un temps), les services du toubib et de son équipe (pour l’essentiel sa fille Tammy et un jeune psy, William) sont très demandés par des familles friquées qui veulent « récupérer » leur proche disparu pour qu’il mette de l’ordre dans ses affaires…

Mort à crédit

Madame Bell, riche héritière, voit ainsi son séjour dans l’au-delà écourté suite à l’apparition de Tammy, qui a revêtu les traits de sa fille pour gagner sa confiance et la convaincre de faire marche arrière. Problème: le retour à la vie est rarement plaisant. Déboussolés et confus, les morts-vivants s’enfoncent rapidement dans la déprime. La revenante Madame Bell n’est pas la seule à être tourmentée. Secouée émotionnellement par ses incursions, Tammy s’interroge de plus en plus sur le sens de leur démarche. Les points de vue et les histoires personnelles des différents protagonistes se croisent, se superposent, se télescopent, tricotant un maillage existentiel toxique.

Fidèle à son credo esthétique, Shaw éclabousse chaque planche d’une couleur de fond différente. Un procédé hypnotique qui renforce la dimension psychédélique et anxiogène de ce trip évoquant, par ses allers-retours dans les différents niveaux de conscience, le Inception de Nolan -la Fox a d’ailleurs acquis les droits-, mais vu à travers les yeux d’une.. Agnès Varda, la mise en abyme se doublant d’un drame intimiste à plusieurs voix tapi sous la parabole scientiste. Plus belle la vie!

LAURENT RAPHAËL

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