Nicolas Bogaerts Journaliste

Le true crime a trouvé dans le monde des séries un lieu idéal pour s’épanouir. Elles y racontent quelque chose de notre relation à la justice, au crime, à ses représentations à la frontière de la fascination.

Certes, en matière de true crime, les séries documentaires se taillent la part du lion sur les plateformes de streaming. Mais la fiction basée sur des faits réels n’est pas en reste: The Serpent, Dahmer, Mindhunter, The Thing About Pam, American Crime Story, Under the Banner of Heaven Au long des cinq dernières années, elles ont chacune à leur tour décliné de grandes affaires criminelles, impliquant souvent des tueurs en série, dans des registres divers. Leur exploration patiente, parfois cruelle de la mécanique criminelle, et des rouages complexes du monde judiciaire et carcéral, offre un champ idéal à la fiction. Professeur en Droit pénal et Criminologie à l’UCLouvain, Marie-Sophie Devresse, spécialiste des relations entre crime, justice et leurs représentations dans la culture, fait remonter l’origine de ce succès à un “CSI effect”. Elle le définit comme “la manière dont la série Les Experts (CSI en VO)et ses déclinaisons ont, depuis leur apparition au début des années 2000, multiplié l’intérêt de la population pour la criminologie, la criminalistique, les affaires de justice pénale”.

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Certaines de ces séries ont permis d’innover dans les formats, à l’image de Mindhunter (Netflix), adaptée du livre de l’ancien agent spécial du FBI John E. Douglas, véritable plongée dans les âmes malades des serial killers les plus fameux, renvoyant immanquablement aux maux de l’Amérique. De même, American Crime Story (produite par Ryan Murphy), par son traitement anthologique, qui consacrait ses saisons respectivement à l’affaire O.J. Simpson et au meurtre de Gianni Versace, a brillamment questionné les démons de l’Amérique médiatique. D’autres plongent, sinon dans le sensationnalisme, dans une fascination morbide, aux yeux de beaucoup, pour les criminels, au détriment des victimes et de la qualité du récit. C’est le cas de The Serpent, qui glamourisait à outrance le tueur en série Charles Sobhraj et, plus récemment Dahmer, qui semblait se délecter d’une homophobie morbide, gore et voyeuriste. Qu’à cela ne tienne, le genre n’est pas près de décliner et connaît même ses premières redondances: le cas de Candy Montgomery, femme et mère idéale de l’Amérique banlieusarde des années Reagan qui a violemment tué son amie Betty Gore, fait l’objet de deux adaptations: Candy (Disney+) avec Jessica Biel dans le rôle principal, et, prochainement Love and Death (HBO, diffusion en avril), avec Elizabeth Olsen.

Mindhunter © © DR

Derrière la fascination du public pour ces récits se logent des ressorts collectifs et intimes: le true crime actionne la capacité du spectateur à se projeter dans une situation atypique pour vivre des sensations qui le sont également. D’après Marie-Sophie Devresse, à travers le mystérieux ou la sensation forte, “les spectateurs vont chercher à faire dialoguer deux choses qui sont souvent perçues comme antagonistes: l’émotion et la rationalité. Ces formats viennent littéralement nous cueillir sur ce terrain-là, en nous informant sur quelque chose qu’on ne connaît pas mais pour lequel nous développons une grande faculté de projection.” Une manière opérante de se réapproprier, en lui donnant un sens, l’horrifique, l’ahurissant, l’inexplicable pour tenter de le rendre supportable. En dénouant la complexité des affaires criminelles, de leurs auteurs, de la mécanique de l’enquête policière, ses rebondissements éventuels, les séries criminelles renseignent sur l’état de notre société. Et donnent un mobile au crime et un visage, un nom à ses nombreuses victimes.

Trois séries pour frémir de plaisir

Paris Police 1905 (Canal+)

Sortie en décembre dernier sur Canal, encore inédite chez nous, la suite de Paris Police 1900, toujours sous la direction de Fabien Nury (Guyane), se nourrit de cas authentiques pour reconstituer un Paris de la Belle Époque étouffé de culpabilité. La première saison avait abordé l’antisémitisme, celle-ci cueille l’homophobie par la racine en retraçant une série de crimes morbides perpétrés au bois de Boulogne. Quand le true crime se fait historique, éthique et gothique à la fois.

Mindhunter (Netflix)

Cette brillante série Netflix produite par David Fincher montre comment les agents du FBI Holden Ford et Bill Tench (inspirés par les vrais officiers John E. Douglas et Mark Olshaker) avaient patiemment mis au point le cadre théorique visant à cerner, classifier et comprendre les serial killers. À ce travail d’orfèvre sur la matière criminelle, où l’on croise Edmund Kemper et Charles Manson, la série injecte une dose de réflexivité, en auscultant les malaises intestins des agents pionniers de la BSU (Behavioral Science Unit).

Candy (Disney+)

S’appuyant sur les prestations sidérantes de Jessica Biel et de Melanie Lynskey, toutes deux incroyablement habitées, la minisérie épouse un parti pris formel efficace en retraçant une affaire qui a secoué l’Amérique. Elle laisse surgir la dimension horrifique d’un quotidien domestique qui coince les femmes dans leurs assignations mortifères. Une condamnation radicale de l’american way of life imposée par les années 80 hyperconsuméristes et leurs modèles mensongers.

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