Rombouts & Watts: bonsoir tristesse

La rencontre entre un brillant chanteur originaire du Montana (à g.) et un contrebassiste-producteur anversois (à dr.) pour un album organique et brise-coeur. © PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Parce qu’un de ses amis s’est ôté la vie, l’Anversois Nicolas Rombouts a invité l’Américano-Bruxellois Matt Watts dans un grand album partisan de douloureuses beautés.

Les sept chansons de Muted Songs for Piano viennent de la nuit. Celle que le musicien et dessinateur Loloman (alias Ward Black), 35 ans, s’est infligée définitivement un soir d’octobre 2020. Par pendaison. Dans les lourds jours qui suivent, face au choc, le contrebassiste Nicolas Rombouts (Dez Mona, Ottla) et son camarade vocaliste Matt Watts trouvent une réponse dans la musique comme hommage et souvenir. Pour un résultat digital -le vinyle arrive à la mi-juillet- d’un peu moins de 30 minutes sépulcrales, d’émotions en plaies ouvertes. Quelque part dans les zones d’inconfortable beauté rappelant le mélo incandescent d’Anohni Hegarty, l’acoustique cosmique de Paul Simon, un Mercury Rev unplugged ou encore les cataplasmes discographiques du Brian Eno seventies. À la Before & After Science. Cela s’écoute d’une traite, plutôt après le crépuscule (lire ci-dessous).

Un vendredi de juin, dans un jardin de fin d’après-midi arrosé par la causerie des oiseaux, on parle au quadra Nicolas, grand et mince, lunettes extra-larges Cazal (1), casquette ricaine, pilosité et sourires abondants. De taille plus modeste, Matt Watts, cheveux et costards noirs, s’avère pondéré mais bavard. Cet Américain né à Philadelphie en 1987, élevé dans le spectaculaire Montana, a déjà un sacré parcours. Fils d’un prédicateur qui est aussi militaire, il passe du temps entre les garnisons et la prière. Il quitte l’école à seize ans pour tourner avec un groupe rock, rencontre une fille belge au Montana, l’épouse et arrive dans nos régions en 2007, « après des séjours en France et à Londres« . « J’ai été secoué et séduit par la multiculturalité de la Belgique, la dimension des villes. Où j’ai survécu, financièrement, en travaillant un peu dans les bars -pas l’idéal pour ma consommation d’alcool- et puis, carrément, via une année à bosser chez Carrefour. J’ai commencé à gagner un peu d’argent en étant sans cesse sur la route, à jouer. Ça n’a pas été si difficile parce que j’ai l’impression de n’avoir jamais eu aucun lieu d’appartenance et que la Belgique m’a, au final, énergisé. » À Anvers d’abord, où il se connecte avec les Rudy Trouvé et Stef Kamil Carlens, et puis à Bruxelles, où il vit depuis cinq ans. La rencontre avec Rombouts se fait en 2016 lors d’une session d’enregistrement avec Carlens -avec lequel il coécrit des chansons- la suite se conjuguant au naturel. Ils concrétisent une première approche au Studio Caporal de Nicolas, où celui-ci est séduit par le « sens de la narration à la Bob Dylan de Matt, l’art de raconter des histoires, leur simplicité et la confiance qu’il a dans la façon d’amener les morceaux ». Matt: « La première fois que l’on a véritablement travaillé ensemble, c’est lorsque Nicolas a produit en 2017 mon album How Different It Was When You Were There, le suivant –Queens – l’impliquant aussi, ainsi que Carlens, dans la réalisation du disque. Tout cela vibrait. »

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Yin Rombouts yang Watts

Passent aussi des épisodes compliqués de dysfonctionnement comme celui de « trop de drogues » où l’Américain se trouve en 2015 en rehab’, histoire de se retaper le mental et le reste. Symptôme qu’entre Nicolas et Matt se construit une relation complémentaire, truc aussi humain que musical, dont les contrastes produisent des électricités fraternelles. Même dépouillées, voire acoustiques. Cette efficace mécanique des contraires tient aussi dans le jeu des instruments: Nicolas et sa contrebasse ancrent les musiques en certitudes terriennes. Ça vibre, ça gronde, ça rassure autant que ça balance dans le fertile no man’s land rock-funky-jazz. Alors que la voix et le piano -parfois la guitare- de Matt ont l’oeil et l’oreille vers les étoiles. Entre le kid du Montana et la grande tige anversoise -qui travaille aussi pour la danse et le théâtre comme ingé son-compositeur-producteur- l’improbable chimie va aboutir à l’album pour l’ami perdu. Nicolas: « Loloman avait ce côté sombre, qui dominait sa vie, qui s’exprimait notamment dans les titres des cassettes qu’il enregistrait, mais je n’aurais jamais pensé qu’il se suiciderait. Je respecte son choix, même s’il est terrible. » Et puis là, Matt raconte qu’il a lui-même tenté à deux reprises d’en finir, emmené de justesse à l’hôpital. C’est donc peu dire que Muted Songs for Piano n’est pas une fiction ou un concept dérivé de fantasmes narratifs. Cela lui donne une force presque effrayante, comme un grand brûlé, ou un terrible accidenté de la route, qui reviendrait en vie. Pas intact mais ressuscité. La beauté sera donc vénéneuse ou ne sera pas. On glisse alors dans l’hiver 2020 et au second lockdown. La possible dépression de la part de Nicolas ou de Matt -qui vient de se séparer de sa femme belge-, tout cela s’est immergé dans Muted Songs for Piano. D’ores et déjà l’un des spleens majeurs de l’année.

(1) Créations de l’Autrichien Cari Zalloni (1937-2012), largement portées par la scène hip-hop US des années 80 et suivantes.

Nicolas Rombouts/Matt Watts -« Muted Songs for Piano »

Distribué par Starman Records. ****

Rombouts & Watts: bonsoir tristesse

L’album s’ouvre sur une sorte de corne de brume, signal d’un bateau qui s’éloigne. Puis viennent le piano en mineur dépouillé et les premières caresses de la contrebasse. L’un des deux instrus du voyage. Dès le second morceau, chanté, on comprend que cet adieu à l’ami suicidé est tout autant un miroir des propres vicissitudes des interprètes. En particulier celles de Matt, dont la voix, bien qu’extraordinairement touchante, évite tout pathos. Par exemple dans le brise-coeur absolu d’I Don’t Believe in Love. Tristesse sublimée. Les textes sont de la même eau intranquille, frôlés par une électronique fantomatique et la sensation que nos vies ne tiennent évidemment qu’à un fil. Avec un titre final (Loloman) prenant à mi-chemin l’allure de triomphales bacchanales électro: parfait pied de nez dansé à la mort.

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