Rivierenhof, Brosella…: le rock se met au vert

Domaine du Rivierenhof, Anvers © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Depuis le Summer of Love de 1967 au Golden Gate Park de San Francisco jusqu’aux récents concerts des Stones au Hyde Park londonien, le rock adore le vert. Y compris chez nous, au Brosella du parc d’Osseghem ou, pendant tout l’été, au délicieux domaine du Rivierenhof anversois.

Le 14 janvier 1967 se tient le premier Human Be-In, à San Francisco. A l’épicentre apoplexique de la contre-culture américaine et de ce qui s’annonce comme « L’été de l’amour ». Ce mélange haute octane de gourous pileux (ou pas, Timothy Leary), de défonce psychédélique, de conscientisation à perte de vue, d’Hell’s Angels coachant les enfants égarés (…), se tient au Golden Gate Park, 411 hectares d’un long rectangle boisé qui tire la langue jusqu’à l’Océan Pacifique. Pour rappel, contrairement à la prairie sauvage, le parc est un espace quadrillé, protégé et réglementé. En 1967, l’us et coutume rock n’est pas du tout aux rassemblements en stades ni aux cérémonies champêtres -Woodstock est encore loin- mais plutôt à la communion « nature urbaine ». Alors, les 20 à 30.000 personnes qui convolent ce jour-là vers le Golden Gate Park, libre d’accès, y trouvent la dose minimale de sensation organique et la bande-son ad hoc. Le rassemblement des tribus se fera dans les vagissements des Jefferson Airplane, Grateful Dead et autre Big Brother And The Holding Company de Janis Joplin traumatisant ad libitum les arbres centenaires. Aujourd’hui encore, ce premier événement culturalo-hippie suscite des émules collectives au même Golden Gate Park.

Verdure en ville

Le 5 juillet 1969, les Rolling Stones se produisent à Hyde Park, Londres, devant 250.000 fans amassés sur 142 hectares de pelouse anglaise. Fin 60’s, la Californie n’est encore qu’une luxueuse utopie: là, le groupe incarnant le tumulte rebelle-chic de l’époque est en ville. Venus présenter le nouveau guitariste Mick Taylor au public britannique, les Stones se retrouvent encombrés du tout récent cadavre de Brian Jones, viré du groupe le 8 juin 1969 et noyé le 3 juillet. Jagger récite un poème de Shelley et lâche des nuées de papillons (morts pour la plupart). Ce jour-là, les Stones enterrent leur première vie, insolente, incertaine et brillante, pour un second tronçon dominé par le corporatisme grandissant. Quarante-quatre ans plus tard, en ce mois de juillet 2013, les Stones rejouent à deux reprises au même Hyde Park: à la veille de ses 70 piges (…), Jagger y fait le cosmonaute -ou le gymnaste bulgare- devant deux fois 65.000 personnes, allégées pour l’occasion de 110 à 347 euros selon les privilèges du ticket. Un live témoin de la chose vient de sortir.

The Rolling Stones, 1969, Hyde Park, Londres
The Rolling Stones, 1969, Hyde Park, Londres

Vert dollar

Les 10 et 11 août 1996, Oasis se produit au nord de Londres, à Knebworth Park: 250.000 acheteurs de billets s’entassent pour voir Liam faire la statue fière d’elle-même. Seul Robbie Williams -trois nuits au même endroit en 2003- fracassera le record des frères Gallagher dans ce vaste domaine géré autour d’un manoir du XVe siècle. Depuis 1974, Queen, le Floyd, les Stones, Genesis, Clapton, McCartney, les Red Hot et d’autres paquebots du rock y fréquentent un parc dont la capacité d’accueil dépasse -de loin- celle de n’importe quel stade. Moralité: alors que le vert était le symbole de « respiration » et de « décibels gratos », le voilà devenu couleur dollar ultra consumériste. Au plus large, au plus profitable. Parfois, les arbres ne suffisent pas à calmer le jeu: en 1984, lors du second concert -gratuit- offert par Diana Ross à Central Park devant 200.000 New-Yorkais, des hordes de jeunes Blacks font la collecte forcée des chaînes en or et des sacs à main. Central Park s’en est remis et institue chaque été des concerts gratuits baptisés Summer Stage. Il y a deux saisons, Baloji s’y produit au milieu des constructions manhattaniennes rendues invisibles par la végétation. Effet rasséréné garanti. D’ailleurs, lorsqu’il est question en 2009 de fêter les 30 ans de Woodstock -finalement zappés-, l’organisateur Michael Lang a le projet d’installer le remake à Prospect Park. Ces 237 hectares implantés à Brooklyn fin XIXe par les concepteurs de Central Park l’auraient bien mérité: on y est allé, c’est superbe.

Queen, 1986, Knebworth Park, nord de Londres
Queen, 1986, Knebworth Park, nord de Londres

Verdure belge

Cet été, l’Ancienne Belgique se décentralise fin août via deux mini-festivals installés au Parc Royal de Bruxelles: lieu toujours exceptionnel qui accueille les cinq soirées de Boterhammen In Het Park, consacrées au répertoire flamand, libres d’accès comme les Feeërieën, cinq autres soirées placées sous le signe de l’intimité, jazz, pop et songwriting. Détails sur www.abconcerts.be. Autre zwanze capitale: le deuxième week-end de juillet 1977, le vieux Théâtre de Verdure du Parc d’Osseghem -à deux pas de l’Atomium- accueille la première édition du Brosella Folk. Qui, s’ornant d’une journée jazz supplémentaire quatre ans plus tard, devient le plus ancien festival verduré de Belgique, toujours en cours. Une large partie de son attrait tient dans le lieu, construit en 1932 et globalement délaissé depuis l’Expo de 1958: les vastes gradins, pouvant asseoir 3000 personnes, donnent l’impression d’être installés au coeur même de la verdure. Même sensation de bien-être au Théâtre de verdure namurois, plus vieux (1902) et plus grand (5000 places debout) que son équivalent bruxellois. Depuis 1985, il héberge le bien-nommé Verdur Rock, festival gratuit qui mixe concours pour groupes débutants et noms reconnus de la scène belgo-internationale. De Ghinzu à Murat. Le dernier raout a eu lieu le 29 juin et on ne peut que déplorer que l’endroit, enchanteur, soit à ce point sous-utilisé pour la musique.

Boterhammen in het park, Parc Royal, Bruxelles
Boterhammen in het park, Parc Royal, Bruxelles

Vers Anvers

Il pourrait suivre l’exemple de ce qui constitue le vrai deal vert de l’été, dans l’écrin du superbe parc Rivierenhof à Deurne, 130 hectares à quelques brasses du centre d’Anvers. Après 500 mètres de sentiers ombragés -c’est bien entretenu, la Flandre-, une porte surgie d’un décor vintage marque l’entrée de l’Openluchttheater: depuis fin juin jusqu’au 8 septembre, ce théâtre de verdure accueille une trentaine de concerts, du qualitatif mélangé entre NAS, Melody Gardot, Richard Thompson et Tindersticks. Lors du passage de ces derniers, le 27 juillet, on découvre l’écrin en arc de cercle, construit en 1948. On peut y recevoir 2000 personnes, dont 500 pèlerins debout, les autres profitant des bancs aux teintes variées qui, au crépuscule, y dessinent comme un rainbow beige. « On y projetait des films en plein air mais on y organisait aussi toutes sortes de spectacles, opéra compris. » Gert Van Overloop est le boss de l’Arenberg anversois, lieu multiculturel inspiré. Associé à la Province d’Anvers, propriétaire du Rivierenhof, il gère le festival d’été de l’Openluchttheater, à sa treizième édition: « On est conscients du caractère exceptionnel du lieu, rénové dans les années 90, et qui fonctionne sans subsides publics, seulement avec l’aide logistique de la Province. On réalise environ 40.000 entrées payantes sur 30 concerts, c’est rentable et surtout, les groupes y trouvent un climat très particulier, reposant, loin de la frénésie des festivals de l’été. Le 4 juillet, après son soundcheck, Melody Gardot n’est pas retournée à l’hôtel et s’est longuement promenée dans le parc. Elle a aussi apprécié, comme d’autres, la qualité acoustique de l’endroit. » Quid des aléas meurtriers de la météo belge? « Les spectateurs, qui viennent essentiellement d’Anvers et de Flandre, connaissent le lieu. Ils prennent leur parapluie! Jusqu’ici, on n’a jamais dû annuler un concert. Et puis, 95% des tickets sont vendus à l’avance. L’Openluchttheater est aussi un lieu de rencontre, la plus grande terrasse d’Anvers. » Parmi les concerts encore à venir d’ici septembre, pointons le triplé flamand Admiral Freebee, The Bony King Of Nowhere et Dez Mona (3 août), La Chiva Gantiva, les bruxello-colombiens funky (9 août, gratos!), Archive (10 août), The Avett Brothers et Martha Wainwright (21 août), The Waterboys (25 août), la soirée Pias avec entre autres Agnes Obel (31 août) et, last but not least, le Chic de Nile Rodgers (5 septembre). Tout cela baigné de verdure et en détails sur www.openluchttheater.be.

Brosella Folk, théâtre de verdure du parc d'Osseghem
Brosella Folk, théâtre de verdure du parc d’Osseghem

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