Rencontre avec Akro, nouveau « monsieur hip hop » de la RTBF

Akro, chef éditorial du nouveau projet digital de la RTBF. © M. MORAN
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Depuis plus de 20 ans dans le rap game, Thomas Duprel prendra les commandes du nouveau projet digital de la chaîne publique. Media Z, titre de travail, carburera essentiellement au rap.

Il n’a pas encore tout à fait intégré les réflexes maison. Comme celui, par exemple, d’annoncer au service de sécurité tout invité extérieur, bloqué du coup dans le sas d’entrée de Reyers. « Désolé, ça fait une semaine seulement que je suis là, je ne maîtrise pas encore toutes les subtilités de l’entreprise. » De fait, Akro commence à peine à s’installer dans ses nouveaux bureaux. La nouvelle a été officialisée quelques jours plus tôt: sélectionné parmi une quarantaine de candidatures, Thomas Duprel dans le civil a été nommé au poste de chef éditorial du nouveau projet digital de la RTBF. Attendu dans le courant de l’année prochaine, Média Z (titre provisoire) ciblera les 15-25 ans. Avec cette particularité: il carburera essentiellement au rap. Une petite révolution pour le paquebot RTBF, qui, jusqu’ici, n’a montré que peu d’intérêt (appelez ça un euphémisme) pour l’une des dernières grandes secousses musicales -la rangeant au mieux dans une case de fin de soirée, quand il ne la limitait pas simplement à une caricature, une blague. Dans la petite présentation animée qui a accompagné l’annonce de sa désignation, Akro, cet enfant du rap, avoue d’ailleurs: « Si on m’avait dit un jour qu’une institution publique allait chercher des experts en hip hop, je n’y aurais pas cru »… Nous non plus.

Cet après-midi-là, Akro raconte son histoire, debout, appuyé contre un mur, à l’arrière de Reyers. Pose hip hop en plein. Le siège rembourré du patron attendra… Thomas Duprel naît à Bruxelles en août 1976. Une mère enseignante, un père assistant social. « La middle class », glisse-t-il. « À partir du moment où je faisais ce que j’aimais, ils m’ont toujours soutenu. » Gamin dans les années 80, il passe son temps en BMX et skate dans les parcs de Jette et Koekelberg. Dans la foulée, il se prend de passion pour cette autre culture « urbaine » qu’est le hip hop. Via notamment Yo! MTV Raps, lancéen 88, il découvre Public Enemy, Run DMC, NWA… Il achète bientôt le premier album des Marseillais d’Iam, et celui de BRC (Brussels Rap Convention), réponse bruxelloise à Rapattitude, première compilation de rap français sortie la même année, en 1990. Au collège, là où les new wave et les grunge tirent la tronche, lui arbore veste rouge et coiffure étudiée: lignes et plateau dessinés sur le cuir chevelu. « Le préfet de l’époque, qui avait plein de souvenirs du Congo accrochés au mur, m’a expliqué que ce n’était pas une coupe pour les Blancs, que c’était les Noirs qui se coiffaient comme ça. J’ai dû tout raser. »

Rapper sur les frites

C’est aussi à ce moment-là qu’il commence à toucher au graffiti. « Des bombes de peinture qui traînaient par terre… Mais je me suis fait choper. J’ai dû nettoyer toute une rue. Ça m’a refroidi. De toute façon, j’étais plus porté par l’écrit, par le message. » Ses modèles sont MC Solaar, Iam et NTM. Il y a effectivement un peu de Kool Shen dans la dégaine d’Akro: même profil de gymnaste trapu, à la fois souple et physique. À la sortie des secondaires, il se lance d’ailleurs dans des études de prof d’éducation physique: « Un job qui me permettait de bosser en training et de finir mes journées à 16 heures. » (sourire)

Pour « rassurer ses parents« , il obtiendra son diplôme. Même si, à ce moment-là, il est déjà à fond dans le rap. « Un pote à moi, Sly-D, qui avait participé au groupe Kiwi (trio rap dans la lignée de Benny B, NDLR), avait entendu parler d’un projet de compilation qui était en train de se monter à Liège. J’avais 16 ans. Je commençais à peine à rapper. Je n’étais jamais rentré en studio. Mais j’ai quand même pris le train. » Akro se retrouve au générique de Fidèles au vinyl, compilation sortie en 93 et sur laquelle apparaissent également la plupart de ceux qui formeront Starflam: Mig One, Baloji, Seg…

Starflam sort un premier album, en 98. On y retrouve notammentCe plat pays II, clin d’oeil à l’hymne « brélien », boosté aux humeurs politiques du moment. Le morceau marque les esprits. Du coup, le disque suivant, Survivant, sera porté par une major, EMI, qui en fait un carton. Alors que le rock wallon jalouse toujours les succès de la scène flamande, le combo rap liégeois fait l’unanimité. Il termine même disque d’or… Le succès a toutefois un prix. Un album plus tard (Donne-moi de l’amour, en 2003), Starflam met déjà un pied à terre. Dissensions internes, malentendus… « Puis le maigre accueil en France aussi, où l’on nous demandait de rapper sur les moules et les frites… » Starflam s’éteint alors à petit feu. Et avec lui, pendant un bon moment, l’idée que le rap pouvait prendre l’accent belge. Retour à la marge.

Akro persistera pourtant. Même si ce ne sera pas toujours évident. « Quand bien même tu as le statut d’artiste, tu as la pression. » Il commence à bosser un peu dans le bâtiment, se prend de passion pour la rénovation, supervise des chantiers, retape des baraques entières –« j’ai dû en faire trois, quatre, comme ça ». Mais sans lâcher complètement le rap pour autant. Depuis 2006, il a sorti ainsi quatre albums solos. Comme la mixtape Akro au crunk, qui en 2008 lorgnait du côté de cette mode rap venue du Sud des États-Unis. Sur le morceau Moi je suis, il invitait entre autres James Deano, Veence Hanao et un certain Stromae…

Depuis, Paul Van Haver est devenu une star. Et s’il a quitté le rap depuis un moment, il a permis malgré tout à la scène belge de s’émanciper. En 2016, le hip hop made in Belgium ne s’est même peut-être jamais aussi bien porté, y compris dans sa diversité. L’an dernier, Akro lui-même sortait l’album Quadrifolies, plus pop, plus musical, plus ouvert. Trop, lui reprocheront certains. Les mêmes sans doute qui attribuent sa nomination ertébéenne à son côté consensuel. Lui préfère se voir comme « un rassembleur ». À tous les niveaux, d’ailleurs. « Je vais devoir jongler entre mes attentes, celles, immenses, des fans de hip hop, et puis celles de mon employeur », glisse-t-il en conclusion. Les douze travaux d’Akro…

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