Raides movies

Célèbre pour ses frasques survoltées, Douglas Coupland critique dans Miss Wyoming environ tout ce qui bouge, avec une frénésie de sale gosse.

Miss Wyoming

de Douglas Coupland, traduit de l’anglais (Canada) par Walter Gripp, éditions Au Diable Vauvert, 416 pages.

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Pour mettre en place son nouveau jeu de massacre des moeurs débiles d’un Occident en roue libre au-dessus d’un vide intersidéral, l’auteur de Génération X (1991), Toutes les familles sont psychotiques (2001) puis Génération A (2009) s’appuie sur deux personnages apparemment caricaturaux: Susan Colgate, ayant suivi pendant l’enfance une formation sourire forcé de Mini-Miss, et John Johnson, gamin maladif collé en permanence devant la télé. Dans les deux cas, dotés de parents démissionnaires de tout bon sens, qui permettent à nos deux héros de s’épanouir adultes en tant que, respectivement, starlette oubliée de séries stupides et producteur dépressif de navets à succès. Entre ces deux-là, une sordide histoire d’affection intéressée avait tout pour naître, sauf qu’en fait non, chacun d’entre eux étant sur le point de traverser -avant définitive dilution dans le Rien- une phase de profonde remise en doute: Susan se retrouve seule survivante d’un crash lui permettant de disparaîtredes radars, tandis que John se surprend un matin à tout plaquer pour devenir clochard. Sans même se connaître, ils mettent d’un coup au panier oseille indue, renommée factice et soupirants malsains, pour se planquer sous des ponts ou dans des baraques désertées, jusqu’à récolter les hamburgers délaissés dans les corbeilles des innombrables fast-foods du pays. Un pays dont Coupland n’a de cesse de décrire avec un amour immodéré les paysages variés, remplaçant les distances par des inventaires de franchises: « Ils passèrent un millier de KFC, quatre cents Gap, deux cents Subway, et des dizaines d’intersections envahies par une pléthore de rescapés de la vie urbaine. »

Dézinguer à la masse

La structure du roman propose une oscillation chronologique entre plusieurs temporalités: les deux enfants malheureux, les deux caricatures avant leur séisme personnel, les deux hobos amateurs, les deux enfin en présence l’un de l’autre, puis les deux -tombés follement amoureux, ouf- qui cherchent à se retrouver tout en vaquant chacun dans son coin à la quête du Sens. Sont ainsi dézinguées à la masse plusieurs décennies des pires errements de la culture américaine, avec même quelques constantes nettes, comme les usines commerciales de consommation mainstream, donc, mais aussi, par exemple, la mystérieuse Lodge Corporation, pour laquelle « rien n’est sacré (…): cigarettes pour enfants, wagons pour holocauste, produits laitiers expirés dès leur production, places de stationnement dans la ville du Vatican -il n’y a qu’à appeler Lodge. Chaque fois qu’une personne crie ou meurt en Amérique, Lodge rafle un petit dollar quelque part dans le processus.« En plus d’un tableau bien vachard des États-Unis, l’écrivain de Vancouver propose une course-poursuite peuplée de mères sociopathes, de nerds surdoués, de nolife exubérants et de braves milliardaires des deux sexes, dynamisant son texte de comparaisons aussi étranges que merveilleuses (« Sa bouche lui semblait l’intérieur d’un gant de baseball« , « Renata était devenue aussi grosse qu’une pile de bouteilles vides derrière une maison », « elle était si soulagée qu’elle se sentait désossée« ). Enthousiasme garanti sur facture.

FRANçOIS PERRIN

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