Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

La thèse de l’accident – Guillermo Scott-Heren sort coup sur coup deux nouveaux albums, sous des pseudos différents. Pas facile à suivre? Certes, mais gratifiant.

1. « Everything She Touched Turned Ampexian » 2. « Ice Capped at Both Ends »

Distribués par Warp.

Guillermo Scott-Heren n’a jamais été facile à cerner. Ce n’est pas aujourd’hui que cela va s’arranger. Depuis une dizaine d’années, l’Américain a en effet brouillé les pistes en multipliant les projets et les pseudonymes différents. En plus d’une nouvelle plaque de Savath & Savalas, l’homme sort ainsi aujourd’hui deux autres disques: l’un sous son pseudo le plus connu, Prefuse 73; l’autre sous le nom de Diamond Watch Wrists. Point commun de tous ces alias? Le hip-hop. « J’ai grandi avec ça. C’est ma perspective, mon conditionnement culturel. Le hip-hop a défini mon esthétique de la musique. Et même si aujourd’hui je n’arrête pas d’écouter un disque comme celui d’Animal Collective, le hip-hop reste la base. »

Si le hip-hop reste donc le terreau, Scott-Heren a pris l’habitude d’y faire pousser de drôles de plantes. Des croisements biscornus, qui dessinent une sorte de rap abstrait, majoritairement instrumental. Une sorte de labyrinthe dans lequel il est agréable de se perdre, (très) loin des tubes clinquant des stars du genre. Everything She Touched Turned Ampexian confirme la donne. Sous son masque de Prefuse 73, Scott-Heren livre un rand zapping musical, proposant une trentaine de pistes en près de 50 minutes. Un disque brillant, mais un vrai cauchemar à télécharger… « Je sais, cela n’a pas de sens de télécharger des pistes de 1 minute, rigole Scott-Heren. En fait, au départ, c’était un seul et même long morceau. Mais pour le label, cela ne passait pas: « personne ne downloade 50 minutes de musique, c’est trop long!  » J’ai fait comprendre que c’était ça ou alors une suite de micro-morceaux… « 

Maître Dick

Le projet Diamond Watch Wrists ne doit pas être beaucoup plus facile à « marketer » pour la maison de disques. Ici, Scott-Heren se rapproche pourtant davantage du format chanson. Les morceaux prennent la forme de rêveries folk, vaguement psyché. Elles sont appuyées par la batterie matheuse de Zach Hill. « C’est probablement le batteur le plus incroyable que je connaisse. Quand vous le regardez jouer, vous ne comprenez rien à ce qui se passe. C’est un génie. On a l’impression qu’il a cinq bras et quatre jambes. Je l’ai toujours considéré comme une sorte de Timbaland du punk-rock. »

Autant le jeu de Hill s’avère sec et nerveux, autant le chant de Scott-Heren plane dans le coton. Avait-il une influence spéciale en tête?  » Ce qui est clair, c’est que je ne suis pas Marvin Gaye. Mais cela n’est pas grave. Cela fait partie de mon esthétique. Il y a ce mec par exemple Dick Annegarn. Pour le moment, c’est une de mes plus grandes inspirations. La première fois que j’ai entendu ses chansons, je ne pigeais pas d’où cela venait. Ces progressions d’accords, la manière de chanter, c’est incroyable. Woah, qu’est ce qui ne va pas chez ce gars? (rires) » Des chansons déglinguées du maître hollandais aux mélancolies aqueuses de Diamond Watch Wrists, la transition n’est pourtant pas évidente. « En fait, Annegarn m’a moins influencé par la manière de poser sa voix que par sa capacité à rester complètement honnête et surtout à jouer sur les imperfections. » Au final, c’est d’ailleurs peut-être bien ce qui lie tous les différents projets du bonhomme: cette faculté à capitaliser sur les accidents de parcours. Puisqu’après tout, l’erreur est humaine…

Laurent Hoebrechts

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