DE THE IMITATION GAME À BIG EYES LES BIOGRAPHIES FILMÉES SE MULTIPLIENT SUR LES ÉCRANS, SANS QUE LE GLAMOUR OU LA NOTORIÉTÉ EN SOIENT DÉSORMAIS DES COMPOSANTES OBLIGÉES.

« Une histoire vraie incroyable »: imparable, le slogan barre l’affiche de Invincible (Unbroken), le deuxième film réalisé par Angelina Jolie. L’actrice y relate l’histoire de Louis Zamperini, athlète américain médaillé olympique qui allait traverser une succession d’épreuves extrêmes durant la Seconde Guerre mondiale, devant survivre pendant 47 jours dans un canot suite à un crash aérien, avant de connaître l’enfer d’un camp de prisonniers japonais. Soit un destin exemplaire, et l’illustration de cette nouvelle tendance du Septième art à produire du biopic à la chaîne -la rentrée 2015 ressemble ainsi à un long chapelet de biographies filmées, qui verra encore se succéder sur les écrans The Imitation Game, The Theory of Everything, American Sniper, Big Eyes ou autre Selma, et cela pour les seuls deux mois à venir.

La science, valeur-refuge

Le phénomène n’est certes pas nouveau, et 2014 avait vu se bousculer dans les salles Yves Saint Laurent (objet de deux films), William Turner, Grace de Monaco, les Four Seasons, Linda Lovelace, Camille Claudel ou Pier Paolo Pasolini, sans même parler de DSK. Evolution sensible, toutefois: le glamour et/ou la notoriété, moteurs de biopics innombrables, comme ceux consacrés ces dernières années à Edith Piaf (La Môme), Claude François (Cloclo), Nelson Mandela (Long Walk to Freedom) ou Liberace (Behind the Candelabra), pour n’en citer qu’une poignée, ne semblent plus considérés comme des conditions sine qua non. Au point que le seul label biographique tient lieu désormais de panacée cinématographique universelle, si bien qu’à l’image du héros de Unbroken, les personnalités célébrées ces jours-ci sont généralement peu connues en dehors des cercles « autorisés ».

The Imitation Game de Morten Tyldum et The Theory of Everything de James Marsh ont ainsi en commun de mettre à l’honneur des scientifiques, le mathématicien et cryptologue Alan Turing pour le premier; le physicien et cosmologiste Stephen Hawking pour le second. L’un des mérites de ces biopics est assurément d’avoir su traduire en termes cinématographiques l’apport des deux hommes, sans ployer sous la charge: si le génie de Turing, considéré comme le père de l’ordinateur, ressort limpidement de The Imitation Game, le propos du film tient autant de la célébration des différences -celles, diverses, d’un chercheur qui fut aussi persécuté pour son homosexualité. Quant aux concepts visionnaires brassés par Hawking, ils sont passés au filtre d’une solide dose de sentimentalisme, liée à son combat contre la maladie de Charcot; une ficelle narrative qui en vaut bien d’autres. A croire, par ailleurs, que la science est une nouvelle valeur-refuge du cinéma avec encore, parmi les films annoncés dans les prochains mois, The Man Who Knew Infinity, de Matt Brown, autour du mathématicien indien Srinivasa Ramanujan.

Eastwood, fine gâchette?

Plusieurs réalisateurs de renom cèdent également à cette mode du biopic relifté. Quelques mois après les Jersey Boys, aka les Four Seasons, combo be-bop célèbre au coeur de sa première incursion dans le musical, Clint Eastwood, rejoignant en cela Angelina Jolie, porte aujourd’hui son attention vers un « héros » méconnu de temps de guerre. Son American Sniper retrace l’histoire de Chris Kyle, Navy SEAL envoyé en Irak pour protéger ses camarades, et à qui sa précision légendaire vaudra le surnom de « Légende », mais aussi de « diable de Ramadi », suivant le point de vue adopté. Le tireur d’élite n’a pas fait dans le détail, il est vrai, avec quelque 160 tirs létaux confirmés (et plus de 250 revendiqués), et l’on est à vrai dire curieux de découvrir ce que son destin au dénouement tragique (il sera abattu par un ancien Marine dans un champ de tir texan) aura inspiré à un réalisateur dont le film de guerre a toujours été l’un des terrains d’expression privilégiés -ainsi, encore, il n’y a pas si longtemps, avec le diptyque Flags of Our Fathers/Letters from Iwo Jima.

Tim Burton n’en est pas non plus à son coup d’essai, lui qui consacrait, en son temps, un magnifique long métrage à Ed Wood, « le plus mauvais cinéaste de tous les temps », avant de s’attacher, aujourd’hui, au portrait de la peintre Margaret Keane à la faveur de Big Eyes, un film guère éloigné par l’esprit du précédent. Il y a là, pour le cinéaste de Burbank, et faisant suite à son formidable Frankenweenie, comme une manière de retour aux fondamentaux. Le tout, assorti d’un questionnement sur l’art dans sa dimension commerciale -un sujet tout sauf anodin dans le chef d’un auteur ayant réussi à imposer sa griffe dans l’univers généralement formaté des studios, et dont l’on n’imagine guère qu’il se fonde dans le moule d’un biopic classique. Postulat valant encore pour un Werner Herzog, dont l’on guette avec impatience le Queen of the De-sert, tourné au Maroc avec, dans le rôle de Gertrude Bell, femme de lettres, archéologue et exploratrice britannique du début du XXe siècle entre autres qualités, Nicole Kidman, apparemment remise des (més)aventures de Grace de Monaco. Soit, sans conteste, l’une des curiosités des prochains mois, que baliseront encore quelques biographies au profil plus convenu. A commencer par le Selma de Ava Du Vernay, évoquant la personnalité de Martin Luther King et son combat pour l’octroi du droit de vote à tous les citoyens américains, campagne culminant dans la marche qui devait rallier Montgomery depuis Selma, en Alabama, en 1965…

TEXTE Jean-François Pluijgers

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