Pop philo (6/6): Qui êtes-vous Polly Magoo?

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Laurent de Sutter
Laurent de Sutter Professeur à la VUB

Chaque semaine, le philosophe Laurent De Sutter planche sur une question existentielle posée par un film. Cette semaine: qui êtes-vous Polly Magoo?

À l’époque, la mode, dans les magazines pour jeunes femmes, était aux questionnaires: on voulait savoir qui était qui, qui faisait quoi, comment on s’habillait, ce dont on rêvait, et où on partirait vivre avec l’homme qui deviendrait son mari. Dans Qui êtes-vous Polly Magoo?, William Klein prit cette mode à la lettre, et décida d’appliquer la logique du questionnaire à un film mettant en scène un réalisateur de l’ORTF voulant tirer le portrait d’une mannequin américaine.

Passant d’un défilé d’avant-garde au château d’un riche prince-hériter tombé amoureux d’elle en la voyant dans les magazines et à la télévision, Polly Magoo (Dorothy McGowan) traversait le monde comme un fantôme statistique. Servant de porte-manteau pour les sinistres figures du monde de la mode, d’outil de valorisation pour les gens de l’ORTF, et de fantasme masturbatoire pour le prince auquel elle avait tapé dans l’oeil, elle était un modèle au sens le plus fort du terme. Klein, qui connaissait bien l’univers des mannequins pour avoir été un des plus grands photographes de ce monde, n’épargnait personne dans Qui êtes-vous Polly Magoo? -et surtout pas l’époque où elle traînait son spleen. Pour autant, il ne s’agissait pas tant d’une satire que d’une sorte d’exercice de sublimation, comme si la mode ne pouvait être que grotesque pour pouvoir dire une vérité -qu’outrancière pour être à la juste mesure de son entourage.

Plutôt qu’une critique de la mode, le film de Klein se voulait donc une sorte d’examen clinique de la société que Marshall McLuhan venait de nommer « Galaxie Gutenberg »: la société du mot généralisé. Plutôt que le mot, qu’il soit dit ou imprimé, toujours traître et hypocrite, Klein semblait privilégier l’image -celle, figée et sans expression, du visage de Polly Magoo, sur lequel glissaient tous les signifiants sans jamais s’y attacher.

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