Petit bijou d’épouvante, Drag Me to Hell consacre le retour de Sam Raimi, le réalisateur de Spider-Man, à son genre de prédilection, l’horreur.

Cannes ouvrant bien grandes les portes de la sélection officielle au cinéma de genre, Sam Raimi ne pouvait qu’être de la fête, en séance de minuit naturellement. En matière de film de genre, l’auteur de Spider-Man en connaît un bout, en effet, lui dont la filmographie se décline, pour bonne part, entre horreur et fantastique, avec des incursions dans le western ou le film noir. Entre deux épisodes des aventures de l’Homme-Araignée, Raimi s’est d’ailleurs offert un retour aux sources, sous la forme de Drag Me to Hell ( voir critique dans Focus du 19/06) , petit bijou d’épouvante, venu nous rappeler de quel bois peut encore se chauffer l’auteur de Evil Dead.

Absolument réjouissant, le film propulse l’ambitieuse gestionnaire de crédit d’une institution bancaire Jusqu’en enfer, conséquence de son refus d’accorder une rallonge hypothécaire à une vieille dame sans ressources. Un conte moral, donc, mais plus encore un voyage joyeusement horrifique orchestré par un maître de l’effroi qui, à l’heure de l’entretien dans un palace de la Croisette, se révèle le plus charmant des interlocuteurs, d’une exquise courtoisie sous son strict ensemble complet-cravate.

Pourquoi Drag Me to Hell a-t-il été un projet si long à se dessiner?

Mon frère Ivan et moi avions écrit une histoire intitulée The Curse en 1989, à l’époque de Darkman. Ce n’est toutefois que lorsque j’ai créé Ghost House Pictures, en 2002, que nous avons envisagé d’en faire un scénario. Jeffrey Lynch, mon directeur de deuxième équipe, devait réaliser le film, mais le budget alloué par Universal m’aurait contraint à couper beaucoup de scènes. Le studio est alors revenu à la charge en me proposant de réaliser le film moi-même, moyennant un budget qui me permette de tourner l’ensemble des scènes écrites. Et c’est là que j’ai compris que j’avais envie de tourner ce film moi-même. Ce fut un processus étrange.

Eprouviez-vous le besoin de revenir à ce type de film après les Spider-Man?

De besoin, pas vraiment. Produire des cinéastes au sein de Ghost House Pictures me procure beaucoup de plaisir. Je suis impliqué, comme si j’étais installé dans le siège arrière, alors qu’ils pilotent un bolide de course, et c’est à la fois drôle et intéressant. Cela étant, il n’y a rien de tel que nourrir le rapport du public à un film, comme j’ai encore pu le constater l’autre jour au Palais. Satisfaire ce public est mon objectif, et l’horreur est un excellent moyen. J’ai vraiment eu le sentiment, avec Drag Me to Hell, de faire un film effrayant dans lequel les gens puissent se projeter. Je voulais écrire un suspense dont je puisse jauger l’effet sur un public, instruire un petit jeu où j’anticipe les attentes pour mieux les déjouer.

Le genre répond-il pour vous à des règles plus strictes que d’autres?

Je ne sais pas. J’essaye simplement d’être conscient de ce que peut penser le public à un moment, pour répondre à ses attentes, ou non. Je veux le prendre de court, qu’il soit à la fois diverti et énergisé. Idéalement, j’espère que le spectateur sortira de la projection plus chargé d’énergie qu’il n’y est entré.

Alison Lohman et Justin Long ne sont pas des personnages typiques de films d’horreur. Pourquoi?

Je voulais faire quelque chose de différent. J’ai fait des constructions de suspense et de peur par le passé, et j’y ai même adjoint un peu de comédie dans les deux premiers Evil Dead. Ensuite, dans des films comme The Gift ou A Simple Plan, j’ai beaucoup appris sur les personnages, au contact de grands acteurs comme Cate Blanchett ou Billy Bob Thornton. C’est là que j’ai compris l’importance d’un personnage central pour le public. J’ai voulu aller plus loin dans la construction du film d’horreur telle que je l’avais apprise, tout en insufflant l’expérience au spectateur à travers le regard de ce personnage central. A cet effet, il me fallait de bons acteurs, à qui l’on puisse s’identifier. Dans le chef d’Alison, le spectateur devait pouvoir l’aimer, pour qu’il pose avec elle le choix cupide de jeter cette vieille femme hors de chez elle, pour diverses mauvaises raisons: la faute à la banque, le fait qu’elle soit jolie, ou encore qu’elle poursuive des objectifs auxquels tout le monde peut adhérer. Il fallait que le public partage son péché, pour qu’il sache ensuite que son châtiment lui était également destiné.

Drag Me to Hell dispense une morale contre la cupidité…

Je ne sais pas si j’utiliserais le terme de morale, mais c’est un conte moral à l’ancienne, ces histoires que l’on racontait dans les églises, où l’assistance s’identifie au pécheur, et reçoit un châtiment en conséquence. On y recourait dans les églises, et je m’en sers dans un contexte d’horreur.

Le fait qu’elle soit gestionnaire de crédit traduit-il votre état d’esprit à l’égard des banques et du système financier?

Il s’agit naturellement d’avidité, mais sans intention particulière à l’égard des banques. Mon frère et moi avons écrit sur quelque chose que nous observions, et contre lequel nous avions des objections. L’avidité est omniprésente, et n’en finit pas d’être destructrice – ce type d’histoire m’intéresse. C’est un phénomène ancré dans notre société et, sans qu’il soit spécialement dirigé contre le système financier, ce film pose le constat que l’avidité peut détruire notre âme.

Quel est votre sentiment à l’égard de la nouvelle génération de films d’horreur, les Hostel et autre Saw? Drag Me to Hell est beaucoup plus classique, en un sens…

Les réalisateurs de ces films essaient d’aller toujours plus loin, et de repousser les limites en termes de gore, de sang et d’intensité vicieuse. Cela ne me pose pas de problème, non que je connaisse spécialement bien ces films. Dans le cinéma d’horreur, une partie du boulot consiste précisément à repousser les limites, et emmener le spectateur dans des endroits où il n’est encore jamais allé.

Doit-il y avoir des limites à ce que l’on montre?

Je ne pense pas, en tout cas, qu’un auteur doive s’auto-censurer. Quel que soit l’objectif d’un film, qu’il s’agisse de montrer le sens de l’amour ou le prix de la cupidité, il faut faire ce dont on pense que cela marquera le coup. Et se tenir absolument à l’idée que l’on défend, sans se limiter en aucune manière. Sans quoi je ne puis imaginer que quiconque s’intéressera au film.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur Evil Dead?

A l’époque, tout ce qui m’intéressait était de tourner un film qui soit assez bon pour être montré. J’ai éprouvé beaucoup de difficultés à le vendre. Ce n’est qu’ici à Cannes, au Marché du film, qu’ Evil Dead a suscité de l’intérêt. Les Français l’aimaient, les acheteurs l’ont vu, il a été acquis par l’un d’eux, puis par un autre, l’Amérique a emboîté le pas à la France et l’Angleterre, et le film a fini par être distribué et vu. Mais il aurait fort bien pu ne pas l’être du tout, s’il n’avait pas bénéficié d’un accueil aussi positif ici, au Marché. Je suis très reconnaissant à ce film de m’avoir lancé. Et plus encore au public français de l’avoir soutenu.

Entretien Jean-François Pluijgers, à Cannes

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