Observation: dans la « peau » d’une intelligence artificielle

Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Inversant 2001: l’Odyssée de l’espace pour incarner une intelligence artificielle, Observation vibre comme un thriller spatial, claustrophobe et malin. Le huis clos dessiné par un ex d’Alien: Isolation voue un étonnant culte aux interfaces informatiques rétros et au grain VHS.

Passionné de foot au destin tragique, Tommy emmenait Renton et ses amis camés pour une impossible balade dans les Highlands écossais dans Trainspotting. Les plaines et les collines sans limites de cette scène mémorable évoquaient littéralement une autre planète. Terre de tournage du Prometheus de Ridley Scott, l’écosse côté nature se visite à coup sûr comme un nouveau monde. La science-fiction coule donc le plus naturellement du monde dans les veines de No Code. Basé à Glasgow, à deux jets de pixels de cette région préservée, le studio cofondé par Graeme McKellan et son frère Jon, une des figures phares du cultissime Alien: Isolation (lire ci-dessous), signe une spectaculaire sortie en solo avec Observation. Ou comment revisiter 2001: l’Odyssée de l’espace en glissant le gamer dans l’âme algorithmique de HAL 9000. Rien de moins.

Enfermé dans une réplique crédible mais altérée de la Station spatiale internationale, Observation gravite d’abord autour d’une histoire de famille et de potes écossais. « Mon frère et moi voyons Omar (Kahn, compositeur de la bande originale du jeu, NDLR ) au moins deux fois par semaine depuis qu’on a sept ans, sourit Graeme McKellan, quadra et lead designer de ce jeu d’aventure hyper narratif. De fil en aiguille, mon épouse et la mère d’Omar ont même fini par contribuer à Observation. » Face au millier de développeurs du GTA V du grand frère Rockstar (lui aussi écossais), Observation avance à peine une dizaine de développeurs.

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Loin d’être une fable de pilier de comptoir, le pitch d’Observation se projette dans un futur proche d’une vingtaine d’années. Le joueur s’y glisse dans les circuits logiques de S.A.M. , intelligence artificielle aux manettes de la station orbitale. Le thriller s’ouvre sur un face à face entre le gamer et Emma Fisher, unique survivante d’une nébuleuse panne générale dans l’ISS. Où est passé l’équipage? Pourquoi la station a-t-elle quitté son orbite terrestre pour flirter avec Saturne? Au gamer d’aider la scientifique, par le biais d’une centaine de caméras interagissant à distance avec des sas, laptops et autres conduits de ventilation.

Huitième passager ou troisième type?

Malgré les apparences, Observation cultive plus le mystère de Rencontres du troisième type que les jump scares d’Alien, le huitième passager. Le magnétisme soulevé par le huit clos, le gameplay et l’esthétique des bros de No Code plonge ses racines dans Futuro, groupe de math rock qu’ils avaient créé il y a dix ans. « Je chantais et Jon jouait de la basse. C’était un truc de guitares angulaires qui est encore aujourd’hui sur Apple Music. Avec quelques EP en poche, on a même fini par jouer au festival T in the Park. C’était fun mais pas de carrière possible, sourit Graeme McKellan. Ces années ont finalement dirigé notre vision du jeu vidéo. Nos projets gaming commencent toujours avec cette idée centrale: les sentiments qu’on veut faire ressentir au joueur, exactement comme lorsque nous écrivions des chansons. »

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Articulé comme un dialogue constant entre S.A.M. et sa rescapée, Observation demande en pratique de scruter l’intérieur et l’extérieur des modules labyrinthiques de l’ISS. Deux niveaux de lecture scindent ce gameplay. Le premier passe par une sphère que l’on dirige dans les coursives. Exigeant un bon sens de l’orientation, cette approche véhiculaire à la première personne file comme une parfaite excuse pour dérouler des jeux de piste dans et en dehors de la station. Difficile de ne pas avoir le vertige, dans le vide, face aux anneaux de Saturne.

Pièce maîtresse d’Observation, la seconde matérialisation de son IA se déploie via une pléthore d’objectifs que l’on pointe et zoome sur les objets abandonnés du labo spatial. Des mots de passe à retrouver dans les décors et autres jeux de mémoires conditionnent souvent l’activation des mille et un interrupteurs du jeu. Rien de stellaire en termes de gameplay hélas. « Nous voulions donner l’impression au joueur qu’il hantait les murs de la station. Lui donner une sensation d’ubiquité via toutes ses caméras. No Code ne comptant qu’une dizaine de personnes, cette approche en huit clos a été poussée par nos ressources limitées, détaille Jon McKellan, directeur créatif de No Code et réalisateur d’Observation. Au final, cette réclusion a quelque chose de fantastique. Car travailler sur un lieu confiné finit toujours par lui donner un caractère, une personnalité. Je pense notamment au cinéma, avec des films comme Reservoir Dogs. »

DOS is not dead

Les promesses de l’exploration spatiale habitée nourrissent un surprenant paradoxe: la découverte de nouvelles planètes comme Mars exige, en effet, un confinement inversement proportionnel à l’immensité de l’espace. Le huis clos d’Observation ne souffre pas de réclusion puisqu’au-delà de son rythme épatant, il étale des paysages d’interfaces informatiques sublimes. Une foule de systèmes d’exploitation rétros, imaginaires mais crédibles, sont autant de clins d’oeil au DOS 5.0 et de références au Web des années 90. Une approche dans l’air du temps, comme en témoigne Hypnospace Outlaw, point & click d’aventure immergé dans la Toile imaginaire de 1999.

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Relevant à priori du détail futile et très geek, l’amour de la fausse (et belle) interface consolide la réalité d’un monde gaming. Elle l’aide à exister, comme en témoigne le formidable travail du studio The Designers Republic sur l’iconographie des vaisseaux et sur les menus de la série Wipeout. Les différentes espèces de grains VHS hantant les flux vidéo d’observation suscitent également des moments de grâce esthétique. Une image qui saute. Des couleurs qui saturent brièvement. Une imagerie vue et revue dans des classique du cinéma SF et lors de retransmissions live de la Nasa.

« Nous vivons dans une ère supra digitale vénérant des designs d’interfaces propres et lisses, notamment sur les applis de smartphone. Utiliser un grain d’image VHS et des interfaces informatiques désuètes nous a permis d’apporter un contrepoids, à cette norme pesante. Le style visuel d’Observation n’est donc pas guidé que par la nostalgie. D’autres forces y sont également à l’oeuvre, souligne Jon McKellan. Le grain VHS des caméras suscite par exemple un sentiment de réconfort qui fait retomber le joueur en enfance. Mais nous le détournons pour l’effrayer, pour provoquer un sentiment de confusion, pour illustrer aussi que S.A.M. déraille doucement. »

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Glisser le gamer dans la peau d’une IA est une idée plutôt culottée. Mais pour No Code, cette approche n’est qu’une nouvelle étape d’un travail allant dans ce sens depuis dix ans. Leur précédent Stories Untold proposait ainsi aux joueurs de revivre la manière dont on interagissait avec des micro-ordinateurs 8 bits, en ressuscitant des vieux jeux d’aventure textuels. Vainqueur d’un Bafta pour ce jeu écoulé à 180.000 copies il y a deux ans, Jon McKellan réalisait en outre les menus et les interfaces hantées d’Alien: Isolation en 2014. Le design de son mobilier et ses équipements analogiques rendaient un vibrant hommage aux portes, sas et scaphandres que Ron Cobb et Moebius avaient livrés pour le film de Ridley Scott. Si bien que Sevastopol, la station où se déroulait son intrigue s’y hissait comme un personnage à part entière. Exactement comme l’ISS d’Observation.

Stylé à s’en damner, Observation rythme son intrigue avec talent. D’une sortie spatiale pour réparer les points d’arrimage d’un module à un changement de règles à mi-parcours, on ne s’ennuie jamais. Les bugs suivis de redémarrages de partie, son frame rate parfois à la ramasse et l’absence de poussée verticale de la sphère qu’on contrôle énerveront. L’homme se transforme en machine intelligente sur Observation. Mais l’erreur reste bien humaine. Heureusement.

Observation, édité par Devolver et développé par No Code, âge: 16+, disponible sur PC, PlayStation 4 (version chroniquée) et Xbox One. ****

Les androïdes comptent-ils des moutons électriques?

GLaDOS
GLaDOS

Le jeu vidéo n’en doute pas un seul instant et confie souvent ses premier et second rôles à des intelligences artificielles attachantes et flamboyantes. Créateur adulé de la saga des Yakuza, Toshihiro Nagoshi orchestrait ainsi un Binary Domain aux airs de contre-utopie fascinante en 2012. Le third person shooter au gameplay convenu se déballait avec talent, entre humanité et lutte des classes, dans un Tokyo de 2080. Clou de la visite: des robots inconscients de leur propre condition qui se transformaient doucement en Homo erectus. En novembre dernier, Detroit: Become Human de Quantic Dream poursuivait l’idée de Nagoshi avec maestria. Projetant la cité nord-américaine en 2038, le jeu d’aventure y fomentait une révolution cybernétique intelligente. Cette contre-utopie filmique et interactive aux vertus émotionnelles vertigineuses se rapprochait de Westworld, Real Humans et même de Blade Runner. Last but not least, GLaDOS de Portal (2007) remporte le prix d’interprétation de l’intelligence artificielle la plus marquante de ces dernières années. Entre promesses de gâteaux impossibles et chantage affectif, cette dernière déployait une forme de violence psychologique jamais vue dans un jeu vidéo. Ou comment vénérer sa meilleure ennemie.

Quatre huis clos spatiaux incontournables

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Alien: Isolation

Creative Assembly – 2014

L’intelligence artificielle du xénomorphe d’Alien: Isolation percevait le moindre soupir du joueur. Pensé comme un jeu de cache-cache géant, le titre, habité d’un rétro futurisme fascinant, rend un génial hommage aux visions de Ridley Scott et de feu H. R. Giger, sur le premier volet de la saga en 1979. Un jeu d’infiltration lent et intelligent après 35 ans d’adaptations bâclées. Incontournable.

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Event(0)

Ocelot Society – 2016

Tapissé de papier peint orange et décoré d’un mobilier globuleux, Event[0] imagine une station spatiale cossue qui serait restée coincée dans les années 70. Ce walking simulator mâtiné d’énigmes exige de collaborer avec une intelligence artificielle pour rentrer sur Terre. Signe hardcore? Le joueur doit taper ses requêtes au clavier. Ne pas oublier de dire « please ».

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Tacoma

Fullbright – 2017

Développé par Nina Freeman, figure majeure du féminisme du jeu indé, Tacoma enquête sur le passé d’une station spatiale à court d’oxygène. Les choix radicaux et cruels de ses habitants y apparaissent via des retransmissions en réalité augmentée. Fouillant dans des appartements à la recherche d’indices, le jeu révèle une évolution grotesque du capitalisme. Total Recall, es-tu là?

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Prey

Arkane Studios – 2017

L’architecture et le design de la station spatiale de Prey marie la classe de Mad Men et la technicité maladive de 2001: l’Odyssée de l’espace. Kubrick en pleurerait en explorant ce survival horror coincé dans un labo spatial géant. Pétrifier temporairement des ennemis. Créer un escalier pour accéder à une passerelle haut perchée. Les choix de game design valent l’effort des débuts difficiles.

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