Dishonored, cauchemar éveillé

© Bethesda Softworks
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Intelligent, élégant, noir et sanglant, Dishonored signe le testament de l’actuelle génération de consoles. Un stealth game des créateurs de Bioshock, Deus Ex et Half-Life 2. Rien que ça.

Dishonored, édité par Bethesda Softworks et développé par Arkane Studios, âge 18+, disponible sur PC, Playstation 3 (version testée) et Xbox 360. ****

Le level design est une science occulte et mystérieuse. Les gamers eux-mêmes peinent à la cerner. Derrière ce terme barbare, on englobe généralement la vision architecturale et les pièges de l’univers 3D dans lequel ces derniers vivent, aiment et se battent. En alternant espaces ouverts et corridors fermés, le level de-signer crée, par exemple, des situations promptes à l’embuscade. Sur ce terrain, Dishonored s’affranchit toutefois des codes habituels des jeux de tir vus à la première personne. Comme échappée d’une nouvelle de Dickens ou Lovecraft, Dunwall, sa cité noire et suintante, s’explore ainsi au fil d’une infinité de chemins possibles.

Accusé à tort de l’assassinat de Jessamine Kaldwin, l’impératrice qu’il protégeait, Corvo Altano n’évolue pas, ici, comme dans un Grand Theft Auto. Les missions nécessaires au sauvetage de la fille Kaldwin et à son retour au trône demandent plutôt au joueur de se rendre d’un point A vers un point B dans un espace confiné. Tout le talent des Lyonnais d’Arkane Studio se cristallise d’ailleurs sur la topographie. Fascinante et détaillée à l’extrême, l’architecture victorienne de Dunwall vomit ainsi des passages souterrains gorgés de rats pestiférés, des intérieurs d’usines torturées, des avenues pavées criblées de gardes paranos, mais aussi des corniches, tuyaux et balcons vertigineux.

Entre chacun de ces pipelines, des jonctions permettent au joueur masqué de facilement basculer de l’un à l’autre. « On ne prévoit pas x ou y chemins pour boucler une mission », précise Raphael Colantonio, fondateur d’Arkane Studio et un des deux directeurs créatifs sur ce projet. « Des combats aux pouvoirs magiques du joueur, les cellules de notre studio travaillent indépendamment sur chacun des aspects du jeu. L’environnement crée ensuite sa propre cohérence. Tout est alors assemblé mais rien n’est prévu. Lorsqu’on teste le jeu, on découvre ses possibilités. C’est la beauté de la démarche. »

Instincts instantanés

Et de fait, l’intelligence de Dishonored tient dans l’obligation pour le joueur de réinventer à chaque seconde ses plans. Observer (par le trou d’une serrure ou en transparence magique, à travers les murs) le nombre de soldats et donc le danger à venir. Se téléporter sur une corniche haut perchée pour disparaître au nez et à la barbe d’un cercle de soldats. Prendre possession d’un brochet et nager à travers la grille des égouts d’un manoir pour ainsi éviter un combat frontal et inégal. Les nombreux pouvoirs surnaturels de Corvo l’aident à jouer la carte de la furtivité.

Suspension du temps, mini-tornades et autres lancers magiques de rats ne sont pas de trop pour venir à bout de l’intelligence artificielle affûtée des soldats et autres chefs de brigades. Retors, parfois entourés de chiens et capables de communiquer entre eux pour s’organiser, ceux-ci entendent les pas du joueur et affichent autour de leur visage un baromètre graduel d’alerte qui augmente leur attention. Au joueur de rester le plus discret possible. A cette mécanique de base parfaitement huilée et périlleuse, le studio -à qui l’on doit également Dark Messiah of Might and Magic– ajoute encore des règles combinatoires -entourées d’armes à flèche ou à feu plus classiques- à découvrir sur le tas.

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Pour peu, Dishonored prend des allures de jeu de réflexion. Lancer un cadavre dans une cour infestée de rats pour que ceux-ci ne dévorent pas le joueur, étouffer une servante qui est sur le point de donner l’alerte, se téléporter dans le dos d’un ennemi pour le saigner en toute discrétion. Impossible de recenser toutes les subtilités en présence tant elles pullulent.

Pour ouvrir le champ de ses actions possibles, Dishonored cache en outre des runes dans des recoins vicieux de sa cité. Celles-ci débloqueront de nouveaux pouvoirs ou développeront un peu plus d’autres déjà acquis. Ces promesses de récompense mettent bien entendu le joueur un peu plus en danger, encore. Et le poussent même parfois à retourner dans un nid de vipères qu’il vient de quitter.

Talents assassins

Se traduisant également par l’absence de cartes et de GPS indiquant la position des ennemis, l’élégance rare du gameplay de Dishonored contamine également son esthétique et sa galerie de personnages. Comme peints en 3D à coups de pinceaux singuliers, ceux-ci puent la peste et le désespoir. Les missions du jeu dépeignent ainsi avec force une société totalitaire aux accents orwelliens où les nantis festoient pour oublier le désespoir d’une peste grimpante. Au-delà du gameplay, l’influence d’Harvey Smith, le père du légendaire Deus Ex se fait clairement sentir.

Blindés aux accents de la Seconde Guerre mondiale, soldats sur échasses, hôtel de ville emprunté à Germania (1) et autres bordels de velours enfumés participent également à l’ambiance décadente dessinée avec force par Viktor Antonov, le créateur de la Cité 17 d’Half-Life 2. « A la base, Harvey et moi voulions faire un jeu à Londres en 1666, pendant la peste. C’est comme ça que tout a commencé », détaille Raphael Colantonio. « Ensuite, pour des raisons de gameplay, pour infiltrer des lieux protégés, nous avions besoin de dépeindre des technologies alternatives. Viktor Antonov était l’homme idéal pour ça! »

Traversé d’une grosse touche de sciences occultes qui se traduit par l’apparition récurrente d’un personnage mystérieux nommé l’Outsider, Dishonored peint une société où la graisse de baleine est devenue une source d’énergie principale. Son esthétique steampunk évoque sans surprise Bioshock, sur lequel une partie de son équipe a travaillé. Un cauchemar éveillé créé par une dream team, on appelle ça comment au fait?

(1) PROJET URBANISTIQUE FOU D’HITLER VISANT LA RECONSTRUCTION DE BERLIN.

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