Child Of Eden: danse avec les poulpes

Avec Child Of Eden, Tetsuya Mizuguchi transforme le jeu vidéo en boîte à rythme et en expérience synesthésique hallucinée grâce au Kinect. Bienvenue dans la nu rave party du créateur de Rez.

CHILD OF EDEN, ÉDITÉ PAR UBISOFT ET DÉVELOPPÉ PAR Q ENTERTAINMENT, ÂGE +7, DISPONIBLE SUR PLAYSTATION 3 ET XBOX 360 (KINECT RECOMMANDÉ). ****

Répressif envers les drogues jusqu’à diaboliser le cannabis, le Japon administrait aux joueurs des 4 coins du monde un psychotrope digital puissant en 2001. Nommé Rez, ce trou de ver kaléidoscope mélangeait l’esprit graphique de De Stijl au son des raves des années 90. Ken Ishii et Coldcut étaient même de la partie. Depuis, Tetsuya Mizuguchi, son créateur, n’a cessé de jouer aux apprentis chimistes inspirés en livrant des mutants bizarres. Adepte de mix ludiques étranges, le codeur originaire de l’île la plus au nord du Japon déstabilisait également l’essence des shoot them up (1) et des puzzle games en mélangeant leur gameplay à celui de jeux de rythmes musicaux façon Dance Dance Revolution. Aujourd’hui, ce dandy sous acides pixélisés revient à ses premières amours en revisitant Rez via Child Of Eden.

Il aura fallu 2 chocs à Mizuguchi pour arriver au statut d’icône, de père du jeu vidéo indie dont la patte se retrouve chez Joost van Dongen (Proun) et Jonathan Mack (Everyday Shooter). « Je n’aurais jamais imaginé devenir créateur de jeux, ce n’était pas quelque chose de très cool, au début des années 80. Juste des jouets, avance-t-il timidement. Mais je n’oublierai jamais Pong, mon premier jeu. Que du noir et blanc, mais j’ai immédiatement senti que quelque chose de différent se passait à l’écran. J’étais abasourdi. »

Le second déclic survient après ses études d’esthétique des médias, à la Faculté des arts de la Nihon University. Mizuguchi supervise alors la production de Sega Rally Championship chez Sega. « En 1994, j’ai découvert la techno, la trance et les rave parties en Suisse et en Allemagne. Les vagues de basses, les boucles hypnotiques et les lumières m’ont cloué sur place. Je me suis alors immédiatement souvenu de la synesthésie de Vassily Kandinsky. Je l’avais étudiée à l’université, sans vraiment y prêter attention. » Ce phénomène neurologique associant spontanément un sens humain à un autre avait ainsi amené le célèbre peintre abstrait à imaginer des couleurs et des formes lors d’un opéra de Wagner au théâtre de la cour de Moscou. « Je voulais intégrer cette idée à quelque chose d’interactif. Rez était né. »

Mer nippone et montagnes russes

Plus encore que ses graphismes atypiques entre Vasarely et Mondrian, l’association de 2 styles de jeu à priori incompatibles frappe dans Rez. Child Of Eden lui emboîte aujourd’hui le pas et mise également sur un mélange de jeu de rythme musical et de shoot them up. Plus baroque que les précédents aplats de couleurs de Rez, ce voyage électronique glisse sur un rail invisible vu à la première personne. Des formes géométriques complexes éclairées aux néons dansent dans Child Of Eden mais l’ensemble reste amniotique. Peuplé de créatures florales, de méduses translucides et de bancs de poissons étranges, le voyage bucolique entretient l’esprit utopique des raves improvisées en rase campagne.

Si Child Of Eden peut se jouer à la manette sur PlayStation 3 et Xbox 360, la vision de Mizuguchi ne transparaît réellement qu’avec sa version Kinect. Face à la caméra de la console de Microsoft, on bouge alors alternativement le bras droit pour cibler via le verrouillage automatique ou le gauche pour tirer en manuel. La relation avec le jeu devient corporelle. On se surprend ainsi à caresser le dos d’une baleine en mouvement pour (plus facilement) éliminer des parasites collés sur sa peau. Une danse de salon s’installe et l’esprit des free parties apparaît, encore.

« Je vise une expérience pluri-sensorielle procurant une sensation de bien-être corporel », note Mizuguchi. Articulé autour d’une mémoire digitale de l’humanité à sauver, le scénario, plongé dans un univers digital parallèle à la Tron, est donc ici secondaire. « Au tout début du projet, j’avais écrit une histoire pour mon équipe sous forme de très long poème assez vague. A chacun son interprétation, poursuit-il. Mais je pense que le jeu vidéo est avant tout une question d’expérience, de fun. Les grosses histoires ne rendent pas les jeux amusants. »

Loin d’être narratif, Child Of Eden bat donc au rythme des sensations. Au-delà de sa plastique jubilatoire et de son gameplay extra-terrestre, le trip hyper immersif de Mizuguchi marie comme jamais la création musicale au jeu vidéo. Tirer sans discontinuer sur un ver volant « branche » ainsi certaines pistes (vocaux, rythmique…) de la bande originale techno et J Pop du jeu. On mixe en direct, en bougeant les bras, par tir interposé. Tapissés de carrés rouges mobiles et clignotants, certains boss ressemblent même à des séquenceurs midi. « Inconsciemment, les bruits d’explosion des shoot them up des années 80 comme Xevious m’ont influencé, lâche Mizuguchi. Il y avait ce son aigu qui revenait sans cesse comme un instrument en boucle. »

Imparfait, Child Of Eden livre parfois une action confuse et un univers un peu court sur pattes. Paradoxalement, sa difficulté pourra en outre rebuter certains béotiens. Il n’est donc pas rare de recommencer plusieurs fois un même niveau pour décrocher suffisamment d’étoiles et passer à l’étape suivante. Pas grave, on veut bien rester des heures devant les toiles spatiales de Mizuguchi.

Rencontre Michi-Hiro Tamaï, à Paris

(1) JEUX DE TIR POPULAIRES DANS LES ANNÉES 80 ET 90 OÙ LE JOUEUR PILOTE UN VAISSEAU SPATIAL, UN AVION OU UN ROBOT. SPACE INVADERS EN EST L’ANCÊTRE.

Mizuguchi incompris« Il y a 10 ans, il était tellement difficile de communiquer sur Rez que le département marketing de Sega a fini par me demander ce qu’était cette merde! Pour eux, le jeu devait être du divertissement, mais c’était de l’art. Personne n’y comprenait rien. Même mon équipe grimaçait lorsque je lui demandais certaines choses. » Réalisateur des clips et des effets spéciaux live de Genki Rocket et patron de Q Entertainment (Lumines, Meteos… ), Mizuguchi s’édite aujourd’hui via Ubisoft après un passage chez Namco Bandai. « Rez a poussé beaucoup de gens à essayer d’expliquer leurs expériences sur le Web, ce qui a permis de garder l’attention sur le jeu. Ils croyaient au futur du jeu et ont aidé le titre à se recycler. »

M.-H.T.

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