Broken Age, retour au gaming 90’s

Broken Age © DR
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Enfant terrible des jeux d’aventure des années 90, Tim Schafer revient à ses premières amours avec Broken Age. Un point & click drôle, féroce et oedipien qui confirme le retour d’un genre supposé mort.

Une mère castratrice qui conserve son fils dans du formol et des parents indignes prêts à nourrir Mog Chothra -un monstre mythique- en sacrifiant leur fille. Les deux destinées adolescentes et parallèles ouvrant Broken Age mettent en scène des conflits oedipiens avec une force rare. Proche d’un conte drôle et cruel, le premier volet de ce point & click (1) signe le retour aux affaires de Tim Schafer, pape d’un genre déclaré mort depuis la fin des années 90. Derrière ce come-back inespéré où plane l’ombre des cultissimes Grim Fandango et Monkey Island, on trouve des fans transis qui ont explosé le compteur Kickstarter du projet. Un record longtemps brandi comme un exemple en termes de financement participatif. Un jour mon prince viendra?

2,4 millions d’euros de financement (via des précommandes), au lieu des 290.000 euros initialement demandés: la citrouille s’est transformée en carrosse pour Schafer et son équipe basée à San Francisco. Cet écrivain contrarié n’est pourtant pas le seul créateur ludique à revenir d’outre-tombe par ce biais. De nombreux jeux de rôle old school hantent ainsi les pages du site de crowdfunding. Brian Fargo, l’ancien patron d’Interplay, travaille actuellement sur Torment: Tides of Numenera (financé à 2,9 millions d’euros) tandis que Jordan Weisman repense son Shadowruns de 1989 pour 1,3 millions d’euros.

Broken Age file lui sur la première vague de projets débarquant concrètement dans les bacs. Se vantant d’être un batteur rock jonglant simultanément avec six baguettes dans sa vidéo promo sur Kickstarter, Schafer s’y mettait également en scène en train de chaparder pathétiquement des billets verts à un fan. Passée la provoc où on le voyait rouler des joints avec des coupures et négocier en mode corporate avec une peluche (façon Muppet Show), le bouffon formidable qui pourrait jouer dans un film des frères Coen a malgré tout respecté son contrat. Ou presque puisque le projet a finalement été divisé en deux volets, le second étant annoncé pour cette fin d’année.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Illusion d’optique

Quinze ans après Grim Fandango, dernière aventure d’une série magistrale (Monkey Island, Day of The Tentacles, Full Throttle…), le Broken Age de Schafer remet le couvert. Derrière le pitch, Vella Tartine et Shay Volta, deux ados et autant d’univers que le gamer incarne et parcourt parallèlement, sautant à l’envi et en temps réel d’un vaisseau spatial loufoque à un village dont les sourires et les pâtisseries peinent à cacher la nature psychopathe. Point commun entre ces deux destinées: s’échapper d’un sort funeste tracé par une figure parentale néfaste. Comme si de rien n’était, la bourgade de Sugar Bunting se prépare ainsi à envoyer la belle Vella Tartine dans l’estomac de Mog Chothra.

Coincé seul dans une gigantesque navette spatiale dirigée par une intelligence artificielle baptisée Maman, Shay Volta se voit, lui, proposer des missions urgentes, vitales et finalement bidons pour tuer le temps. Avalanche (de crème glacée), embuscade (de bisous), coque extérieure attaquée (par un cadeau)… Ces passe-temps finissent par tourner en boucle jusqu’à révéler leur vraie nature. Au joueur de trouver la faille pour s’échapper d’une routine évoquant celle de Bill Murray dans Un jour sans fin. Auréolé d’une mise en scène magistrale, Broken Age multiplie ainsi les trompe-l’oeil à tous les niveaux. Une recette que Schafer utilisait déjà dans les attractions touristiques pathétiques de l’increvable Sam & Max Hit The Road en 1993.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Plus récemment, le come-back de Ron Gilbert -son binôme de longue date- sur The Cave ravivait également les années d’or de Lucas Arts, à coup d’illusions. Avec, en récompense, la découverte toujours jubilatoire de l’envers du décor. Des montagnes suisses en carton-pâte, un gourou doublé par Jack Black, une cuillère pour céréales bavarde et exagérément emphatique sur sa mission de nutrition « qu’elle attend depuis toujours », des personnages en laine d’une gentillesse énervante… L’imaginaire de Schafer est sans borne. Visuellement, l’impression de contempler un mélange d’aquarelles et de dessins aux crayons pastel domine. Comme Ancel sur Rayman Legends, le créateur reprend son travail 2D là où il l’avait laissé en 1998.

Farouchement plus original que de nombreux films d’animation récents, Broken Age souffre toutefois d’un gameplay chétif, propre au genre. Explorer des décors et dialoguer avec des personnages pour résoudre des énigmes: la formule qui avait fini par lasser de nombreux joueurs dans les années 90 refait surface. Plus logique dans ses casse-tête et plus ergonomique (on ne découvre pas des pièces par hasard), la dimension ludique de Broken Age s’installe dans une routine ludique après quelques heures. Un songe 2D dans le récent parcours tout en 3D (Psychonauts, Brütal Legends) de Schafer?

Pourquoi c’est culte?

Au début des années 90, Lucas Arts rénovait sérieusement les jeux d’aventure autrefois textuels via un système d’icônes intuitives. Au-delà de cette révolution technique (pour l’époque), la bizarrerie et l’humour des productions hyper narratives emmenées par Tim Schafer et Ron Gilbert sont restés gravés dans la mémoire collective des gamers. Inspirée (avant le film) de l’attraction Pirates des Caraïbes, la série des Monkey Island déroulait ainsi des pirates ridicules s’affrontant à coups de duels d’insultes… à retenir par coeur. Malgré une production conséquente également alimentée par Sierra (Space Quest, Gabriel Knight… ), le genre a fini aux oubliettes, condamné par la 3D mais aussi par un gameplay tapissé d’énigmes nonsense rallongeant artificiellement leur durée de vie. Aujourd’hui, le jeu vidéo indé reprend avec bonheur cet héritage, pour le renouveler. En témoignent les indispensables Gemini Rue, Gods Will Be Watching et Machinarium.

(1) JEU D’AVENTURE SE PRATIQUANT EXCLUSIVEMENT À LA SOURIS.

  • Broken Age, édité et développé par Double Fine Productions, âge: NC, premier épisode (sur deux) disponible en téléchargement sur Steam. Infos: www.brokenagegame.com

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content