LES J.O. DE LONDRES 2012, C’EST POUR JUILLET PROCHAIN. EN ATTENDANT LA FIÈVRE OLYMPIQUE, LA CAPITALE BRITANNIQUE DOUBLE SON OFFRE SPORTIVE D’UNE ACTU CULTURELLE CHARGÉE. EXPOS, CONCERTS, FESTIVALS… EXEMPLE AVEC LE CAS MARK RONSON, CHARGÉ DE PONDRE L’HYMNE DU PRINCIPAL SPONSOR DES J.O. OU COMMENT PASSER DE LA PISTE D’ATHLÉTISME À LA PISTE DE DANSE…

Hackney, East London. Un terrain vague bitumé, à l’ombre du stade olympique, situé quelques centaines de mètres plus loin. Mark Ronson et Katy B prennent la pose devant le mur sur lequel a été peint un gigantesque graffiti. Une fresque de 25 m sur 10, représentant 5 athlètes entourant le duo. Baptisée Beat Wall, l’£uvre fait partie de la gigantesque campagne promo que Coca-Cola a lancée en vue des J.O. de Londres, qui démarreront le 27 juillet prochain. La marque de soda est le plus ancien sponsor des Jeux olympiques, présente depuis ceux d’Amsterdam en 1928. Autant dire qu’elle ne laisse rien au hasard, et prévoit de mettre le paquet sur ce qui reste le plus grand événement sportif mondial, avec la Coupe du monde de football.

Partie essentielle de l’offensive marketing, la chanson Anywhere in the world, que la marque a commandée à Mark Ronson. Particularité du morceau: il a été composé essentiellement à partir de sons de sportifs en action. Sont ainsi présents au générique: l’Anglais Darius Knight (tennis de table), l’Américain David Oliver (110 m haies), la Mexicaine Maria Espinoza (Tae-kwon-do), le Singapourien Dayyan Jaffar (tir à l’arc) et la sprinteuse russe Kseniya Vdovina. A charge du célèbre producteur anglais de mettre tout ça en musique, la jeune starlette pop-dubstep Katy B (les hits On a Mission, Lights On) prenant à son compte la partie vocale.

Ronson n’est évidemment pas un inconnu. Né à Londres, mais ayant principalement vécu aux Etats-Unis, il a grandi entre les cultures pop et hip hop. Après des premiers pas en tant que DJ, il s’est mis à la production. Il a ainsi travaillé pour Lily Allen, Adele, Duran Duran ou encore les Black Lips. Mais son plus haut fait d’armes reste encore le Back To Black d’Amy Winehouse. Il sort également ses propres disques, blindés d’invités prestigieux. Sur le dernier, Record Collection sorti en 2010, on trouve notamment les tubes Bang Bang Bang ou encore Somebody To Love Me. Quand on le croise ce matin-là, l’homme au répertoire téléphonique le mieux garni de la pop actuelle est coiffé d’une impeccable banane, ponctuant un look à la fois cool et élégant. Rencontre.

Vous avez joué en tant que DJ à l’after party organisée après la dernière finale de la Champion’s League; maintenant les Jeux Olympiques… Vous êtes vraiment fan de sports?

A fond. Je suis moi-même un piètre sportif. Mais j’adore le foot, le basket… J’ai joué des deux, mais pas assez bien pour faire partie d’un club. Surtout aux Etats-Unis où j’ai grandi, et où les gamins sont concentrés sur le sport dès leur plus jeune âge. Mais en bossant sur ce titre, Anywhere in the world, avec des athlètes, j’ai découvert beaucoup de similarités entre le sport et la musique. Comme le goût de la performance, le fait de fixer ses propres buts…

Un même sens de la compétition aussi?

Il est beaucoup plus intense dans le sport. Mais c’est vrai qu’il y a tous ces défis que vous vous fixez. Quand vous rentrez en studio, vous tentez toujours de faire quelque chose d’encore mieux que tout ce que vous avez pu faire auparavant. C’est une compétition perpétuelle contre vous-même. Un athlète comme David Oliver essaie évidemment de battre le gars qui court à côté de lui. Mais dans le même temps, il essaie aussi de repousser ses propres limites. Je peux me retrouver là-dedans. Dans ce sens-là, la compétition est quelque chose de sain. Classer davantage de titres au sommet des charts que tel autre artiste ne m’intéresse pas. Ce n’est pas vraiment comme ça que je travaille. Les gens que j’écoute et que j’admire comme DJ Premier font des disques depuis 25 ans et ne courent pas après les tubes. Ils essaient juste de maintenir un certain niveau de qualité dans leur travail.

C’est la première fois que vous travaillez de cette manière, en samplant des sons « naturels »?

Oui. J’ai voyagé à travers le monde, pour capter tous ces athlètes à l’entraînement. J’ai d’abord été à Singapour pour enregistrer l’archer Dayyan Jaffar. Au départ, je ne voyais pas trop quoi faire avec ce que j’avais collecté. Le son n’était pas très intéressant. J’ai alors rencontré ce gars, Denis Baxter, qui bosse depuis 20 ans sur la retransmission sonore des J.O. pour la NBC. Il m’a conseillé de disposer une série de micros à 20 mètres d’écart. Cela a commencé à devenir plus excitant. On a aussi placé trois micros sur la cible en les bougeant de place pour trouver le meilleur son au moment de l’impact de la flèche. Ce qui a fini par donner une sorte de sample de bass drum énorme. On a expérimenté comme ça de plusieurs manières. Avec la coureuse russe Kseniya Vdovina, par exemple, on a capté son pouls. Son rythme cardiaque était de 120, soit le BPM du morceau. Au final, c’est donc son c£ur qui donne le rythme de la chanson… C’est intéressant parce que de moi-même je n’aurais sans doute jamais pensé enregistrer le son d’un homme en train de courir. Cela ressemble un peu à des field recordings, qu’il a fallu découper, réarranger… Au final, cela a donné quelque chose qui se rapprochait un peu des premiers Timbaland-Missy Elliott.

Pourquoi avoir accepté la proposition?

Je suis né à Londres, je vis en partie ici… Recevoir l’opportunité de représenter ma ville signifie énormément pour moi. Puis le projet en tant que tel m’intéresse beaucoup… Spécialement depuis la campagne de la Coupe du monde, pour laquelle Coca a utilisé la chanson de K’Naan, Wavin’ Flag. C’est un très chouette titre à la base. Je me rappelle avoir croisé K’Naan avant la Coupe du monde et lui avoir dit que c’était vraiment un bon morceau, que cela pouvait devenir un tube énorme. Et ce fut le cas! Une autre raison d’accepter la commande était l’opportunité de pouvoir bosser avec Katy, dont je suis fan. Je pense qu’il n’y a pas de meilleure chanteuse pour représenter le son du young London.

Pour composer le thème principal d’un James Bond, un certain nombre d’éléments sont indispensables. Est-ce pareil pour un hymne olympique?

Je pense qu’il faut y retrouver un truc triomphal, un peu à la Chariots de feu, de Vangelis. Quelque chose d’euphorique, de victorieux, mais qui ne sonne pas non plus trop agressif, genre on est les meilleurs, on va écraser tout le monde. Le but était d’être davantage dans la célébration, de dégager un sentiment d’exaltation…

Vous êtes d’abord connu en tant que producteur. Quel est son rôle selon vous?

Cela dépend avec qui vous travaillez. Si vous bossez avec un rappeur comme Ghostface Killah, la tâche consiste à lui filer un beat et une musique sur lesquels il peut poser son flow. Avec Katy B, on s’est assis à deux devant un piano. Finalement, le rôle du producteur, c’est de bâtir une chanson et de mettre le chanteur dans les conditions pour qu’il puisse donner le meilleur de lui-même. Ce n’est pas tellement une question d’ego. Votre son doit s’adapter et changer selon l’artiste avec lequel vous travaillez.

Aux extrêmes, le producteur est celui qui, soit, modèle entièrement le son de l’artiste, soit, à l’inverse, se contente d’appuyer sur le bouton REC. De quel côté vous situez-vous?

Vous faites toujours un peu les deux. Jusqu’ici, j’ai eu la chance de bosser avec des artistes qui avaient une vision très claire de ce qu’ils voulaient faire. A ce moment-là, vous vous contentez de les aider à concrétiser leur vision, de filer les stéroïdes nécessaires à leurs idées pour passer la ligne d’arrivée. Avec Amy Winehouse, elle m’a dit simplement qu’elle voulait écrire un disque qui sonnait comme les girl groups des années 60, mixé avec le son de la Motown. Donc vous êtes là pour faire ça.

Producteur, c’est ce que vous faites de mieux?

Je pense, oui. J’ai aussi une activité en tant que DJ, et je pense que c’est très important dans ce que je fais. En jouant des disques en clubs ou en festivals, vous vous rendez compte de ce qui fait bouger les gens, comment ils réagissent à la musique… Mais, à la fin de la journée, quand je mourrai, ce serait sympa de voir gravés sur ma tombe tous les titres des grandes chansons sur lesquelles j’ai pu travailler, plutôt que la liste des clubs les plus cools dans lesquels j’ai joué.

Cela pose-t-il encore un problème pour un musicien de travailler avec des marques?

Je n’ai pas tant collaboré que ça avec des marques. C’est peut-être la deuxième fois… Mais aujourd’hui, le fait est que l’industrie musicale et les labels n’ont plus trop d’argent pour enregistrer encore des disques. Donc quand une marque automobile vous demande si vous ne voulez pas aller à la Nouvelle-Orléans pour faire un titre avec Erykah Badu ou que Coca vous propose de voyager autour du monde et de faire un titre avec Katy B, pourquoi pas… Aussi longtemps que la musique qui en ressort est assez bonne, au point que je pourrais l’inclure dans l’un de mes propres albums, ça ne me pose pas de problèmes. Puis vous savez, une marque comme Coca-Cola aurait pu prendre n’importe quelle star mondiale. Ils auraient pu simplement se contenter d’appeler Will.I.am, par exemple. Le fait qu’ils aient demandé à Katy et moi, qui ne sommes tout de même pas non plus des pop stars interplanétaires, est une belle opportunité.

Vous faites le modeste…

Non, non, en dehors de la Grande-Bretagne et de l’Europe, nous ne sommes quand même pas si connus que ça! Pouvoir toucher autant de gens est une chance. Donc, oui, il y a dix ans d’ici, la question de la collaboration avec les marques pouvait encore faire débat. Mais quand entre-temps vous entendez le London Calling des Clash dans une pub, ou Led Zeppelin, ou même le Revolution des Beatles, que voulez-vous encore dire? Que vous êtes plus authentique que les Beatles? Its’not gonna happen… ( sourire). l

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ENTRETIEN LAURENT HOEBRECHTS, À LONDRES

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