Photo sensible

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Réédition d’un passionnant ouvrage où Henri Alekan livrait ses réflexions sur sa pratique et sur son art.

Né à Paris en février 1909 et décédé à Auxerre en juin 2001, Henri Alekan est légitimement considéré comme l’un des plus grands directeurs de la photographie de l’Histoire du cinéma français (et au-delà), dont il a traversé presque un siècle d’existence. Technicien exigeant doublé d’un véritable poète de l’image, il a travaillé avec les réalisateurs les plus visionnaires de son temps: Abel Gance, René Clément, Jean Cocteau, Marcel Carné, Joseph Losey, Wim Wenders, Raoul Ruiz… Excusez du peu. Or, Alekan n’était pas qu’un immense artisan: il était aussi un grand penseur, voire un véritable théoricien, de sa pratique et de sa discipline. Comme le prouve Des lumières et des ombres, généreux livre-somme qui s’adresse, nous dit-il en préambule, à tous ceux qui se montrent “soucieux d’approcher le mystérieux complexe des lumières et des ombres dans la nature et dans les arts”.

Initialement publié en 1984, cet ouvrage devenu culte reparaît aujourd’hui dans une version augmentée et richement illustrée. Alekan nous y initie en toute humilité, mais fort d’une expérience considérable, à la science de l’éclairage et à l’essence de son métier de sculpteur de lumière. Pour ce faire, il en réfère volontiers à son impressionnante connaissance de la tradition picturale. En effet, si, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Alexandre Astruc parlait de caméra-stylo pour promouvoir l’idée d’un réalisateur pleinement auteur de ses films (comme un écrivain peut l’être vis-à-vis de ses romans), avec Alekan on aurait presque envie de parler de caméra-pinceau pour promouvoir l’idée d’un directeur photo en pleine possession de sa palette de maître face aux images à composer. L’un des chapitres les plus féconds de son bouquin tient d’ailleurs en une passionnante étude comparative entre la lumière des peintres (le Caravage, Georges de La Tour, Rembrandt…) et celle des cinéastes.

Les Ailes du désir de Wim Wenders.
Les Ailes du désir de Wim Wenders. © National

Dans sa préface au livre, Alain Robbe-Grillet écrit magnifiquement: “Alekan sait que le réel est toujours plus étrange, plus beau, plus irréaliste que cette image conventionnelle et sans surprise qu’on cherche à nous imposer. Aussi affirme-t-il avec force sa position délibérée du côté du rêve, de la poésie, du surnaturel, c’est-à-dire de la création, à chaque instant, d’un merveilleux monde nouveau.” Henri Alekan, en effet, a singulièrement retenu la leçon du travail sur l’image de Boris Kaufman pour L’Atalante de Jean Vigo: “Ne pas calquer la nature, mais la transcender par la lumière.” Chez lui, les considérations purement techniques ne sont jamais gratuites et ne se suffisent jamais à elles-mêmes: elles servent une finalité créative où la puissance expressive des images tient lieu de révélateur de la vérité cachée des âmes. Une belle leçon de cinéma.

Des lumières et des ombres

D’Henri Alekan, éditions de La Table Ronde, 384 pages.

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