Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LE GRAND PALAIS PRÉSENTE 156 PHOTOGRAPHIES, INÉDITES POUR LA PLUPART, DE RAYMOND DEPARDON. OU COMMENT LE REPORTER A APPRIVOISÉ LA COULEUR.

Un moment si doux

RAYMOND DEPARDON, GRAND PALAIS, À 75 008 PARIS. JUSQU’AU 10/02.

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La carrière et la vocation de photographe de Raymond Depardon sont parmi les plus touchantes qui soient. On le sait, l’homme est d’origine modeste, fils de fermiers, « monté » à Paris en 1958. Il a 16 ans. A son propos, on ne peut s’empêcher de citer un passage de la Vie d’André Dufourneau de Pierre Michon (dans Vies minuscules), qui relate le destin d’un orphelin de l’assistance publique parti à la capitale pour accomplir les servitudes militaires: « Il vit une ville; il vit les chevilles des femmes des officiers quand elles montent en voiture (…). Il sut qu’il était un paysan. » Ce statut de hors venu, de candide qui ignore les codes et les « roueries » de la langue telle qu’on la parle loin des campagnes, a été celui de Depardon -il s’entend encore aujourd’hui lorsqu’il s’exprime à la faveur d’une interview. Le photographe s’est d’ailleurs expliqué sur ce destin pas banal, convoquant les rimes de Verlaine: « Je suis venu, calme orphelin-Riche de mes seuls yeux tranquilles. » Ce qui peut s’apparenter à un obstacle au départ, la non-appartenance à un monde, s’est transformé au fil du temps en une planche de salut pour Depardon. Couplée à son dur désir de photographie et à une certaine méfiance pour le verbe, cette disponibilité a préservé l’extériorité de son regard, faisant de lui un reporter en toute circonstance. L’homme a su garder un oeil d’enfant sur sa pratique -« Argentiquement, je fais partie de la génération qui a découvert cet incroyable miracle qu’est faire une photographie. J’aime beaucoup l’idée du photon qui arrive sur l’argent, qui le noircit, qui l’imprègne, qui jette son noir de fumée ou son encre de pieuvre« -, là où tant d’autres se bardent de cynisme. Emouvante est également la fidélité du créateur de l’agence Gamma à ses racines. L’ascenseur social emprunté, qui n’a monté les étages que dans le regard d’autrui, ne l’a pas empêché de consacrer une fascinante trilogie cinématographique au monde paysan et à ses interminables silences.

Avènement chromatique

Un moment si doux s’attache à la question de la couleur à travers l’oeuvre de Depardon. Bien que présente dès l’origine, elle n’est d’abord qu’un second choix occulté par le règne du noir et blanc. De la fin des années 50 au début des années 80, elle est pour lui un passage obligé: « Je crois que je faisais de la couleur parce qu’il fallait faire de la couleur. Je n’en étais pas vraiment satisfait; la technique n’étant alors pas encore très performante. » Puis, c’est le choc. « J’ai eu la révélation de la couleur au début des années 80 (…). Tout à coup, la couleur m’est apparue comme une évidence. Il y avait dans la cour de la ferme le tracteur de mon frère, un Massey Fergusson rouge et la mobylette de Nathalie, ma nièce. Je ne pouvais pas photographier cela en noir et blanc. La couleur est trop importante. (…) C’était en couleurs que je devais photographier cette modernité. » Depardon, qui s’est toujours considéré comme un photographe noir et blanc, change alors son fusil d’épaule et glane une série de clichés en couleurs au fil de ses reportages. Plutôt que d’être reliés par une thématique précise, ceux-ci se caractérisent par une certaine distance, une retenue. De la couleur comme filtre posé sur le monde, qu’il s’agisse de l’Ethiopie ou du Liban, du portrait d’Edith Piaf ou d’un autoportrait en scooter.

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MICHEL VERLINDEN

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