Paysages dépaysants

© CHARLES VAN HOORICK

Au-delà de ses nuances exotiques, cet album de presque 40 ans exsude aussi le Bruxelles eighties. Tentative de décryptage d’un intemporel transgenre réédité.

À la fin des années 70 et début de la décennie suivante, Bruxelles mute lentement mais sûrement. De ville de province un rien morne, hors-mode, à celui d’une multiculturalité contagieuse qui élargit l’esprit et la réputation de la cité. Parmi les acteurs du changement: la Raffinerie du Plan K, l’installation en ville d’Américains prolifiques (Tuxedomoon) et d’Israéliens progressistes (Minimal Compact), comme de compagnies de danses recrutant un maximum de talents étrangers. Époque où le label bruxellois Crammed Discs entame, en 1984, une série baptisée Made to Measure. En une dizaine d’années, cette collection publiera 36 disques, 33 tours vinyles bien sûr, de musique essentiellement instrumentale. Parfois sous couvert de succès, comme les BO de John Lurie pour les films de Jim Jarmusch.

Paysages dépaysants

Dogon connection

L’album dont il est question ici regroupe Benjamin Lew, Bruxellois qui aime les synthés poétiques, et Steven Brown, star multi-instrumentiste et alternative internationale via son groupe Tuxedomoon, collectif de San Francisco ayant migré à Bruxelles. Techniquement, le disque paraît une première fois chez Crammed Discs en 1982 et puis est réédité cinq ans plus tard dans la collection Made to Measure. Peu importent les étiquettes: la musique proposée teste le cours du temps. Et en 2021, ces neuf objets sonores remastérisés paraissent encore d’une belle fraîcheur. Même si l’une des sources d’inspiration avouées de l’album se trouve dans les écrits de Marcel Griaule (1898-1956), ethnologue français qui s’intéressera particulièrement aux Dogons. Ce peuple de la région du Mali, cultivateurs et sculpteurs, trouve dès le premier titre, Bamako ou ailleurs, une caisse de résonance. L’Afrique est ici un courant d’air soufflant le chaud sur plusieurs plages. Jamais de manière directe puisque le traitement emploie exclusivement des instruments occidentaux: synthés, boîtes à rythmes, clarinette, orgue, saxs, piano et percussions, Marc Hollander -le boss de Crammed- et l’ingé son Gilles Martin, complétant le line-up. Toujours en évitant de forcer le trait, sur des constructions un rien vaporeuses, raccords aux thèmes des morceaux évoqués dès le titre: De l’autre côté du fleuve, L’Île l’Hôtel, Dans les jardins. Ou encore ce Passage orientalisant, preuve que les rythmes se baladent aussi, même de l’Afrique à la Chine. Les grilles quasi exclusivement instrumentales dessinent autant des paysages que du dépaysement. Avec l’une ou l’autre accélération, comme Dans les jardins, où la douceur globale de l’album fait place à un crescendo menant à la transe, pendant près de huit minutes saupoudrées de percus et d’une curieuse voix semblant sortie d’une radio ancienne. De quoi se mettre en ondes courtes, celles qui mènent au bout du monde.

Benjamin Lew/Steven Brown

« Douzième journée: le verbe, la parure, l’amour »

Distribué par Crammed Discs. Le 03/11 aux Ateliers Claus, Bruxelles.

7

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