Parcours d’une combattante

Euzhan Palcy et Marlon Brando sur le tournage de Une saison blanche et sèche.

La réalisatrice martiniquaise Euzhan Palcy poursuit son chemin souvent difficile de cinéaste témoin, engagée sans faiblesse, sans relâche.

Euzhan Palcy reste fidèle à elle-même et à ses combats. Elle s’était révélée au début des années 80, avec un Rue Cases-Nègres admirable, évoquant la vie difficile des familles noires de Martinique attachées aux plantations de canne à sucre. Puis elle a confirmé, aux États-Unis (Une saison blanche et sèche, avec Marlon Brando) comme aux Antilles (Siméon), dans le documentaire (Aimé Césaire, une voix pour l’Histoire) comme dans la fiction (la mini-série Les Mariés de l’isle Bourbon). Ses sujets l’ont menée de sa Martinique natale à l’Afrique en passant par les États-Unis de Ruby Bridges (la toute première Afro-Américaine à intégrer une école jusque-là réservée aux Blancs), de l’apartheid à la lutte pour les droits civiques. Avec pour ligne créative ce qui reste aussi sa ligne de conduite: inscrire son engagement politique et culturel non pas dans la marge militante mais en « profitant du système pour y faire des films significatifs, engagés« .

La réalisatrice était à Bruxelles, invitée par le BIFFF qui présentait la version restaurée de son conte musical et fantastique Siméon (1). Toujours aussi charismatique, alliant charme et détermination farouche dans un captivant mélange auquel même Hollywood succomba en son temps, Euzhan Palcy a le discours ferme, et habité. « Il n’y a pas de hasard! Chaque être humain naît avec une mission. Certains d’entre nous en prennent conscience très tôt. D’autres l’ignoreront toute leur vie… Moi j’ai eu la chance de savoir très jeune ce que je voulais faire. Et dès cet instant je me suis efforcé de tout mettre en place pour la suite de mes combats. Car pour arriver à mes objectifs, je devinais qu’il y aurait des obstacles. Et en effet, il y en a eu (rire)! »

Handicap: être femme et noire

Car si elle put compter, pour Rue Cases-Nègres, sur le soutien et les encouragements de François Truffaut, Palcy se heurta très vite à un rude constat: « Les gens qui avaient l’argent nécessaire à faire les films n’aimaient pas les sujets que je leur proposais. Je me suis parfois heurtée au racisme, au sexisme également. Il faut dire ces choses, c’est la vérité! La situation n’a pas tellement changé, d’ailleurs. Demandez aux réalisateurs afro-américains ce qu’ils en pensent. Aujourd’hui encore, il m’est très difficile de faire financer mes projets (dont celui sur Toussaint Louverture (2), refusé par tout le monde), alors qu’on me bombarde par ailleurs de scénarios qui ne m’intéressent pas. Rien que l’an dernier, j’ai dit non à cinq films. »

Interrogée sur le racisme ambiant, toujours perceptible jusqu’aux sommets de l’industrie du cinéma, la réalisatrice parle de son « immense chagrin« , et d’une « plaie ouverte qui ne s’est jamais cicatrisée« . « Récemment encore, je disais à mon avocate américaine, qui elle-même est juive, à quel point il est douloureux et incompréhensible de se voir répéter que « female and black is not bankable ». Cela, on me l’a dit tant de fois, carrément en face! Et à cela, il n’y a qu’une réponse: créer, continuer à créer, jusqu’à faire exploser le plafond de verre. Ma grand-mère paternelle me répétait, quand j’étais contrariée: « Tu veux te plaindre? Allez, tu as une minute. Mais après cette minute, je veux que tu me dises ce que tu vas faire pour réagir, et quelle solution tu vois à ton problème… » Comme disait Césaire (le poète martiniquais, NDLR), le désespoir est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre. Césaire, c’était mon père spirituel. Quand j’ai décidé de quitter mon île pour aller étudier en France, je ne pouvais imaginer le faire sans aller le voir et le saluer. Je lui ai serré la main et je lui ai dit: « Je m’appelle Euzhan Palcy, vous ne me connaissez pas mais moi je vous connais, vous m’avez aidée à trouver ma voie, vous m’avez donné la clé de moi-même. Merci! » »

« J’ai une direction, que j’ai toujours suivie même si elle a parfois connu des zigzags. J’assume tout: les réussites, les échecs, les ambitions, les sacrifices« , clame haut et fort une artiste sur laquelle le poids des années et des déceptions (comme celle de l’arrêt brutal mis à ce qui aurait été le premier dessin animé « noir » produit par un studio américain, la Fox en l’espèce…) ne semble avoir aucune prise.

L’Afrique du Sud vient d’honorer Euzhan Palcy en l’accueillant dans l’Ordre des Compagnons d’OR Tambo. La plus grande distinction accordée par le pays à un étranger, et dont le nom rappelle Oliver Reginald Tambo, prédécesseur de Nelson Mandela à la tête de l’ANC. Elle retrouvera bientôt les plateaux de cinéma pour un film biographique consacré à Bessie Coleman, la première femme noire aviatrice. « Cela fait 20 ans que je cherchais à faire ce film, et toutes les portes se fermaient. Un héros noir, et une femme, en plus! Impensable… Mais tout ça m’a rendu terriblement résiliente. Je n’abandonne jamais. Je n’oublie jamais. Bessie Coleman est morte en 1926, mais depuis que je me suis rendue sur sa tombe, je ne cessais de lui parler, de lui dire qu’un moment viendrait où l’épopée qu’est sa vie, des champs de coton où elle travaillait toute petite à sa mort en plein vol, pourrait être racontée au monde… et donner de l’espoir à beaucoup de gens. Son histoire donne envie de soulever des montagnes! »

(1) Sortie en Blu-ray et DVD début juin.

(2) Descendant d’esclaves et fer de lance de la Révolution haïtienne, porteur des Lumières, abolitionniste et militant de l’émancipation des Noirs, cet homme politique de premier plan mourut en captivité, en 1803.

Rencontre Louis Danvers

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