Serge Coosemans

Par amour de la science et au service du journalisme immersif, je me suis drogué!

Serge Coosemans Chroniqueur

Les drogues numériques? Par amour de la science et au service du journalisme immersif, Serge Coosemans s’en est infligé tout le week-end. Il nous fait part de ses expériences et de ses conclusions. Du gonzozo dans toute sa splendeur. Sortie de route, S04E10.

Ce week-end, je me suis camé comme un gros cochon aux « drogues digitales », c’est-à-dire des fichiers MP3 et des vidéos sur YouTube censés « hacker » l’activité cérébrale, exactement comme le font les produits stupéfiants. Ca n’a pas vraiment fonctionné, peut-être parce qu’à 45 balais, mon ouïe de vieille bique ne perçoit plus certaines fréquences. Ou peut-être parce qu’il faut croire ces scientifiques qui soutiennent que ces fichiers audio ne produisent pas plus d’effets sur l’humain que l’écoute complète d’une cassette vierge, ce qui n’empêche pourtant pas beaucoup de jeunes d’affirmer drôlement kiffer ces « digital drugs ». Cette mode fait flipper certaines autorités, dont celles du Liban et de l’Arabie Saoudite, qui chercheraient tout simplement à interdire l’accès à de tels fichiers MP3, pourtant souvent dénoncés comme une simple arnaque. Certes, les effets du son, audible ou non, sur le cerveau humain ne relèvent pas de la foutaise. On sait que certaines fréquences peuvent provoquer le malaise, la peur, éventuellement même des visions. Le principe de ces drogues audio qui produisent des « battements binauraux » reste toutefois sujet à controverse. C’est une société américaine un peu mystérieuse, I-Doser, qui les met sur le marché, vendues entre 3 et 200 dollars la pièce. C’est cher mais comme la plupart de ces fichiers ont été piratés ou copiés sur YouTube, on peut aussi les tester gratis. C’est ce que j’ai fait.

Première expérience: la cocaïne par les oreilles (vendredi 7 novembre 2014, 20h00)

La cocaïne est une drogue qui fait fantasmer à fond les ballons, en bien comme en mal. Certains s’imaginent qu’elle transforme instantanément en musicien de Duran Duran, d’autres en docker anversois. Moi, je trouve que c’est juste de la poudre de perlinpinpin qui fait parler très vite, boire trois bières le temps que l’on met habituellement à en boire une et péter, surtout péter. Bref, rien de très fantasmagorique et c’est bien pourquoi, c’est sans la moindre appréhension, ce vendredi soir, que je me lance au casque un fichier audio censé reproduire les effets de la cocaïne. Le son est atroce, vraiment, mais je tiens bon. Un quart d’heure plus tard, je suis hilare, détendu, je me fais des pâtes au thon que je trouve divines et je termine joyeusement une bouteille de Matines (Campagne Bacchus 2012, un délice, merci Titulus!). Curieusement, sans vraiment l’avoir voulu, ma soirée s’achève devant un documentaire sur les complots entourant le 11 septembre, sujet qui ne m’intéresse pourtant absolument pas. Un moment, je me surprends à me demander si ces « drogues digitales », vu qu’elles marchent surtout dans les pays arabes, ne seraient pas une invention subversive de la CIA? Petite descente parano, comme avec de la véritable schnouffe? Mais nooooon.

Deuxième expérience: l’orgasme (samedi 8 novembre 2014, 13h30)

Au lit, le casque sur la tête, je choisis la Orgasm Frequency, censée donc produire des orgasmes au bout d’un quart d’heure d’écoute de bruit blanc. Le son est comparable à celui d’un balais passé dans des feuilles mortes et ça m’énerve. C’est carrément abominable, je ne parviens pas à tenir jusqu’au bout du fichier. Il faut vraiment être un maniaque du balayage extérieur en automne pour chercher un orgasme au travers de cette torture auditive. Surtout que ça peut être réglé en cinq minutes chrono sur PornHub.

Troisième expérience: bien se dégager les sinus (samedi 8 novembre 2014, 14h00)

Tant qu’à faire, pourquoi ne pas tenter de me guérir de mon rhume? Je tombe sur un fichier censé apaiser les sinus malades et les migraines. Une fois de plus, le son est dégueulasse, mais devient curieusement apaisant à la longue, presque doux. Je me mets à entendre dans le casque de curieuses basses, qui ont l’air déplacées dans le contexte. Je les pense d’abord sorties de mon imagination mais c’est en fait la voisine du bas qui écoute du folklore manouche le volume à fond. Je me barre au bistrot en maugréant et, sans surprise, au deuxième Café-Cognac accompagné de 4 sucres, mon rhume semble guéri. Je suis toutefois scientifiquement obligé de souligner que ce traitement m’a coûté 19,80€ + le pourboire. Pour un résultat tout aussi aléatoire que la digital drug Sinus Relief, puisque le lendemain, mon pif est à nouveau en feu.

Quatrième expérience: Marijuana Sensation (dimanche 9 novembre 2014, 14h00)

J’ai fumé un joint en 1987, en 1990, en 1993 et en 1999 et j’ai, à chaque coup, détesté ça. À chaque fois l’impression de me transformer en chanson de Jean-Louis Murat. C’est donc non sans appréhension que je décide de m’infliger ce dossier audio, surtout motivé par l’envie d’avoir vraiment quelque-chose d’atroce à raconter dans cette chronique. Assez curieusement, je ne trouve cette fois pas le son désagréable du tout. Il me fait penser à celui d’un baffle resté allumé sur une plage. On entend une sorte de ressac au loin, j’aime bien. Au bout de quelques minutes, j’ai même un soudain fou rire, parce qu’en pensant à comment améliorer cette chronique, il me passe par la tête qu’il faut absolument rajouter une vanne de proutes au passage où je parle de cocaïne. C’est grotesque, pas à faire, mais je me marre bêtement, joyeusement, sincèrement, innocemment. Je me demande forcément si la drogue digitale ne serait pas là en train de faire son effet puisque la marijuana est justement censée provoquer des fous rires. Je n’ai toutefois ni la gorge sèche, ni l’envie de manger du phoque, donc, ce n’est tout de même pas tout à fait ça. Déception.

Cinquième expérience: ÇA MARCHE, PUTAIN (dimanche 9 novembre 2014, 16h00)

Sur un remix de Nine Inch Nails par Coil, Trent Reznor grommelle « I want to fuck you like an animal » sur une boucle saturée, et j’ai la vision d’un Slenderman affamé de sexe sanglant passant la porte de la chambre à coucher, à la recherche de ma chérie. Quand la boisson énergisante s’absente du frigo, je retrouve la pêche sur des morceaux de Sepultura, La Muerte, Blur, de l’acid-house, Nick Cave première période, de la techno à la Silent Servant… J’aime travailler sur des BO troubles, Twin Peaks jadis, The Social Network aujourd’hui, que je trouve idéales parce que mélangeant adroitement sentiments troubles, angoisses diffuses et envolées célestes. Talk Talk et David Sylvian me font l’effet d’un bon bain chaud, les premiers Roxy Music celui d’une overdose, Kid Loco et Melody Nelson réveillent l’envie de faire l’amour, et Peer Gynt et Schubert, tout comme l’album Passion de Peter Gabriel, peuvent me faire chialer. Je me souviens de tout ça à une trentaine d’heures d’aller me chercher ma dose d’ecstasy à 95 décibels, ce lundi soir, à l’excellente Bozar Night. Bref, pourquoi diable écouter des « digital drugs » aux sons aussi ridicules que désagréables alors qu’il existe des tonnes et des tonnes de bonne musique dont les effets sont aussi efficaces qu’avérés sur la chimie du cerveau et le coeur humain? C’est quand même aussi vrai.

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