Paix afro-cubaine

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

QUAND LE PIANISTE CUBAIN OMAR SOSA RENCONTRE SECKOU KEITA, CHANTEUR ET MAÎTRE SÉNÉGALAIS DE LA KORA, LA MUSIQUE EXPRIME LA SÉRÉNITÉ COMME LE PLAISIR.

Omar Sosa et Seckou Keita

« Transparent Water »

DISTRIBUÉ PAR PIAS.

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C’est l’histoire d’un pianiste cubain immigré en Espagne et d’un musicien ouest-africain aujourd’hui installé dans un village proche de Nottingham, au centre de l’Angleterre. Les périples qui les ont amenés à immigrer dans d’autres pays, en étapes multiples, racontent déjà le désir de récolter d’autres graines que celles de la naissance. Leurs discographies forment autant d’éponges et de musiques aux sangs mêlés, chronophages d’un monde voulu sans frontières. Sosa a 51 ans -treize de plus que Keita- et s’est donné comme philosophie de terrain de jouer aussi avec des musiciens en dehors de ses zones de confort que sont le jazz et les rythmes afro-cubains. Lorsqu’il rencontre Keita en 2012 sur la scène londonienne du batteur Marcus Gilmore -petit-fils de Roy Haynes- il sait qu’un dialogue doit s’ouvrir avec le Sénégalais aux racines maliennes et cette kora qui incarne le statut de griot comme des promesses de récits millénaires.

Bach latin

Raconteur d’histoires, Sosa est aussi un chercheur d’harmonie, celle qui régne en oxygène de vie, au-delà du clavier matériel. L’heure de musique proposée ici tient d’abord d’une science poussée de l’improvisation: sur des grilles sommaires, le quinqua cubain a voulu poser le maximum d’instants du moment, capturés en fulgurances tendres. Les treize morceaux respirent cette stratégie qu’est l’absence de contraintes, prise de risque assumée par la virtuosité des instrumentistes. Ici, tout n’est que finesse et complémentarité, émotions gazeuses et beautés douces, berceau fertile sur lequel se penchent d’inhabituelles fées. Au gré des titres, le piano est en promenade, insolent de facilité, imprégné de jazz et d’afrocubism bien sûr, mais poussant la gamme jusqu’à la maîtrise absolue d’un Bach latin (Thiossane, Tama-Tama). Keita n’est pas en reste, sa kora sert de guirlande dans la nuit, cristallin lumineux sur les déambulations de la mélancolie (Another Prayer). Si sa dextérité pour jouer cette afro-harpe à 21 cordes est remarquable, Keita est aussi un chanteur de même talent: une sorte de Salif Keïta (no connection) moins volubile, du genre à susurrer à l’oreille des autres invités de l’album, Wu Tong et sa flûte traditionnelle chinoise, Mieko Miyazaki et son koto à cordes pincées et les rythmiciens Gustavo Ovalles et Steve Argüelles. De ces moments uniques, on tire une finesse d’écoute rappellant les disques supérieurs de Vincent Segal et Ballaké Sissoko. C’est dire le niveau contagieux de cette passionnante entreprise.

PHILIPPE CORNET

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