Critique | Livres

Les pages mouvantes de Claire-Louise Bennett

4,5 / 5
© Mark Walsh

Claire-Louise Bennett, éditions Gallimard/Scribes

Caisse 19

288 pages

4,5 / 5
Anne-Lise Remacle Journaliste

Entre mémoires et autofiction, Claire-Louise Bennett reconstitue en sept balises le puzzle mouvant d’une lectrice et autrice.

Après l’énigmatique L’Étang, l’autrice britannique Claire-Louise Bennett (qui comme Sally Rooney ou Nicole Flattery provient du vivier de The Stinging Fly, revue et maison d’édition irlandaise) revient avec une proposition qui n’est pas moins originale et fascinante, brouillant les pistes entre autofiction, mémoires et fables littéraires mis en abyme. De l’enfance à l’âge adulte, une jeune femme trace d’un crayon virevoltant les moments qui l’ont forgée depuis la découverte de l’intimité que crée l’écriture avec d’autres gens, jusqu’au client russe récurrent qui lui a mis Par-delà le bien et le mal de Nietzsche entre les mains alors qu’elle travaillait dans un supermarché. Caisse 19 célèbre de façon vivifiante le pouvoir de l’imagination, la façon dont les mots amènent à se tracer une trajectoire libre. Il le fait avec une forme qui s’autorise les changements de personne narrative, les digressions, les sauts temporels ou les répétitions à la Beckett. Il n’est donc pas étonnant d’y voir en exergue un extrait de Malina d’Ingeborg Bachmann, agissant presque comme un motto ou un modus operandi: “Ce qui compte aussi, c’est le fait de feuilleter, de courir, de fuir d’une page à l’autre […] ce qui compte […] c’est l’assurance de la vie dans une seule phrase et la réassurance des phrases dans la vie”. Dans sa façon de restituer l’irrégularité ou les soubresauts d’une existence (y compris les événements déplaisants) mise sous tension grâce à la littérature, Bennett n’est pas éloignée d’une Deborah Levy, avec qui elle partage la volonté d’élargir le champ des expériences racontées des femmes mais aussi l’indignation quant au peu de moyens financiers et de marge de manœuvre qu’il leur est souvent donné.

Tant d’autrices encore à lire

Dans la partie Ne voulez-vous pas faire entrer les oiseaux?, l’autrice dissèque tout ce qui constitue déjà ou ne constitue pas encore dans sa jeunesse la bibliothèque de sa narratrice-éponge. Il y a quelque chose de radical mais aussi de rassurant dans cette façon d’avouer qu’on n’a pas tout lu, qu’il (nous) reste une “chair bouillonnante” à nourrir de Renata Adler, de Madeleine Bourdouxhe, d’Anaïs Nin (plutôt que d’Henry Miller) ou d’Anne F. Garréta. La découverte de The Female Malady: Women, Madness and English Culture1830- 1980 d’Elaine Showalter (“elle y soutient que ce sont nos représentations culturelles sur la façon dont les femmes doivent se conduire qui les ont rendues folles”) sera un brasier où alimenter sa colère. Comme tout livre puissant infusé avec justesse d’autres voix, Caisse 19 les fait ricocher et nous donne aussi férocement envie de plonger dans Talking to Women (1965) de Nell Dunn, un recueil d’interviews dans lequel on retrouve une toute jeune Edna O’Brien (Girl) ou l’expérimentale Ann Quinn (autrice chère à Bennett).

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