Laurent Raphaël

L’édito: Super-héros, stop ou encore?

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Flash-back. Dans les années 70 et 80, les gamins (à l’époque les gamines étaient priées de jouer à la Barbie) avaient le choix entre trois super-héros: Superman, Batman et Spider-Man. Leurs aventures se déclinaient pour l’essentiel en dessins animés bourre-pifs et en séries télé théâtrales sponsorisées par Lycra. L’audience de ces programmes pour enfants sages était assez limitée. Les adultes avaient mieux à faire et il fallait beaucoup d’imagination pour retrouver dans ces histoires un brin stéréotypées et répétitives l’esprit pop et la critique sociale souterraine des comics de Jack Kirby ou Bob Kane, vénérés par une petite communauté de fans. Quant à Wonder Woman, elle offrait certes une autre perspective, sauf qu’elle était entièrement dévouée à un homme, le major Steve Trevor. Son émancipation était donc toute relative.

La sortie sur grand écran de Superman en 1978 a marqué un premier tournant dans l’irrésistible ascension des produits Marvel et DC Comics: avec ses effets spéciaux époustouflants, ses méchants redoutables et son début de questionnement moral, le film de Richard Donner a propulsé la figure du justicier tout-puissant dans une galaxie audiovisuelle nettement plus porteuse. Spider-Man et Batman allaient d’ailleurs rapidement suivre le mouvement, et innover en perfectionnant le très rentable concept de franchises.

Trente ans et des poussières plus tard, l’ex-sous-genre longtemps méprisé s’est mué en industrie florissante qui fait vivre les grands studios comme les plateformes. On leur reproche même de surexploiter le filon pour masquer un cruel manque de créativité. Mais puisque le peuple en redemande, pourquoi prendre le risque de se casser les dents sur des projets artistiquement plus ambitieux? D’où cette avalanche d’hommes élastiques, de torches humaines, de femmes électriques, de mentalistes ou de transformistes sur les petits et grands écrans. Les super-héros ne dorment plus. Ils triment comme des livreurs Deliveroo.

Si les vétérans Batman et Spider-Man font toujours recette au milieu d’une galerie de nouveaux venus comme WandaVision ou de vieilles connaissances (Avengers, X-Men, etc.), Superman n’a plus eu l’occasion de briller. Et pour cause: le plus puissant défenseur de la veuve et de l’orphelin est trop lisse, trop parfait, trop blanc, trop ancien monde pour accrocher les désirs des nouvelles générations. Son retour annoncé mais déjà plusieurs fois reporté est donc scruté avec attention. On peut déjà pronostiquer que celui qui enfilera le slip moulant et la cape rouge sera moins tendre et candide que l’original, incarné par Christopher Reeve.

Car un bon super-héros doit désormais avoir des failles, un côté sombre et tourmenté. Des imperfections qui le rendent plus humain et facilitent l’identification. Reflet de son temps, il se fond dans le décor. Ce n’est pas pour rien qu’on voit fleurir les candidats issus de la diversité. Ms. Marvel débarque à point nommé. Elle s’inscrit dans la lignée de Black Panther, premier super-balèze africain. Dans le genre, The Boys (Prime Video) rafle la mise en convoquant tous les sujets qui polarisent aujourd’hui les débats: masculinité toxique, capitalisme sans foi ni loi ou encore racisme structurel. Le tout assaisonné d’un humour décapant et gore n’épargnant aucun des tics du moment, du wokisme à la téléréalité en passant par l’inclusivité.

Le super-héros cartonne car il est le réceptacle de nos désirs de transcendance – un moteur narratif universel déjà présent dans la mythologie – et surtout de nos pires défauts. On se lassera probablement un jour de leurs prouesses. Mais peut-être pas avant que la science ait transformé le corps humain en véritable Übermensch. Et pas tant que les scénaristes n’auront pas asséché le marais. À quand un Green Man biodégradable et vegan, capable de dépolluer un site industriel ou une rivière d’un regard laser?

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