PAS FACILE DE TOUCHER LES JEUNES QUAND ON EST UNE RADIO DE SERVICE PUBLIC. PURE FM EN SAIT QUELQUE CHOSE. « ENCOURAGÉE » À BOUGER LES MEUBLES APRÈS DES CHIFFRES D’AUDIENCE CATASTROPHIQUES, LA STATION RECADRE UN PEU SON PROPOS. VERS UN PLUS GRAND FORMATAGE, S’INQUIÈTENT CERTAINS? LA PAROLE À LA DÉFENSE…

En route pour Reyers. Dans l’autoradio, Pure FM passe Paradise, la scie de la jeune Bruxelloise Noa Moon. La rentrée radio n’a lieu que trois jours plus tard, mais le patron de la station « jeune adulte » de la RTBF a accepté de déjà évoquer les ravalements de saison et autres changements prévus dès le lundi suivant. « C’est une rentrée avec ses ajustements, mais ce n’est pas la première, ni la dernière. Elle est aussi importante que les autres », insiste Rudy Léonet. Certes. Difficile pourtant de ne pas évoquer le contexte dans lequel s’est concocté la nouvelle grille, pas forcément le plus euphorique qui soit. La faute aux chiffres d’audience du printemps dernier: le CIM créditait alors Pure FM de 2 % de parts de marché. Depuis, l’audience a repris (légèrement) des couleurs: 2,7 % lors de la dernière vague du mois d’août. Cela ne reste malgré tout pas bien gras pour une radio qui en 8 ans n’a jamais tout à fait réussi à décoller -là où Classic 21, née comme Pure des cendres de Radio 21, caracole aujourd’hui à 9 %, 2e performance des radios de la RTBF, devant la Première…

Du coup, les rumeurs n’ont pas manqué de courir tout l’été. Le débarquement d’un consultant français, notamment, a fait beaucoup jaser: d’aucuns y voyant l’arrivée d’un « mercenaire » chargé d’accélérer le formatage de la radio. Et surtout son rajeunissement.

Rendez-vous manqué

Le problème est en effet de plus en plus préoccupant: l’âge moyen de l’auditeur de Pure FM tourne désormais autour des 39 ans. Soit bien au-dessus de la cible de départ, les 18-35. Francis Goffin, directeur des radios de la RTBF, avoue: « Pure FM est notre seul ancrage dans la jeunesse. Il est donc indispensable pour nous de rajeunir l’audience actuelle. » En réalité, la chaîne a toujours eu du mal à conquérir ce public. Mais depuis un peu plus d’un an et demi, le vieillissement de l’audience s’est accéléré. En Europe, le cas n’est pas isolé. Les pays où les radios de service public ont su conquérir leur public jeune ne sont pas forcément légion: Studio Brussel à la VRT, Couleur 3 en Suisse romande… En France, par exemple, Le Mouv’, créé en 1997, connaît encore et toujours des audiences à tout le moins anecdotiques. « Chez certains, la libéralisation des ondes est arrivée assez tard. Du coup, les radios publiques de ces pays-là ont eu le temps de se préparer à l’arrivée des radios privées, de mettre au point une stratégie d’anticipation. La VRT, par exemple, a lancé Donna en 92 (MNM aujourd’hui, ndlr), une radio relativement jeune avec un format puissant, basé sur les hits (il faut cependant nuancer: une station comme Studio Brussel, plus pointue, existe depuis 1983, ndlr) . A la RTBF, il y a eu Radio Cité, puis Radio 21. Mais la fréquence a très vite évolué vers une cible adulte. »

Un boulevard était donc ouvert pour les Contact, Fun et autres NRJ, qui ne se sont pas… privées. Résultat: nous sommes en 2012, et la RTBF court toujours derrière l’auditeur de moins de 30 ans. « Aujourd’hui, nous n’avons certes pas vocation à rattraper le train qu’on a loupé, en se calquant sur les radios commerciales. Il n’empêche que notre objectif est d’avoir une radio jeune et qui doit avoir un certain succès. » Avec un chiffre d’audience en tête? « Aujourd’hui, Pure FM se situe entre 2 et 3 %. Ce n’est clairement pas suffisant. Mais l’ambition n’est pas non plus de faire 5, 6, 7 %. Les études nous montrent par exemple que Pure FM est écoutée par des groupes sociaux parfois supérieurs à ceux de la Première ou même de Musique 3. Il y a un problème: on a visé trop haut. On doit rajeunir, être plus fédérateur. Trouver notre voix à côté de ceux qui occupent la scène mainstream. »

Du filtre au goulot

Pour cela, Francis Goffin l’assure: pas question de sacrifier pour autant la mission de découverte de Pure FM. La man£uvre relèvera pourtant de plus en plus de l’exercice d’équilibriste, Pure FM profitant de la rentrée pour réduire sa playlist en journée. Rudy Léonet réfute, avant de concéder du bout des lèvres. « On a un travail d’édition à faire. Sans pour cela arriver aux extrêmes de certaines chaînes commerciales. » Certains pourraient pourtant déjà avoir l’impression d’entendre les mêmes titres en boucle, toute la journée. Francis Goffin insiste: « Soit on donne la chance à beaucoup de monde sur une plate-forme peu porteuse. Soit on réduit quelque peu la dispersion en bénéficiant d’un environnement plus porteur. La porte sera donc plus étroite. Mais les débouchés plus importants. » Du côté des maisons de disque, les réactions sont d’ailleurs partagées. Entre celles (sans surprise, les majors surtout) qui se réjouissent de voir leurs titres bénéficier d’un plus grand impact; et celles qui craignent au contraire d’avoir de plus en en plus de mal à placer leurs poulains.

Car si la « nouveauté » reste officiellement l’un des fers de lance de la chaîne, l’audace et la curiosité font plutôt office de bonus. La cerise sur un gâteau qui ne doit pas être trop difficile à ingurgiter. C’est en tout cas ce qu’on comprend entre les lignes. Rudy Léonet: « Nous ne sommes plus en 98. La fonction de la radio a radicalement changé. Elle est toujours un filtre pour le public d’amateur éclairé. Mais par contre, cela ne sert à rien de courir derrière l’amateur pointu: on ne le sera jamais assez pour lui, à partir du moment où la musique qui l’intéresse est à portée de clics. Auparavant, quand Pompon parlait d’un nouveau groupe dans son Rock Show , le seul moyen de l’écouter était de rester collé au poste ou de filer à la médiathèque. Aujourd’hui, en un clic, n’importe qui peut trouver l’info sur le groupe et écouter sa musique. La fonction de découverte de la radio n’est plus vraie aujourd’hui. »

Internet. C’est à la fois le drame et la principale raison de se réjouir pour une chaîne comme Pure FM. « Les chiffres d’audience du CIM sont une chose, explique Rudy Léonet . Mais ce n’est pas le seul critère d’évaluation. Il y a d’autres paramètres plus encourageants, voire triomphalistes. Comme ce qu’on réalise sur le Net. Depuis plusieurs mois on est le site radio le plus consulté en visiteur unique par semaine en Communauté française; on explose tout sur Facebook, on a 10 000 followers sur Twitter, notre compte YouTube atteint les 2 millions de vidéos vues… Comment faire pour que le trafic, l’intérêt pour le contenu développé sur le Web, se transforme en auditeurs radio? »

Que viennent chercher les internautes sur le site de Pure FM? « Il y a surtout du trafic quand la radio parle d’elle-même et des gens qui la font. La matière exclusive. Pas forcément des interviews de grandes stars que tout le monde aura rencontrées dans le même salon d’hôtel, sur la même chaise, à la chaîne. Mais bien des contenus plus spécifiques, qui amènent une valeur ajoutée, comme par exemple une session acoustique avec un jeune groupe comme Great Mountain Fire. » Arrive alors le paradoxe, la question-piège: pourquoi pousser plus loin un formatage d’antenne qui ne donne pas de résultat, quand l’adhésion sur le Net aurait tendance à prouver que l’amateur est plutôt en quête de contenu exclusif? Réponse du berger: « Parce que, je le répète, la consommation n’est plus la même. Être opérateur radio ne veut plus dire la même chose qu’il y a 10, 15 ans. On va de plus en plus parler d’une marque, d’une enseigne, dont l’une des activités, certes principale, est la diffusion radio, mais plus la seule. En gros, le processus de découverte va s’opérer autrement qu’en passant par le canal radiophonique. Par exemple sur le Net. Il suffit de voir les études: un même auditeur curieux sera nettement moins exigeant quand il écoutera la radio. Il aura envie de se détendre, de ne pas être bousculé. Son besoin de découvertes, il l’assouvira sur le Net. C’est là que ça se passe. Il y a une porte unique -Pure FM-, mais plusieurs couloirs différents. »

Le plaidoyer est clair, le discours limpide. On y repense encore en quittant les bureaux du boulevard Reyers. De retour dans la voiture, on rallume la radio, toujours branchée sur Pure FM. Dans le poste, le même titre de Noa Moon…

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content