Carte blanche

« On nous permet d’aller voir des animaux en cage mais pas des artistes en liberté… »

Suite à l’annulation des Féeries de Beloeil qui devaient avoir lieu le 15 août prochain et rassembler 15.000 spectateurs, le créateur, producteur et metteur en scène de spectacles Luc Petit nous a fait parvenir cette carte blanche.

En ma qualité d’opérateur culturel privé de référence, j’ai, en effet mis en scène en Belgique francophone des spectacles joués, bon an, mal an, devant quelque 80.000 personnes en 2019, je me trouve avec mes partenaires de travail, à savoir: auteurs, chorégraphes, décorateurs, circassiens, musiciens, compositeurs, interprètes, comédiens et techniciens en pyrotechnie, lumière, son et effets spéciaux, face au silence assourdissant des pouvoirs publics censés encadrer et soutenir notre secteur…

Faut-il y voir le prélude à la minute de silence qui accompagnera notre extinction?

Condamnés à mourir sur scène comme Molière mais sans public?

Oui, c’est nos arts qu’on assassine! Suite à la crise Covid-19 et face aux difficultés qui sont les nôtres avec les annulations de spectacles à prévoir, j’ai alerté puis relancé la ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Une ébauche de dialogue est bien en cours mais tout en reconnaissant avoir été écouté, je déplore cependant d’avoir dû prendre l’initiative, de ne pas avoir eu de main tendue dès l’entame de la crise et surtout de n’avoir pas été entendu.

Ce manque de reconnaissance, non pas du public mais des instances culturelles, je le subis depuis plus de trente ans que je conçois, mets en scène et produis des spectacles en tant qu’opérateur privé, certes, mais bien souvent en partenariat avec des institutions publiques comme pour toutes les éditions de « Décrocher la lune » à La Louvière, les « Noëls des cathédrales » ou encore récemment à Bastogne.

Je me suis orienté seul, contraint et forcé, vers cette pratique originale et créative de montage de productions artistiques, les structures ou institutions culturelles « officielles » du sérail n’associant pas Luc Petit Création et l’asbl Les Nocturnales à leur programmation et les mécanismes de subventions ministérielles lui étant refusés eu égard à des critères qui lui échappent.

Et bien: dansez maintenant! (La Fontaine)

Un désaveu qui m’échappe, oui, d’autant plus que mes équipes et moi-même pratiquons depuis des décennies ce qu’appellent de leurs voeux la ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles, lors du dernier débat dominical de RTL, mais aussi des figures de proue du monde culturel belge, comme Fabrice Murgia et Bernard Foccroulle notamment dans leurs récentes interventions dans les médias: sortir la culture de ses murs, aller à la rencontre des publics, décloisonner, jouer dans les espaces publics…

« Décrocher la lune » a vu arriver des associations de terrain qui n’auraient jamais franchi la porte d’un théâtre ni surtout été partie prenante dans une création culturelle. Les équipes des « Féeries de Beloeil » ont été contactées par un institut d’enseignement adapté souhaitant participer à la création de décors. Et inutile de rappeler les succès de foule de ces spectacles qui mobilisent également des auteurs, les plus grandes troupes artistiques et les meilleurs techniciens du spectacle.

Je crois ainsi pouvoir affirmer avoir fait montre d’une créativité à 360° en proposant une approche combinant toutes les disciplines artistiques: théâtre, danse, cirque, pyrotechnie, chant, musique, valorisation du patrimoine… Et cela, avec la même exigence dans l’écriture telle que pratiquée pour les productions culturelles reconnues.

Une organisation comme « les Féeries de Beloeil » représente 300 cachets d’artistes et autant de prestations de techniciens, pour ne citer que cet exemple d’un secteur sinistré, en attente d’un peu de sollicitude et de réponses à ses interrogations.

Je m’étonne donc que trois mois après le début de cette crise, aucune piste de solution nous associant ne soit sur la table… à part la vague perspective d’une task force, sans échéance ni cadrage.

Ah! Non! C’est un peu court, jeune homme! On pouvait dire… Oh! Dieu!… Bien des choses en somme… (Cyrano)

Classiquement, on nous rétorque que la culture, « c’est compliqué ». Oui, depuis 30 ans, le constat est là: l’argent public ne peut tout financer…

N’est-ce pas là une raison de plus pour innover, inventer, oserais-je écrire: créer? Et profiler enfin un secteur culturel plus en phase avec les pratiques, les attentes du public et les messages d’aujourd’hui.

Je réitère donc ma requête. Comment faire pour être pris en considération par les arcanes du monde culturel quand on en est un « acteur » peut-être hors-norme, mais qui, finalement, n’a fait qu’anticiper ce que la crise Covid-19 a rendu évident:

le XXIe siècle sera culturel ou ne sera pas.

Quand on a demandé à Churchill de couper dans le budget des arts pour l’effort de guerre, il a répondu: « Alors pourquoi nous battons-nous? »

Bien sûr la crise est planétaire et transversale: elle frappe tous les secteurs économiques ou encore l’éducation, mais faut-il pour autant délaisser les arts du spectacle?

La dérive du confinement en a fait la démonstration par l’absurde: les événements artistiques dont nous sommes privés sont un ciment, un ferment qui crée du lien et sans lequel nous ne sommes que les animaux malades de la peste de la fable de La Fontaine.

Ce n’est pas un hasard si dans les régimes répressifs, quand on veut brimer l’espoir et la liberté d’expression, l’art et la création sont la cible de toutes les menaces du revolver de la censure.

Alors, puisque le public est encouragé à retrouver les animaux dans les parcs zoologiques, dites-nous s’il faut mettre des barreaux à notre créativité pour être enfin entendu…

Et si de votre côté les masques ont posé problème, sachez que nous, on les pratique depuis la tragédie grecque…

Luc Petit

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