Odezenne attitude: « Bleu fuschia, c’est notre côté gilets jaunes! »

© Edouard Nardon & Clément Pascal
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Moins d’un an après Au Baccara, les Français d’Odezenne relancent la roulette et reviennent avec Pouchkine. Où « le meilleur album du groupe », dixit les intéressés, pourrait bien être un EP cinq titres.

Depuis leur album Dolziger Str. 2, en 2015, Odezenne semble avoir trouvé ce derrière quoi tout le monde court: la fluidité. C’était la leçon d’Au Baccara, sorti l’an dernier: jamais le trio bordelais n’avait paru aussi à l’aise, conscient de ses limites et, plus encore, de ses potentialités, comme en état de grâce, capable de transformer la moindre contrariété en opportunité.

Electrons libres de la scène indé française, Odezenne se permet ainsi de remettre cinq nouvelles chansons sur le tapis, quelques mois à peine après l’album. Des morceaux qui étaient restés jusque-là coincés dans la « matrix », ou uniquement disponible sur Youtube (l’incroyable clip de Matin), et qu’un contre-temps – Stefano, frère de Mattia et batteur du groupe, qui se casse le poignet avant de repartir en tournée – a donné l’occasion d’accoucher. Raccord avec l’esprit de l’époque, Odezenne prolonge donc le plaisir d’une bromance artistique que rien ne semble atteindre. Avant d’à nouveau bouger les meubles?

Question bête: pourquoi sortir un EP et ne pas avoir gardé les morceaux en question pour revenir avec un véritable album?

Alix: On n’a jamais fonctionné comme ça. Quand on a des morceaux, qui semblent tenir ensemble et former une pièce cohérente – que ce soit un album, ou un EP -, on les lâche. Dans ce cas-ci, ils correspondaient aussi à la fin de cycle. À Bordeaux, on est en train d’acheter un petit immeuble, d’y monter un studio, où l’on pourra organiser des résidences, faire venir du monde. Cela va forcément changer notre manière de faire. En les sortant, c’était une manière de pouvoir redémarrer ensuite d’une page blanche.

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Mattia: Ce sont aussi des morceaux qui ont vécu déjà pas mal. Mais soit ils ne trouvaient jamais vraiment leur place sur les disques précédents. Soit ils n’étaient pas toujours aboutis: l’esprit était là, mais pas encore le corps. Comme mon frère à la batterie s’est cassé le poignet, cela nous a mis 6 semaines en chômage technique. On en a profité pour finir ce EP. Je ne suis pas certain que ces morceaux auraient encore trouvé une place dans le suivant. Une chanson comme Matin, par exemple, devait à un moment se retrouver quelque part: elle nous plaît vraiment, les gens l’adorent. Mais elle n’existait que sur Youtube. Il fallait qu’elle sorte. Elle collait bien aussi aux autres titres de l’EP, qui racontent un peu plus calmement les choses. J’ai l’impression qu’il y a un peu plus de maîtrise…

Alix: C’est peut-être notre meilleur disque en fait…

…Ce qui est encore plus fou, si l’on y pense. En n’en faisant « qu' » un EP, vous vous privez de la visibilité qu’offre la sortie d’un véritable album, avec toute la promo qui va avec, non?

Jacques: Bah, on s’en fout un peu de ça. Parfois, tu sors une assiette, il n’y a pas grand-chose dedans, mais elle est vraiment très bonne, voilà.

Alix: Et puis, concrètement, de quelle fenêtre promo parle-t-on? Force est de constater que justement, en terme de visibilité, ceux qui sont censés nous en donner ne sont pas toujours au rendez-vous. En clair, la grand-messe médiatique dont tu parles, on n’y a plus droit depuis 2015. Et je pense qu’on n’y aura pas droit avant longtemps. Donc on fait sans. Et c’est très bien comme ça. Notre promo, c’est le bouche-à-oreille.

Pouchkine
Pouchkine© DR

D’accord, mais même si le format est démodé, un album marque toujours un momentum. Pas seulement dans l’industrie, mais aussi dans l’esprit des gens.

Mattia: En 2014, on avait déjà sorti un EP, intitulé Rien. Or il s’est révélé hyper important pour nous. Il a permis de marquer la césure. C’est un peu le même principe ici.

Alix : Je me souviens d’un EP de Radiohead que j’avais acheté en Angleterre, et qui est devenu une référence pour nous tous. Je l’ai saigné, et au final il a été aussi important pour moi que leurs albums. À la limite, j’y suis même encore plus attaché, parce que c’est une référence un peu plus obscure, sortie sous les radars. Au final, on a envie de maîtriser notre agenda. Si à un moment donné, on a un disque à sortir, et des trucs à dire sous cette forme-là, on le fait… Regarde, on va faire notre première télévision en Belgique avec cet EP… (sourires)

Le morceau Bleu fuchsia revient sur la période où Jacques bossait au marché de Rungis. Pourquoi ce titre sort-il aujourd’hui?

Jacques: Parce que jusqu’ici, on n’avait jamais trouvé la bonne instrumentation. Là, c’est la première version qui met tout le monde d’accord. Après, c’est une histoire parmi tant d’autres. Mais elle fait partie de mon parcours. Pouvoir la faire vivre au sein du groupe était important pour moi. C’est beau de faire participer les autres à ce chapitre, même s’il est passé.

Mattia: En plus, on ne connaissait pas Jaco à cette période-là. C’est d’autant plus chouette de pouvoir récupérer cette partie de sa vie et de l’intégrer dans notre histoire.

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Les commentaires Youtube sous la vidéo sont souvent assez touchants. Vous les avez lus? « Merci pour tous ceux qui font des boulots merdiques et qu’on voit pas », ce genre de choses.

Mattia: Oui, il y en a plein du genre. C’est notre côté gilets jaunes! (rires)

Jacques: Mon père travaille encore là-bas. C’est un peu pour eux, ce morceau. Quand je retourne sur place, ils sont toujours là. C’est rare pour moi de pouvoir faire quelque chose qui a un écho dans la tête de vraies personnes. Je peux faire mon Rimbaud, tout ça. Mais là pour le coup il y a un truc plus vrai. Ces gens, ils existent.

En tant qu’artiste, il y a une « culpabilité » à avoir quitté ce monde-là?

Alix: Pas du tout. Je ne dis pas si on s’appelait Angèle et qu’on était vraiment sorti du truc. Mais en l’occurrence, on bosse 16h/jour, pour gagner moins de 2000 euros par mois. On est quand même au four et au moulin, à faire tourner une boite d’édition, de cobooking, etc. C’est un choix qu’on a fait à un moment donné, parce que les portes restaient fermées. Mais du coup, j’ai parfois l’impression qu’on gère une startup. J’ai des potes qui bossent dans des petites boites: hormis qu’ils ne montent pas sur scène, ils ont le même quotidien que moi: avec ces problèmes d’emprunt bancaire, de compta, de gestion de biens, etc. Récemment, on a passé deux mois sur la compta, avec des pénalités, parce qu’on n’avait pas eu le temps de la faire pendant la tournée. Au final, on a payé 12.000 euros de retard de TVA. Donc non, on ne culpabilise pas trop (sourires). Après, c’est évident qu’on a une chance incroyable de vivre ce que l’on vit! C’est quelque chose qu’on tient à célébrer.

Mattia: Au final, on reste quand même plus des artisans que des artistes. C’est vrai qu’on a énormément de chance d’avoir un retour sur ce qu’on fait. Et en même temps, avec Alix, on a monté notre premier groupe quand on était au collège. En résumé, on fait ça depuis qu’on a 15 ans. Donc ce n’est pas non plus qu’un coup de bol (sourire). C’est aussi un peu un sacerdoce.

Jacques: C’est très important de redire ça. Tu bosses tellement pour faire avancer ton projet, que tu n’as pas de culpabilité à avoir. Tu te donnes les moyens, on est tous les jours sur le pont, du lundi au dimanche. Mais on ne se plaint pas, au contraire. On célèbre ça. Notamment ce luxe et ce privilège de pouvoir faire ce qu’on veut – comment sortir un EP, huit mois après l’album (sourire). Il y a parfois une tendance chez certains artistes à geindre ou se lamenter à propos du succès, etc. Franchement, fais pas le miskine, ça sert à rien. Va chez Facom, faire du trempage de clé à molette, et on en reparle après. Ou comme dirait LIM, « mets-toi un doigt dans le cul, tu verras peut-être la Tour Eiffel » (rires).

Odezenne sera en concert le 24/10 au Théâtre National (Bruxelles) dans le cadre du Festival des Libertés. www.festivaldeslibertes.be

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