Le rappeur Hamza, en concert ce jeudi à Bruxelles: « Je dis pas mal de conneries »

Hamza, maître saucier. © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Planté l’an dernier par son label français, Hamza en a profité pour commettre le plus gros tube de sa carrière, Fade Up. Après la sortie de son album Sincèrement, il se produit sur la scène de l’ING Arena, ce jeudi soir.

Il n’aura fallu que trois jours. Septante heures, pas une de plus, pour que Hamza écoule toutes les places pour sa date parisienne, prévue à Bercy en novembre prochain. Le rappeur belge peut être rassuré. Même si on n’est pas certain qu’il ait jamais vraiment tremblé. Si je doute?, s’étonne l’intéressé. Euh, non, pas vraiment. Je ne suis pas quelqu’un qui réfléchit énormément. J’essaie surtout de conserver la passion: je vais en studio, je kiffe, je m’amuse. Quand vous vous mettez à trop cogiter, c’est là qu’arrivent les problèmes…

Les dernières années n’ont pourtant pas été un long fleuve tranquille pour le Bruxellois. Après la sortie de son projet 140 BPM 2, en 2021, les relations ont commencé à se tendre avec son label Rec. 118, l’enseigne française au catalogue XXL (Aya Nakamura, Ninho, Soprano, SCH). Jusqu’au clash final, et la fin de la collaboration. Aujourd’hui, Hamza fonctionne donc en indépendant. À Bruxelles, on le retrouve dans les bureaux de sa structure, installés dans une pépinières de start-up (là où Stromae a longtemps eu les siens). Derrière ses lunettes noires, il apparaît détendu. Sur le visage, un large sourire; et sur le dos, un sweat siglé du titre de son nouvel album: Sincèrement.

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La formule de politesse laisse supposer qu’Hamza s’est, cette fois, davantage mis à nu. C’est, en partie, vrai. Mais toujours, malgré tout, planqué derrière une convention. En l’occurrence celle que l’on balance à la fin d’une lettre, de manière presque automatique. Se livrer n’est pas un exercice facile pour moi. Même dans la vie de tous les jours, je ne suis pas quelqu’un qui se confie facilement. J’ai tendance à prendre sur moi. Peut-être par pudeur…” Sur Sincèrement, Hamza a beau se dévoiler (un peu) plus, son authenticité est ailleurs. Elle est d’abord celle d’un styliste, moins attiré par le fond que fasciné par la forme, mâchonnant les formules et les formats -rap, trap, r’n’b, drill, dancehall, etc.- pour en recracher sa propre version, inventant mélodies torves et rimes absurdes, cherchant à métamorphoser la moindre inflexion vocale en fulgurance.

Top chef

C’est en 2013 qu’Hamza Al-Farissi sort sa première mixtape, Recto/Verso. Au même moment, à Paris, dans les cuisines de l’hôtel Meurice, le chef étoilé Yannick Alléno gratte le fond d’une terrine de grouse. La matière est sale, visqueuse. Mais le goût est incroyable. Le chef a une révélation. Et décide de lâcher les feux du palace pour se consacrer à cet art gastronomique alors en voie de perdition: la sauce.

Hamza, lui, va trouver la bonne recette dès 2015. Sur la mixtape H-24, il fait mijoter et réduire les ingrédients qui lui donneront son premier tube –La Sauce– ainsi que son surnom -SauceGod. La vibe est ultra-ricaine, le verbe ridiculement salace. Dans le paysage francophone, le maître saucier détonne. En 2019, il sort un premier album “officiel”, Paradise, sur lequel il invite SCH, mais aussi Aya Nakamura et Christine & The Queens. La même année, Drake, de passage à Paris, le convie sur la scène de Bercy.

Certes, d’aucuns lui reprochent de n’être qu’un copycat des rappeurs cainris, une version yeah yeah des stars d’outre-Atlantique. Parce qu’il est né à Bruxelles (en 1994) et pas à Chicago, qu’il n’a pas grandi à Atlanta, mais bien à Laeken, la proposition d’Hamza va pourtant bien au-delà du simple mimétisme. Le secret? Il tient certainement aux heures innombrables passées en studio, enfermé jusqu’à l’aube, à tester et expérimenter.

Exemple en 2020, un dimanche matin de confinement. Il est 9 heures et quand on se branche sur Instagram, on tombe sur Mehdi Maïzi en train de discuter en live avec Hamza. Le journaliste est chez lui; Hamza est en studio. Il y a passé la nuit… “La période du Covid a été horrible par plein d’aspects. Mais franchement, pour moi, le confinement en lui-même a été plutôt bénéfique. J’ai pu prendre du temps pour moi, ma famille. Et puis, j’ai souvent été en studio. Ça m’a permis de poser les bases des projets suivants.” Dont l’ébauche de Sincèrement, mais aussi de 140 BPM 1 & 2, doublé qui verra Hamza frayer avec la drill anglaise.

« J’ai grandi dans la violence/avec un joint de beuh, j’ai appris à la romancer. » © DR

Malgré la matière accumulée, tout ne va cependant pas s’enchaîner aussi vite que prévu. À Paris, le label commence à traîner des pieds. “Après 140 BPM, ça n’allait plus trop, je sentais que j’étais un peu mis à l’écart. Ce n’était plus comme au début… J’ai l’impression que je parle d’une relation amoureuse (rires)… Mais voilà, ça arrive, c’est comme ça. J’ai tout changé, je ne travaille plus qu’avec Oz et Amir (Oz Touch et Amir Boudouhi, fondateurs du collectif de producteurs Street Fabulous et du label Trez Records, NDLR), et j’ai repris ma boîte tout seul.” Le temps de tout régler, le rappeur occupe le terrain en multipliant les featurings, de Dinos à Vald en passant encore récemment par Kekra (lire ci-dessous). “C’est toujours un plaisir de me retrouver en studio avec d’autres artistes, et découvrir de nouvelles manières de faire, ça donne de l’inspiration. Il y a aussi un côté un peu challenge, qui pousse à sortir le meilleur de vous-même pour être à la hauteur. Et puis, pendant le creux, c’était aussi important pour moi de montrer que j’étais toujours là…

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Ironie du sort: c’est aussi à ce moment-là qu’Hamza obtient son plus gros tube. “La gloire tient parfois à un seul couplet”, avait expliqué un jour SCH, en parlant de sa participation au carton de Bande organisée. Pour Hamza, elle prend la forme d’un hit dance comme seul l’été peut en tolérer: Fade Up, de Zeg P (et avec le copain SCH). “Clairement, il y a eu un avant et un après. Ce morceau m’a permis de toucher un nouveau public, qui m’a découvert à cette occasion-là.”

Fiction et réalité

Hamza aurait pu capitaliser sur cette vibe house. Au lieu de ça, le Bruxellois a préféré surtout creuser une veine plus sombre et introspective. Sur Sincèrement, le piano domine souvent -à l’instar du premier single Introduction. Quant au titre Codéine 19, ce sont carrément les violons qui prennent la main, avec des manières quasi “gainsbourgiennes” –“La Rolls Royce devant le Nobu”, scande Hamza, comme un écho à la Silver Ghost de Melody Nelson. “Oui, c’est vrai! Après, pour être honnête, je ne connais pas Gainsbourg plus que ça. Mais ça reste un grand monsieur. Et au final, il était pas loin d’être un rappeur, non?” (rires)

À côté des morceaux vaguement crépusculaires, Sincèrement réserve aussi quelques plages plus “légères”. Sur Codéine 19, le kid de Laeken annonce: “C’est bien d’avoir des connexions mais c’est mieux d’être le plug”. Artiste multiprise, Hamza invite ainsi le pote Damso Nocif, seule vraie douille dance de l’album, récréation à ce point décomplexée qu’elle se permet de sampler la scie Lady de Modjo-; mais aussi le jeune Tiakola -la suite de la roucoulade Atasanté; et le Nigérian CKay -l’afropop de Cocoro.

Teasée sur la scène des Ardentes l’été dernier, la collaboration avec l’Américain Offset, intitulée Sadio, est également incluse. “On savait qu’il appréciait ma musique, parce qu’il avait flashé dessus dans une interview vidéo pour le magazine GQ. Comme il était à Paris pour la Fashion Week, on en a profité pour enregistrer le morceau ensemble.” Au final, rarement un duo transatlantique n’aura paru aussi fluide. Il faut dire que Hamza a écouté en boucle les extravagances trap de Migos, le groupe dont fait partie Offset, et qui a profondément chamboulé le rap (et la pop) des années 2010.

© National

En novembre dernier, le trio a été endeuillé par le meurtre de Takeoff. Un mort de plus dans une scène rap américaine qui a tendance ces dernières années à les accumuler, comme rattrapée par ses démons les plus violents. En ce moment a d’ailleurs lieu le procès d’une autre star du genre, Young Thug, accusé d’appartenir à un gang. Cela n’empêche pas Hamza de rendre hommage à son idole. Il le fait avec le titre Free YSL acronyme du label qui aurait également servi de “couverture” aux activités criminelles de l’un des rappeurs les plus importants de la décennie écoulée. Particularité de l’affaire: pour consolider son dossier, le procureur s’est notamment basé sur les textes de Young Thug. Une démarche qui fait polémique aux États-Unis. “Honnêtement, je n’ai pas trop suivi les débats. Ce morceau, c’est d’abord une déclaration d’amour à la musique d’un artiste que j’ai toujours énormément kiffé.

Romance bruxelloise

Pour expliquer leurs textes parfois violents et sexistes, les rappeurs ont souvent invoqué la licence fictionnelle -pourquoi refuser au hip-hop ce que l’on accepte du cinéma, dans le jeu vidéo ou même dans d’autres genres musicaux plus “mainstream”? Aujourd’hui, la ligne entre fiction et réalité paraît cependant de plus en plus ténue. Comment Hamza gère-t-il lui-même ce rapport entre fantaisie et réel? “Mes morceaux restent basés sur un mélange entre des choses que j’ai pu expérimenter et de la pure fiction, de l’ego trip, etc. C’est vrai que le rap n’est pas toujours un environnement très sain. Mais c’est le milieu musical en général qui est comme ça. Si tu ne fais pas gaffe, tu peux vite glisser et déraper dans l’alcool, la drogue, etc. Si j’ai moi-même fait des erreurs? Bien sûr. Mais tu apprends. Aujourd’hui, j’ai grandi avec ma musique, je suis marié aussi depuis un an…” Plus loin, il ajoute encore: “J’avoue, mes messages sont pas tout le temps top, je dis pas mal de conneries, etc. Mais ce qui m’intéresse surtout, c’est d’être quelqu’un de bien dans la vraie vie. Un type correct, sympa avec tout le monde, présent pour sa famille. Ça reste le plus important.

Dans Ma réalité, mélancolie nocturne pondue par l’omniprésent Ponko, Hamza “mélodifie” ses habituelles rimes teigneuses, avant tout de même de glisser: “J’ai grandi dans la violence/ avec un joint de beuh, j’ai appris à la romancer”. Il n’en dira pas beaucoup plus. Le rappeur reste d’abord ce fondu de musique, retourné par le rap et le r’n’b américains. Un ket maroxellois pas vraiment destiné à la gloire, qui voulait “plaire comme les autres”, avant de se rendre compte qu’il “n’était pas comme les autres”, comme il le chante à la toute fin de Sincèrement.

Quelques phrases plus loin, il explique encore: “Dès mes 12 piges, j’étais sous médicaments. Jusqu’à ses 19 ans, Hamza devra en effet lutter contre une maladie rénale. “C’était une période très pénible. Parce qu’à cet âge-là, t’as envie d’être comme tous les autres gamins, de sortir t’amuser, etc. Moi je me retrouvais enfermé, à devoir prendre des médicaments, dont pas mal de cortisone. Ce qui jouait aussi sur mon moral. Mais le côté positif, c’est que ça m’a amené vers la musique. C’est un mal pour un bien.” Cloîtré chez lui, Hamza trompera en effet son ennui en passant des heures à programmer des sons. C’est l’histoire de la musique qui sauve. Avec Sincèrement, Hamza lui rend en quelque sorte la politesse. De la plus brillante des manières.

Hamza, Sincèrement (8), distribué par Just Woke Up. En concert le 16/11, au Palais 12, Bruxelles.

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