Notre Agent de Harlem: quasi invisible en 1973, refait par l’empire Disney en 2022?

The Spook Who Sat by the Door © DR
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

The Spook Who Sat by the Door, brûlot de blaxploitation de 1973 peu vu et quasi-censuré, deviendra-t-il, l’an prochain, une série FX, produite donc par l’empire Disney? Rien n’est moins sûr mais si bien mené, voilà un projet qui aurait de la couille, estime ce Crash-Test S07E01.

Sur Twitter, il y a ce compte que je suis: White Slaves of Chinatown (@OlgasGirls). Le couple texan qui l’anime est également aux manettes d’une chaîne YouTube (White Slaves of Chinatown 3D). On peut notamment y voir des films avec les Bee Gees en armures médiévales, un Batman turc, un autre Batman philippin, de vieux thrillers anglais, Jane Birkin à poil et William Shatner qui retrécit. Ce n’est pas toujours franchement légal et certains films ne relevant pas du domaine public disparaissent donc très vite du bouquet. C’est plus souvent encore simplement couillon, mais on y tombe néanmoins régulièrement sur d’étranges pépites. Ainsi, sans les White Slaves of Chinatown, je n’aurais probablement jamais entendu parler de The Spook Who Sat by the Door, demi nanar de 1973 qui fut, cet été, gratuitement visible sur la chaîne YouTube des Slaves durant quelques jours. Demi nanar mais bien drôle de film! Vu son scénario, son histoire et son contexte, il est même des plus intéressants! D’autant plus que là, au dernier trimestre 2021, il est fort question d’un remake sous forme de série télévisée, dont le pilote vient d’être tourné pour la chaîne FX. Étrange perspective, affaire potentiellement même explosive! Je vous explique pourquoi.

En 1969, Sam Greenlee, un poète afro-américain qui vit alors en Grèce, réussit à publier en Angleterre un roman jusque-là rejeté par pas mal d’éditeurs des deux côtés de l’Atlantique, car jugé beaucoup trop subversif. The Spook Who Sat by the Door est l’histoire, fictive, du premier agent noir de la CIA, engagé à la fin des années 60 sur base de discrimination positive pour raisons strictement politiques (en réalité, la CIA recrutait des Afro-Américains dès les années 1950). Son nom: Dan Freeman. Formé pour tuer, fabriquer des bombes, manipuler l’opinion et déstabiliser les pays communistes, il se retrouve pourtant des années durant préposé aux photocopies et guide attitré de politiciens et de journalistes accrédités, tous évidemment blancs, lors des visites officielles des bureaux de l’agence de renseignements. Dépité, Dan Freeman finit par opérer une réorentation de carrière pas piquée des hannetons: il démissionne de la CIA, retourne vivre dans le ghetto de Chicago et y entraîne à la guérilla urbaine des membres de gangs, des dealers, des étudiants, des activistes et des anciens du Vietnam. Freeman est tellement bon dans ce rôle que quelques mois plus tard, bardaf, c’est la guerre civile!!! « Pour la liberté, pas contre les Blancs!« , même si ceux-ci se prennent pourtant des kilos et des kilos de bastosses dans le citron le temps de scènes très « riot porn ». Violent et politiquement chargé, le bouquin devient rapidement culte et se traduit dans quelques langues étrangères, dont le français, sous le titre Notre agent de Harlem (a priori introuvable depuis). Dans la foulée, Sam Greenlee rentre aux États-Unis pour en co-écrire une assez fidèle adaptation cinématographique.

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Moins connu que Shaft et Superfly, le film est depuis généralement considéré comme un véritable classique, certes beaucoup plus obscur que populaire, de la blaxploitation. Il est aussi entouré de légendes. Ainsi, on dit souvent qu’il a été officiellement interdit aux États-Unis, ce qui ne semble pourtant pas être le cas. Il se raconte également que le FBI envoyait des agents dans les salles qui le jouaient afin de soumettre les exploitants à des pressions comme qui dirait extralégales. Ce n’est pas non plus très documenté mais c’est ce qu’ont néanmoins toujours soutenu Sam Greenlee et le réalisateur Ivan Dixon, tous deux depuis décédés à des âges respectables. En réalité, il semblerait que ce soit surtout United Artists, le distributeur, qui n’ait pas assumé le job de faire voir au plus grand nombre un film totalement indépendant susceptible de bien faire flipper l’establishment. Assurément, le succès potentiel de The Spook Who Sat by the Door a en effet été saboté. Peu de promotion, peu de temps à l’affiche. Même la bande originale, pourtant signée Herbie Hancock (en pleine période Head Hunters, en plus!!!) n’a finalement été pressée qu’en 2005. Le DVD n’existait alors lui-même que depuis un an ou deux. Avant cela, le film n’était uniquement visible que dans des versions piratées de la pellicule d’origine. Jamais passé à la télé. Jamais reprogrammé au cinéma, du moins pas à grande échelle.

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C’est une oeuvre qui se laisse donc voir sans déplaisir. Il y a un côté assez approximatif, fauché, l’aspect général faisant assez penser à un mélange un peu mal dosé de téléfilm seventies et de chaos potache à la George Romero. Un « B-movie » typique, donc. Une relique des années Vietnam/Black Panthers/FreakPower, dont les scènes d’émeutes s’inspirent clairement des véritables émeutes de Detroit, en 1967. Et donc, voilà qu’en 2021, FX, chaîne américaine payante à qui l’on doit déjà The Shield, Sons of Anarchy, American Horror Story et Nip/Tuck en envisagerait un remake. Le tournage de l’épisode pilote est même achevé depuis quelques semaines. Cela ne signifie évidemment pas que cette série existera un jour. Encore moins qu’elle serait recommandable. On peut toutefois se demander POURQUOI se réapproprier un scénario il y a 50 ans jugé si subversif à une époque où la société américaine ne semble pourtant à nouveau plus à l’abri de flambées révolutionnaires, même limitées (Portland, Seattle, etc.). Il est aussi intéressant de pointer que depuis mars 2019, FX appartient à Disney. Or, si FX nous a donc livré par le passé quelques séries moralement ambigues, voire même gentiment subversives, on imagine quand même mal Disney aujourd’hui se mettre à promouvoir l’insurrection armée dans les ghettos des grandes villes.

Je pense donc que The Spook Who Sat by the Door version FX/Disney présenterait un Dan Freeman plus tourmenté que décidé, quelqu’un qui hésite à dire oui à la violence. Que le Chicago de 1970 y apparaîtrait comme une annexe du Wakanda et Freeman comme un simple Spartacus en chemises mauves. Ou un Tyler Durden plus racisé que crypto-facho. Une histoire d’empouvoirement donc, comme on dit. Putain, je baille. Cela dit, j’espère bien entendu me tromper. Que The Spook Who Sat by the Door version 2022 (?) soit au contraire aussi joyeusement naïf et politiquement radical que du temps de Sam Greenlee. Plus punk que woke. Avec des scènes d’émeutes de nature à redonner l’envie de réalisation à Matthieu Kassovitz. Et un générique qui flingue, genre le Firestarter de The Prodigy repris à la sauce funk vintage, façon Sly & The Family Stone. Putain, je m’emballe…

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