Nos albums de la semaine: Childish Gambino, Kate Bush, Sun Ra…

Childish Gambino © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Sur son troisième album, le rappeur-acteur Childish Gambino pioche dans le funk-soul seventies les recettes d’un brillant cocktail rétro. Avec également nos critiques des albums de Kate Bush, Mica Levi/Oliver Coates, Doing it in Lagos, Daniel Avery, Sun Ra et The Orchestra of Syrian Musicians.

Childish Gambino – « Awaken, My Love! »

SOUL. DISTRIBUÉ PAR CAROLINE. ***(*)

La vie est trop courte que pour ne taper toujours que sur un seul et même clou. C’est probablement ce que doit se dire Childish Gambino. Acteur, scénariste, producteur, Donald Glover de son vrai nom a démarré dans le stand-up, avant de se retrouver à l’écriture de la série 30 Rock (dans laquelle il a également joué). Il enchaînera avec Community et officie, depuis la rentrée, sur Atlanta. Créé par ses soins pour la chaîne FX, le show est centré sur le parcours de deux cousins qui tentent de percer sur la scène rap locale. Glover en connaît un bout sur la question: sous le nom de Childish Gambino, il a en effet sorti lui-même plusieurs mixtapes et publié déjà deux albums studio. Là aussi boulimique, il a l’art de tout prendre en main (ou presque): il se retrouve aussi bien à l’écriture qu’à la production (avec son camarade suédois, Luwig Goransson) et derrière le micro. La bougeotte est aussi musicale. Ses deux premiers disques ont chacun leur propre personnalité. Sur le nouveau Awaken, My Love!, c’est carrément une nouvelle direction qu’a prise Gambino.

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L’album démarre ainsi par un coup de force: après une intro qui sonne presque comme une berceuse, portée par des choeurs féminins angéliques, Me and Your Mama est allumée par des riffs de guitare acides, Gambino déboulant en chat écorché gospelisant. L’incendie ne dure pas: à deux minutes du terme, le morceau s’éteint doucement, jazzy, planant. Impeccable. Le titre donne en outre le ton du disque. Décomplexé, libre, et surtout obsédé par les seventies. Né en 83, Glover ne les a pas connues, mais il en a bien retenu la leçon. Notamment celles données par l’équipage p-funk de Parliament/Funkadelic de George Clinton (Have Some Love, Boogieman). Dans Zombies, il partage même les crédits avec les modèles -on n’est jamais trop prudent. Quitte à namedropper les influences rassemblées ici, on peut encore citer Sly & The Family Stone, Shuggie Otis, Stevie Wonder… Tous étant mobilisés pour participer à un disque qui planque ses rares faiblesses derrière un sens du collectif assez réjouissant.

Bien sûr, Awaken, My Love! n’échappe pas complètement ici et là à l’exercice de style. C’est d’autant plus le cas que Childish Gambino est d’abord connu comme un acteur: dans quelle mesure se contente-t-il ici de jouer un rôle de plus? Si c’est le cas, il est en tout cas particulièrement crédible, même quand le rappeur se fait pour l’occasion chanteur. Sur l’excellent single Redbone, Glover manie par exemple le crooning funk avec ce qu’il faut de légèreté et de fausse onctuosité, légèrement acidulée. Ici, comme sur le reste de l’album, il ne fait rien pour cacher le revival. Mais, suivant l’exemple de certains de ses collègues (Anderson .Paak, ou même Bruno Mars), Childish Gambino ne tombe jamais dans la parodie, évitant de se prendre les pieds dans le tapis rétro. Mieux: au plus il expose son parti pris, au plus on l’oublie. Un coup de bluff certes, mais surtout une vraie réussite. (L.H.)

The K Fellowship – « Before the Dawn »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR WARNER. ****

Du 26 août au 1er octobre 2014, Kate Bush donnait 22 performances à l’Eventim Apollo de Londres, les 78.000 tickets étant vendus en quinze minutes. Bush a 20 ans en 1978 lorsqu’elle place sa minauderie Wuthering Heights pendant quatre semaines au top des charts anglais, débuts fracassants d’une carrière singulière mixant pop, virtuosité et conceptualisation, malgré la scène prématurément abandonnée après une tournée épuisante en 1979. Ce come-back tardif de 2014 -35 ans de réflexion quand même- Bush le veut multisensoriel et théâtral, avec monologues d’acteurs, inserts ambient, projections et musiques diverses. Le triple disque signé The K Fellowship prend son temps -154 minutes- via une narration en trois actes qui surprend d’emblée par sa voracité sonore. Le son est cru et filandreux: contrairement à l’usage, peu ou pas overdubbé ou auto-tuné ultérieurement en studio. Ce dark rock qui fait l’impasse de ses deux plus gros hits (Wuthering Heights et Babooshka) gonfle aussi les sensations épiques des originaux: guitares flamenco virtuoses sur Sunset, arrangements orgiaques d’Aerial, culot magistral d’enchaîner les sept titres de la suite The Ninth Wave. La chanteuse, dont la voix semble plus basse qu’à ses débuts, fait chavirer un public manifestement bluffé. Nous aussi d’ailleurs. Reste à savoir ce qu’il adviendra des deux performances filmées à l’Eventim Apollo en septembre 2014 pour une possible sortie DVD. Passées de l’autre côté du miroir? (Ph.C.)

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Mica Levi/Oliver Coates – « Remain Calm »

MUSIQUE EXPÉRIMENTALE. DISTRIBUÉ PAR SLIPDISC. ***(*)

Punk des musiques savantes, Mica Levi a vécu une année 2016 bien chargée. Non contente d’avoir sorti un nouveau Micachu & The Shapes qui lui a fait rebaptiser son groupe (Good Sad Happy Bad) et d’avoir bossé sur la BO du film Jackie, biopic avec Natalie Portman consacré à la First Lady Jacqueline Kennedy (elle avait déjà composé celle d’Under the Skin), la petite Anglaise s’est à nouveau acoquinée du violoncelliste Oliver Coates (notamment croisé avec le London Contemporary Orchestra sur A Moon Shaped Pool, le dernier Radiohead) pour accoucher de Remain Calm. Album de musique expérimentale contemporaine tout en ambiances et en textures (on ne peut souvent même pas vraiment parler de chanson), Remain Calm souligne à lui seul l’influence que peut exercer le classique sur les pans les plus aventureux des musiques électroniques. Coates, qui s’intéresse autant à MF Doom qu’à Pierre Boulez, semble être le fils caché d’Arthur Russell. Et Levi est dans cet ordre d’idée une partenaire idéale. Brainy, pas très accessible, mais audacieux et vachement bien foutu. (J.B.)

Divers – « Doing it in Lagos: Boogie, Pop & Disco in 1980’s Nigeria »

DISCO. DISTRIBUÉ PAR SOUNDWAY RECORDS/V2. ****

Tuerie que cette compile disco eighties nigériane fomentée par le label label Soundway Records. Murder on the dancefloor…

Quand on dit disco, on pense généralement New York, Studio 54, Donna Summer, Earth, Wind & Fire ou encore Gloria Gaynor… C’est le poids de ce qu’on appelle l’hégémonie culturelle. L’héritage d’une industrie américano (et anglo) centrée qui fait trop souvent peu de cas de l’exotisme et de la diversité. Le funk et le disco nigérians des années 70 avaient déjà eu les honneurs de plusieurs compilations, notamment sur les labels Soul Jazz (Nigeria Soul Fever) et Strut (Nigeria 70). C’est dans la décennie suivante, avec des pattes d’eph et des paillettes, que nous emmène celle du label Soundway Records, repaire londonien des Fumaça Preta, Meridian Brothers et autre Family Atlantica…

A Lagos, dans les années 80, la jeune génération de musiciens locaux veut prendre ses distances avec l’afrobeat et se dirige vers le son disco funk qui fait danser de l’autre côté l’Atlantique.

« Avec une discussion sans fin sur ce que peut ou ne peut pas être la world music et à une époque où l’influence des musiques africaines, latines et caribéennes est clairement acceptée comme un ingrédient qui a contribué et même fait partie intégrante à la formation du disco et de la proto-house, cette compilation espère établir l’importance solide du chapitre nigérian de cette histoire. » Plutôt irrésistible, Doing it In Lagos s’y attelle en deux CD (ou trois vinyles) et 21 titres taillés pour faire danser les foules et enfiler sa perruque afro.

Bâtie sur l’esthétique disco américaine, la compilation du label Soundway sonne comme un compagnon idéal à la musique de William Onyeabor. Le côté kitchounet, les petites touches rétrofuturistes qui semblent venir d’un film de science-fiction. Mais avec un son plus caractéristique du disco des seventies.

Les artistes s’appellent Hotline, Peter Abdul, Kio Amachree. Les tubes Funk With Me, Too Hot, Enjoy Your Life ou encore Fellas Doing It In Lagos… A moins d’être DJ ou spécialiste des musiques africaines, vous n’entrerez pas ici en terrain connu. Groupe d’étudiants au St Gregory’s College, Ofere enflamme la brousse avec Burning Jungle. Odion Iruoje, producteur envoyé dès 1969 en stage à Abbey Road par EMI Nigeria, alors que les Beatles y travaillent, joue avec le proto hip hop sur l’irrésistible Identify With Your Root. Tandis que Mike Umoh vous fera remuer tout seul dans votre salon avec l’amusant Shake Your Body

Les lignes de basse sont souvent irrésistibles. Le groove fait carburer la chaudière à plein régime et monter la température. Avec leur côté bricolé et des petits bruits de guerre intergalactique, ce dansant bijou (duquel il n’y a pas grand-chose à jeter) offre une promenade torride dans les night clubs de Lagos. Et comme la plupart des albums desquels sont extraites ces chansons ont atteint des prix exorbitants en ligne, ce n’est pas le genre de voyage que tout le monde peut s’offrir. Just do it. (J.B.)

Daniel Avery – « DJ-Kicks »

TECHNO. DISTRIBUÉ PAR !K7. ***(*)

Le 17/12, au Fuse, à Bruxelles.

Faut-il encore le présenter? Depuis son album Drone Logic, sorti en 2013, sur le label d’Erol Alkan, Phantasy Sound, le Londonien Daniel Avery est devenu l’un des acteurs les plus pertinents et respectés du renouveau techno, démontrant que cette musique avait encore des choses à dire sur l’époque. Le succès n’a pas modifié grand-chose à sa démarche. Au contraire, Avery n’a cessé de taper sur le clou. C’est particulièrement le cas sur ce nouveau volume de la série DJ-Kicks. Avery rejoint la prestigieuse collection avec un mix intransigeant, long tunnel techno sombre et hanté, fascinant à traverser. Dans ses notes d’intentions, il explique avoir voulu recréer une musique dans laquelle « le monde extérieur n’est plus qu’une lointaine pensée ». Mission réussie. (L.H.)

« Africa Express presents… The Orchestra of Syrian Musicians & Guests »

MONDE. DISTRIBUÉ PAR TRANSGRESSIVE. ***(*)

On ne pourra pas accuser Damon Albarn d’opportunisme « humanitaire ». Dès 2010 (l’album Plastic Beach de Gorillaz), il assouvissait son amour des musiques arabes, jouant même à Damas, avec l’Orchestre national de Syrie. Depuis, la guerre a ravagé une bonne partie du pays, faisant quelque 400 000 morts et provoquant la fuite de 4 millions de personnes. Parmi elles, de nombreux musiciens issus de l’Orchestre national. Albarn en a réuni une cinquantaine sous la bannière Africa Express, pour une série de concerts, dont est tiré aujourd’hui un disque live. Bourré d’invités (Paul Weller, Rachid Taha, Julia Holter), l’album mélange titres orientaux et tubes pop (Out of Time, Blackbird, etc.) « arabisés » pour l’occasion. Le tout avec une musicalité sans faille et une chaleur désarmante. (L.H.)

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Sun Ra – « Singles »

JAZZ. DISTRIBUÉ PAR STRUT. ****

Il y a quelque chose de fondamentalement bizarre, voire antinomique, à imaginer une compilation de « singles » de Sun Ra. Certes, le jazzman a bien commis une série de 45 tours, sous différents alias. Difficile cependant d’imaginer que sa fantaisie se soit accommodée aussi facilement du format. Il faut donc saluer la démarche du label Strut, habitué des rééditions bien senties, qui a regroupé ici quelque 65 titres, répartis sur trois CD. Singles permet ainsi de jeter une oreille aussi bien aux envolées afrofuturistes de celui que l’état civil a enregistré sous le nom d’Herman Poole Blount (Cosmo-Extensions, le classique Nuclear War, etc.), qu’à ses incartades doo-wop (Daddy’s Gonna Tell You No Lie) ou ses charges r’n’b (I’m Coming Home). Epatant. (L.H.)

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