Non, le Coran ne condamne pas les représentations de Mahomet (oui mais…)

Mahomet, selon une illustration persane du XVIe siècle. © Domaine public/Bibliothèque nationale de France
Kevin Dochain
Kevin Dochain Journaliste focusvif.be

Caricature, blasphème, Coran, islam: incompatibles, vraiment? La question dérange depuis 1988 et les Versets sataniques de Salman Rushdie. Éclairage.

« Je suis désolé », affiche un barbu enturbanné à la Une du Charlie Hebdo « des survivants » paru ce mercredi. Barbu enturbanné qui, selon les mots de son dessinateur, Luz, n’est « qu’un bonhomme qui pleure avant toute chose », même s’il est évident qu’il représente une réaction du prophète Mahomet aux événements du 7 janvier dernier. Alors que le journal a été interdit dans de nombreux pays du Maghreb (notamment en Algérie, au Maroc et en Tunisie) et que de nombreux médias de par le monde refusent d’en montrer la couverture, il est intéressant de se poser une question fondamentale: le Coran condamne-t-il vraiment les représentations du prophète?

La réponse est non. « Il n’y a pas de texte coranique explicite qui parle de la représentation du prophète, explique le président de l’Union des Mosquées de France, Mohammed Moussaoui, au micro de FranceTV info. Le prophète de l’islam, de son vivant, a été caricaturé verbalement. Il a été traité de menteur, de sorcier, comme on peut le lire dans le Coran. Mais Dieu a répondu à la place du prophète: ‘Ne prête pas attention à ce qu’ils disent, Dieu te suffit comme défenseur’. »

Des caricatures verbales donc, mais il est intéressant d’observer que, dans l’histoire de l’islam, le prophète Mahomet a par ailleurs été plus d’une fois représenté.« Le Coran n’interdit pas la représentation du Prophète, ni la représentation humaine en général, souligne Le Monde. Ecrit dans une société où l’image est généralement absente (la péninsule arabique au VIIe siècle), le texte ne la mentionne qu’une seule fois: ‘Le vin, les jeux de hasard, les idoles sont des abominations inventées par Satan. Abstenez-vous en.’« 

Mahomet, un homme comme les autres

Ce qui est communément reproché aux « faiseurs d’images », c’est d’imiter pauvrement le travail de Dieu et donc d’insuffler une âme dans un travail qui lui serait réservé. Mais dès le XIXe siècle, « à part quelques exceptions wahhabites (…), tous les théologiens acceptent la photographie et le cinéma. Elles ne font que reproduire ce que Dieu a déjà créé », commente Silvia Naef, professeure au département des études arabes à l’université de Genève. Jacqueline Chabbi, spécialiste des origines de l’islam, complète dans les pages de Libération: « Nous n’avons que très peu d’éléments historiques sur Mahomet. Mais dans le Coran, c’est un homme comme les autres, essuyant même des caricatures en parole. Ses adversaires le traitent ainsi de ‘châtré’ car il n’a pas de fils survivant. »

Selon la même Jacqueline Chabbi, il faut remonter au IXe siècle pour observer un tournant sacralisant l’image du prophète. Soit une période de conversion massive de nombreux chrétiens et juifs à l’islam. Et si l’influence du wahhabisme, mouvement puritain et rigoriste de l’islam né en Arabie Saoudite au XIXe siècle, se fait sentir aujourd’hui, l’IFPO (Institut français du Proche-Orient) rappelle que « les derniers siècles du Moyen Âge virent fleurir des miniatures représentant Muhammad. Ces portraits s’inspiraient des descriptions textuelles contenues dans les biographies du prophète ou dans un type particulier d’ouvrages, les shamâ’il, consacrés à la description physique de Muhammad telle que rapportée par le hadith. » Ce n’est ainsi qu’à partir du XVIe siècle que les représentations du prophète se feront plus rares -ou alors de manière plus symbolique ou abstraite.

Versets sataniques

Le grand imam de Bordeaux, Tariq Oubrou, rappelle à Libé qu’« il n’y a que la représentation de Dieu qui est interdite », et cela « pour éviter l’idolâtrie ». De plus, la notion même de blasphème n’existe pas au sens strict dans l’islam: le terme utilisé est plutôt celui d' »apostasie », « ce qui veut dire renier sa religion », continue Tariq Oubrou. Ne seraient donc concernés que les musulmans pratiquants…

Ce serait Salman Rushdie qui aurait mis le feu aux poudres avec ses Versets sataniques, parus en 1988. Étant musulman, l’écrivain britannique est accusé de manquer de respect à l’islam et au prophète, et devient rapidement l’objet d’une fatwa lancée par l’ayatollah Khomeiny. Accusé d’athéisme et d’apostasie, le « crime » de Rushdie « pour les plus radicaux en islam est punissable de la peine de mort ». Une vingtaine d’années plus tard, les caricatures du prophète, en 2005 dans le journal danois Jyllands Posten et en 2006 dans Charlie Hebdo, ne feront qu’aider à creuser le fossé culturel entre Orient et Occident, tout cela « sur fond de montée de l’islam radical », comme le rappelle la journaliste Bernadette Sauvaget.

Salman Rushdie -qui figure encore aujourd’hui sur la même liste que Charb des personnalités à éliminer en priorité selon Al-Qaïda- échappe à de nombreux attentats grâce à la protection policière dont il bénéficie. Ce ne sera pas le cas de ses traducteurs italien et japonais, poignardés à mort, ni de son éditeur norvégien, grièvement blessé.

Droit au blasphème?

La France étant tout particulièrement attachée à la laïcité, elle fait partie des pays les plus souples face au blasphème. Pas pour rien que le crime a été supprimé de la Constitution à la Révolution, alors qu’il est encore présent dans celles des Pays-Bas, du Danemark, du Royaume-Uni, de la Grèce ou de l’Allemagne. Cela n’empêche l’histoire française d’être remplie d’exemples où les religions se sont senties salies et ont crié au scandale. Et à ce rayon-là, le christianisme est bien meilleur client que l’islam: on citera par exemple le scandale autour du film La Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese (1988), le saccage de l’oeuvrePiss Christ d’Andres Serrano, les manifestations autour des représentations de la pièce Golgota Picnic de Rodrigo Garcia ou du film Amen de Costa-Gavras.

In fine, il est utile de rappeler que la représentation du prophète n’a pas toujours eu vocation au blasphème. « Il fut un temps où artistes comme public musulmans considéraient la production et la contemplation de portraits de leur prophète comme une expression de leur dévotion, et non comme une pratique blasphématoire réservée aux seuls détracteurs de l’islam », rappellent les historiens de l’IFPO. À noter qu’en ce qui concerne les représentations du prophète dans un contexte musulman, Wikipedia en recense une septantaine sur la page qui y est dédiée…

(Sources: Le MondeLibérationIFPOFranceTV infoKonbini)

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