Nilüfer Yanya

Sous couvert de pop, Nilüfer Yanya parle de paranoïa et d'angoisse d'une millinial qui n'hésite pas à s'engager. © MOLLY DANIELS

Loin des superficialités de l’époque, la jeune Londonienne sort un premier album pop désarmant. Un disque post-Brexit, qui a du mal à cacher ses angoisses et à ne pas envisager le scénario du pire.

La première fois, c’était en 2015. Au plus fort de la « crise » migratoire, Nilüfer Yanya se rendait sur l’île grecque de Kos, au large de la Turquie, pour proposer son aide dans un camp de réfugiés. Quelques mois plus tard, rebelote, à Athènes cette fois, dans un squat occupé par des migrants. La jeune Londonienne y est encore retournée il y a un peu plus d’un an pour animer des ateliers artistiques. L’occasion de retrouver notamment Kastro: ce réfugié syrien a forcé les portes d’une ancienne école abandonnée pour y installer quelque 350 migrants, la plupart ayant fui l’Irak.

Tout cela, Nilüfer Yanya le garde pour elle. C’est en consultant le site d’Artists In Transit qu’on l’apprend. Pas vraiment une ONG, plutôt une plateforme de volontaires. Sourire timide sur moue légèrement boudeuse, la chanteuse s’empresse de préciser:  » C’est Molly qui a lancé ça. » Molly Daniel, qui a réalisé plusieurs de ses clips, et qui est aussi… sa soeur. Elle aimerait l’accompagner lors de la prochaine mission, d’ici la fin de l’année. Mais rien n’est moins sûr. Après tout, Nilüfer Yanya a tout de même un disque à sortir et à jouer un peu partout…

Miss Universe est un drôle d’album. Il ressemble un peu à celui d’une guitariste indie, débarquant par erreur dans la pop millennial de l’époque. Voire celui d’un vilain petit canard, un peu tristoune, un peu colère, qui ne collerait pas tout à fait à l’image d’une génération soi-disant désinvolte. À moins qu’il ne s’agisse justement de la rectifier. La jeunesse dont semble faire partie la Londonienne est celle qui lève le nez de son smartphone pour marcher, par exemple, toutes les semaines pour le climat. Ou, comme on le constate en checkant son Instagram perso, pour réclamer justice un an après l’incendie dans une tour de logements sociaux de Grenfell qui causé la mort de quelque 71 personnes… De l’exercice promo du jour, on n’en retire pas forcément l’image d’une jeune rebelle. Plutôt celle d’une artiste qui n’oublie pas de douter, dans une époque de plus en plus anxiogène…

Dystopie 2.0

Nilüfer Yanya naît il y a 23 ans du côté de Londres. Une mère irlandaise qui a des origines du côté des Barbades. Un père qui a grandi en Turquie avant de s’installer en Angleterre. Tous les deux sont artistes plasticiens. De quoi faciliter l’envie de se lancer dans une voie artistique?  » Pas forcément. Pendant longtemps, ça n’a pas été une évidence. C’est vrai que mes parents baignent dans l’artistique, mais je pense qu’ils me voyaient davantage étudier l’Histoire de l’art ou la musique classique. » (sourire). C’est sa maman qui la plante devant le piano, dès qu’elle a six ans. Mais c’est sa grande soeur qui lui « gâte » les oreilles avec sa collection de musique, surtout ses CD skate-punk. Arrivée en secondaire, Nilüfer empoigne d’ailleurs la guitare électrique.  » L’avantage par rapport au piano, installé au milieu du salon, c’est que je pouvais en jouer dans ma chambre sans que tout le monde m’entende. » À seize ans, son prof lui fait découvrir PJ Harvey – » je ne savais même pas qu’elle était Anglaise ». Au même moment, elle réalise qu’Amy Winehouse aussi grattait la guitare.  » C’est quelque chose qui n’était jamais mis en avant. On préférait l’image de la chanteuse plantée derrière son micro, avec sa coupe à la Ronettes. »

Nilüfer Yanya

En 2016, Yanya réussit à placer une reprise de Hey! des Pixies sur une compilation du label Deek Recordings, puis sort elle-même un premier single, Small Crimes. Il lance la rumeur, au point de la voir un peu plus tard citée dans la « longlist » du BBC Sound of 2018. La voie est royale. Mais aussi chahutée.  » Je savais que ce n’était pas forcément simple. Mais je n’imaginais pas le travail que tout cela allait demander. Pas tellement au niveau de la musique en elle-même, mais de tout ce qui tourne autour, tous les aspects business, promo… »

Malgré l’emballement, la jeune femme a pris son temps pour réaliser son premier album. Elle explique avoir voulu lui donner une certaine cohérence. Voire un fil rouge?  » Oui, d’une certaine manière. C’est la question de la réalité, celle que vous expérimentez au jour le jour et celle qu’on vous donne à voir par ailleurs. Entre les deux, où se situe la vérité? Pour moi, c’est une quête. » Quelque part, Miss Universe sonne comme un album post-Brexit. Celui d’une génération qui a le sentiment de s’être fait dérobé une partie de son avenir (selon certains sondages, jusqu’à 75 % des moins de 25 ans ont voté pour rester dans l’Union). Un disque pop certes, mais surtout paranoïaque et angoissé, à un moment où les faits ne semblent plus faire le poids, manipulés par les uns et les autres.

Tout au long de l’album, une voix féminine intervient entre les morceaux pour faire la promotion d’un programme de bien-être.  » À la base, ces interludes permettent de lier les différents morceaux. Mais imaginer ces fausses publicités, c’est aussi une manière d’évoquer certaines dérives, de suggérer qu’il y a de plus en plus la tentation chez certains de garder le contrôle. Non seulement sur la santé physique des gens, mais aussi leur santé mentale, et ce qui se passe dans leur tête. » La dystopie d’Orwell et de 1984 ne sont plus très loin? C’est ce que semble indiquer la jeune musicienne.  » Internet a explosé quand j’avais dix ans. À ce moment-là, c’était encore un espace que vous pouviez contrôler, sur lequel vous pouviez publier certaines choses, éditer une page Myspace, etc. Sauf que la seconde d’après, tout vous échappe. Aujourd’hui, ça a débordé de toutes parts, tout le monde regarde tout le monde et n’arrête plus de causer. Forcément, ça vous vrille la tête. »

Nilüfer Yanya, Miss Universe, distribué par Pias.

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En concert le 29/04, aux Nuits Botanique, Bruxelles, et le 16/08 au Pukkelpop, Hasselt.

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