La formation de Kele Okereke ne perd pas son temps. En trois ans, elle est devenue l’un des groupes phares de la scène anglaise. Rencontre.

Londres. Nichés dans un ancien bâtiment industriel, les fameux studios John Henry. L’endroit, prisé par les groupes locaux, abrite une série d’espaces de répétition. C’est là que Bloc Party a commencé à travailler son nouveau répertoire en vue des prochains concerts. C’est là aussi que, dans la foulée, Kele Okereke (chant) et Matt Tong (batterie) lient l’utile à l’agréable en enchaînant les interviews.

La demande est énorme. En à peine deux albums, Silent Alarm (2005) et A Weekend in the City (2007), mélan-geant des influences pop, new wave, post-punk, voire électro, Bloc Party a en effet réussi à se faire une place enviée au soleil. Avec les Arctic Monkeys, Bloc Party est ainsi devenu l’un des nouveaux poids lourds du rock indé anglais. Certains signes ne trompent d’ailleurs pas: le groupe est devenu une des cibles favorites de ce grand comique de Noel Gallagher (Oasis), jamais avare d’une vanne bien sentie sur ces camarades. « Adoubement » ultime, en juillet, lors du Summercase festival à Barcelone, Okereke s’est pris une rouste de la part de John Lydon, le leader des Sex Pistols… (mieux vaut éviter le sujet, conseille la maison de disque). Plus simplement, ceux présents au dernier festival Pukkelpop n’ont pu que constater l’énorme attente du public pour un groupe qui, à défaut de la tête, occupait bien le haut de l’affiche.

Dernier indice en date de la popularité de Bloc Party: les places pour les deux prochains concerts à l’Ancienne Belgique, programmés au mois de février prochain, sont toutes parties en quelques heures à peine. Ils y viendront présenter leur troisième opus, baptisé Intimacy. La version physique de l’album sort ces jours-ci. Mais puisqu’à part Coldplay, plus personne ne sort un album « normalement », il était possible de le télécharger, légalement, dès la fin du mois d’août, trois jours seulement après l’annonce officielle lors d’un chat sur Internet avec le groupe. Histoire aussi de faire monter la sauce, imagine-t-on. Ou de redonner de l’importance à la sortie d’un disque, comme cela pouvait être le cas auparavant, quand on faisait la file devant les disquaires le jour J. C’est en tout cas ce qu’avait déjà expliqué Kele Okereke. Devant nous, il se contente de marmonner:  » Disons que par rapport à la problématique du téléchargement, on préfère embrasser le phénomène plutôt que de s’y opposer frontalement. Cela nous semble plus sage. Et puis, on veut être aussi créatif dans la fabrication de notre musique que dans la manière de la distribuer. C’est bien parfois de pouvoir réagir rapidement, de profiter du moment. En gros, on voulait sortir le disque encore cette année. Et le lâcher d’abord sur le Net permettait de faciliter ça. »

Underdogs

Au passage, l’explication est ponctuée d’un long bâillement.  » Désolé, je suis naze, je n’ai pourtant pas été coucher tard« , s’excuse Okereke. La faute alors à un rythme de travail effréné? Trois albums en trois ans, entre-coupés de tournées conséquentes: tout le monde ne suit pas la même cadence.  » On prend du plaisir à faire ce qu’on fait, et c’est peut-être pour cela que tout vient finalement assez vite. Mais ce n’est pas quelque chose dont on soit spécialement fier. C’est comme ça, c’est tout. Le fait est qu’on baigne en permanence dans la musique, ce n’est donc pas compliqué de trouver l’inspiration. » Matt Tong prolonge, non sans ironie:  » Etant donné que notre contrat vaut pour quatre albums, à ce rythme-là, on pourrait rapidement se retrouver sans maison de disques. C’est une situation intéressante… »

Dans Intimacy, Bloc Party résume finalement assez bien les tendances de ses deux premiers essais: grosso modo, la spontanéité de l’un, la recherche de l’autre. On y trouve également des paroles comme  » You get sadder the smarter you get » ( Better Than Heaven). Pour paraphraser, en français dans le texte,  » plus on en sait, moins l’on a de raisons de s’en réjouir« …  » C’est à peu près cela, en effet, commente Okereke . Plus vous voyez ce qui se passe dans le monde, plus vous avez du mal à apprécier complètement ce que vous avez devant vous, à être vraiment heureux. C’est un problème dans ma vie. Le chemin jusqu’au bonheur s’éloigne… Ce n’est même pas polémique. C’est comme ça pour plein de personnes. Un tas de gens vous diront que l’époque de leurs 15 ans était une période géniale. Ils voyaient déjà ce qui se passait dans le monde mais ils étaient beaucoup plus optimistes. Je ne sais pas… J’essaie de me rappeler ce que je voulais faire à cet âge-là, et il me semble que je voulais juste jouer de la musique. Cela n’allait pas plus loin que ça. Je n’avais aucune vision de ce que j’allais devenir. Le but était simplement de s’amuser. »

Nostalgique, Kele Okereke? Matt Tong précise:  » Il y a certainement un sentiment de clairvoyance, mais je ne suis pas certain que cela fait forcément de nous des gens très nostalgiques. De fait, je ne crois pas que les choses sont plus faciles. Mais cela n’empêche pas de rester positif et volontaire. Par contre, la nostalgie est probablement un trait très anglais. C’est un pays qui aime se rappeler qu’il a été une grande nation. Pour mieux se rendre compte qu’il a perdu énormément de son pouvoir. Il n’est plus qu’une voix parmi les autres. Regardez, même en football, on arrive plus à se qualifier pour les grands tournois. On est devenu des underdogs. Du coup, les gens préfèrent se souvenir que l’Angleterre a un jour gagné la coupe du monde… » Quand on leur demande ce qui les rend optimistes ces derniers temps, Okereke s’exclame: « La manière dont se profile l’élection présidentielle aux Etats-Unis. »  » Ce qui en dit long sur l’intérêt de la vie politique britannique« , relève encore Tong…

Grande gueule

Né à Liverpool en 81, Kele Okereke est la figure de proue du groupe. Il a grandi à Londres, élevé par ses parents nigérians – une mère sage-femme et un père biologiste, arrivés en Angleterre à la fin des années 70. Etudiant en littérature anglaise au prestigieux King’s College, il passe volontiers pour un intello (ce n’est pas pour rien que la musique de Bloc Party est parfois cataloguée, à tort, d’art rock). A l’instar de David Bowie ou Morrissey, on prête aussi volontiers à Okereke une sexualité ambiguë (dites queer). A l’inverse des précités par contre, le leader de Bloc Party n’est pas la plus volubile ni la plus flamboyante des rock stars. Loin s’en faut. Le chanteur cherche souvent ses mots, bégaie. Essaie de botter en touche. Bien avant l’incident avec Lydon, au cours duquel le papy punk lui aurait lancé des injures racistes, Okereke avait ainsi déclaré ne pas croire en une société britannique mélangée. On lui rappelle.  » Jusqu’ à ce que je vois cela écrit, je ne voudrai pas y croire. Je ne me rappelle pas avoir dit ça. » Mais en lui précisant la source, il admet.  » Ok, je vois… Près de chez moi, il y avait en effet un pub du National Front. C’est exclu pour moi d’y rentrer. J’ai pu réagir par rapport à cela. Cela dit, la société anglaise est plutôt mélangée, même si elle n’est pas non plus aussi multiculturelle qu’on veut bien le dire. »

Okereke met également beaucoup de c£ur à sortir des banalités ( » Ce groupe, c’est notre vie, notre passion. La musique reste la première ambition.« ). Vraisemblablement moins par pauvreté du discours que par lassitude ( » On a enchaîné une cinquantaine d’interviews ces derniers jours« ) ou surtout méfiance envers la presse. Très loin en tout cas d’une certaine arrogance brittonne. Matt Tong, batteur – et donc à ce titre chargé des feintes sinon comiques, au moins décalées – explique:  » L’arrogance n’est pas notre langage. Le but est bien d’éviter le médiocre et d’approcher une certaine forme d’excellence. En ayant dit cela, vous pouvez alors enfiler ce genre de costume un peu crâneur et jouer les grandes gueules. Il y a une grande tradition en la matière dans la pop anglaise. Mais ce n’est pas vraiment notre façon de faire. On est plutôt confiant dans ce qu’on fait, le groupe jouit d’une assez grande liberté. Mais vous ne nous verrez jamais nous promener à l’aéroport en lunettes de soleil. On pourrait nous reconnaître (rires). « 

Kele Okereke insiste encore une fois: « On est des gens plutôt normaux, voire carrément ennuyeux. On doute aussi tout le temps. Mais en même temps, il règne entre nous cette confiance, la certitude qu’on fait ce qu’il faut pour se rapprocher de la direction que l’on a définie ensemble. Après, le reste importe moins. Si vous faites quelque chose de juste, les gens ne l’aimeront pas forcément. Mais cela n’est pas grave, tant que vous vous y retrouvez… »

Entretien Laurent Hoebrechts, à Londres

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