Neil Young perdant – Joe Rogan gagnant – Spotify champion

Joe Rogan (G) et Neil Young (D) © REUTERS
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Sur les réseaux sociaux et dans les médias, la semaine dernière a vu se dérouler un véritable psychodrame moral opposant Neil Young à Joe Rogan et Spotify. Une pure pantalonnade entre rupins aussi, selon ce Crash-Test S06E20, où la tête de lard a perdu, l’olibrius a gagné et Satan continue de régner.

Il serait je pense assez amusant que retirer sa musique de Spotify devienne une « tendance » chez les musiciens et chanteuses millionnaires de plus de 70 ans. Après Neil Young, Joni Mitchell a en effet elle aussi interdit à la plateforme de streaming suédoise d’encore exploiter son catalogue. D’autres suivront-ils? Jackson Browne? Kris Kristofferson? Paul Anka? Diana Ross? Il y a je pense quelque chose d’assez ridicule et de franchement hypocrite à ce genre de protestation quand cela vient de la part de personnalités aux comptes en banque devenus bien moelleux après des carrières de plus de cinquante ans. Neil Young et Joni Mitchell peuvent se permettre de se passer de Spotify. Des jeunes formations musicales comme Black Country, New Road ou Dry Cleaning, pas trop. Le plus consternant étant que Neil Young et Joni Mitchell ne se retirent pas de Spotify parce que c’est une plateforme à l’éthique discutable qui exploite fondamentalement et de façon très faustienne les artistes. Non, Neil Young et Joni Mitchell y enlèvent leur musique parce qu’ils n’aiment pas Joe Rogan, le podcasteur le plus écouté au monde, qu’ils accusent de propager massivement de la désinformation antivax via Spotify. « C’est Young ou Rogan!« , a ainsi fait savoir Neil Young dans une lettre ouverte tout au long de cette semaine écoulée fort commentée sur les réseaux sociaux et dans les médias. Spotify a finalement choisi Rogan. Exit Neil Young, donc.

Sur le fond, Neil Young n’a pourtant certes pas tort. Depuis le début de la pandémie, Joe Rogan dit ou laisse dire énormément de couillonnades sur le Covid dans son show. Comme il en a dit ou laissé dire énormément sur les extraterrestres au temps des pyramides d’Égypte, les régimes alimentaires uniquement composés de viande rouge et la Zone 51. Joe Rogan a de grandes qualités – cette volonté de laisser s’exprimer longuement les gens sans filtre, surtout – mais son podcast n’en est pas moins vachement plus proche de la trash-TV que de l’émission scientifique aux informations vérifiées et revérifiées. Dès lors, je pense que Neil Young se retrouve en fait dans une position équivalente à celle qui le verrait refuser de jouer Rockin’ in the Free World sur M6 parce que la chaîne serait aussi productrice des Ch’tis en Lockdown à Sidney. C’est écouter son coeur, suivre son éthique perso. C’est très bien pour son âme mais n’est-ce malgré tout pas complètement vain? Pas très réfléchi? Carrément improductif? Dès lors, pourquoi l’applaudir? Parler de courage? Envoyer bouler Spotify et clairement dénoncer ses pratiques commerciales, y compris le fait qu’un podcasteur qui ne prépare pas ses interviews soit davantage financièrement choyé que les grands artistes musicaux présents sur la plateforme serait exemplaire et courageux. Participer au financement d’une alternative en ligne viable, qui rapporte davantage aux créateurs, le serait. Vanter Bandcamp le serait. Bref, quand on s’appelle Neil Young, type actif dans le monde musical depuis 1961 et au succès continu depuis 1968, apporter son expertise à un problème capital de la culture contemporaine, tout simplement la survie économique des professionnels de la musique, serait exemplaire et courageux. Pas de bouder un service pour beaucoup d’autres que lui incontournable parce qu’un type sympa bien qu’abruti y prétend que le yoga et le jus de céléri sont plus efficaces que l’ARN-Messenger au moment d’essayer de s’éviter Omicron. Je caricature à peine.

Pourquoi applaudir Neil Young? Parler de courage? Envoyer bouler Spotify et clairement du0026#xE9;noncer ses pratiques commerciales serait exemplaire et courageux.

Or là, Neil Young ne fait pas ça du tout. Neil Young part juste en sucette comme on l’a déjà plus d’une fois jadis vu décoller du sol, notamment quand il soutint Ronald Reagan avec ardeur en 1984 rien que pour troller les gauchistes du show-business ou allait emmerder dix ans plus tôt les petits disquaires qui proposaient dans leurs bacs des bootlegs de ses concerts. Il a donc beau avoir raison sur le fond -oui, le podcast de Joe Rogan est une énorme caisse de résonance à d’énormes conneries et peut-être bien que oui, celles-ci peuvent générer du dégât humain-, sur la forme, ce n’est jamais qu’un boycott ronchon permis par un grand confort financier personnel et accompagné d’une lettre ouverte où tout scepticisme vis-à-vis des politiques de vaccination est assimilé à du conspirationnisme et Joe Rogan présenté comme un criminel qui s’ignore animant une émission pour demeurés. Ce qui me semble quelque-peu résumé à la truelle, donc pas très malin et tenant aussi drôlement plus du troll et de la tentative de cancel-culture que d’un J’Accuse circonstancié à la Zola dénonçant avec précision les pratiques insensées qui impactent la culture contemporaine.

C’est surtout un vrai piège-à-tête-de-lard. Parce qu’il ne suffit bien évidemment maintenant à Joe Rogan que de lancer une invitation publique à venir parler dans son podcast et que Neil Young la refuse pour que celui-ci passe définitivement pour un libertarien en carton, un suppôt de Pfizer, Cortez the Killer of the free speech… Et si Neil Young accepte, qu’est-ce qu’il risque? Au pire, de se fâcher si Joe Rogan le confond avec Bruce Springsteen et lui attribue la paternité de Born in the USA. Au mieux, de fumer durant le podcast le même gros boulon qu’Elon Musk et de dès lors sympathiser avec Rogan, malgré leurs vues opposées sur un problème sanitaire spécifique. Bref, quoi qu’il advienne: Neil Young perdant – Joe Rogan gagnant – Spotify champion. Quel gâchis, quelle pantalonnade.

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