Nahawa Doumbia, la chanteuse-sorcière

Nahawa Doumbia, la chanteuse-sorcière. © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

À 60 ans, la grande chanteuse ouest-africaine continue de se battre et implore les jeunes Maliens de rester au pays. Portrait.

Sa mère, qui mourut quelques jours après sa naissance, lui avait prédit un avenir de chanteuse. Le genre de prophétie qui a peu de chance de se réaliser au Mali quand on n’appartient pas à la caste des griots et qu’on est élevée dans une famille musulmane rigoriste. En Europe, Nahawa Doumbia est moins connue du grand public qu’Angélique Kidjo, Oumou Sangaré ou encore Mariam, la moitié d’Amadou. Elle est cependant une idole et une des références vocales majeures d’Afrique de l’Ouest.

Fille de forgeron, Nahawa a vu le jour en 1960 à Mafélé, un petit village situé au sud-ouest du pays, près de la frontière avec la Côte d’Ivoire, et a grandi à Manankoro, près de Bougouni, la plus grande ville d’une région verdoyante. Élevée par sa grand-mère et découverte par des agents du ministère de la Culture alors qu’elle pousse la chansonnette avec des amies, elle participe aux Semaines de la Jeunesse en bravant l’autorité paternelle. Nahawa Doumbia remporte la Biennale de 1980 et dans la foulée le concours Découvertes Radio France Internationale. Une grande cantatrice malienne est née.

La Grande Cantatrice malienne… C’est ainsi qu’elle intitule ses premier albums. Alors que les griottes traditionnelles posent leur voix sur les rythmes du balafon et les cordes de la kora, Nahawa Doumbia commence avec le seul N’Gou Bagayoko, son futur mari, qui l’accompagne à la guitare acoustique. En 2011, le label Awesome Tapes From Africa créé par le bloggeur globe-trotter Brian Shimkovitz inaugurait son catalogue en rééditant La Grande Cantatrice malienne Volume 3 (1982) et portait cette voix exceptionnelle, unique, à l’attention d’un nouveau public, plus international que jamais.

Cri de détresse

Femme de conviction, audacieuse et engagée (elle a été infirmière avant de percer dans la musique), Nahawa Doumbia n’a peur de rien. Elle fait sauter les tabous, chante des chansons réservées aux hommes et aux chasseurs dozos du sud du pays et n’hésite pas à interpeller et mettre en garde les dirigeants politiques. « On est encore en démocratie« , se contente-t-elle de répéter. Très écoutée et en même temps décriée (les personnes qui ont réussi au Mali sont souvent vues d’un mauvais oeil), Doumbia a régulièrement était traitée en paria. « On me prend parfois pour une sorcière dans mon pays. Donc on me respecte, racontait-elle il y a 20 ans dans les colonnes du journal Le Temps. Lorsque le dictateur Moussa Traoré était au pouvoir, j’ai chanté que, s’il n’était pas bon avec le peuple, il se transformerait en bouc. Il a pris l’avertissement très au sérieux. Il a envoyé les services secrets pour me surveiller et m’a convoquée dans son palais présidentiel. Je l’ai rassuré. Ce n’était qu’un conseil et pas un présage. »

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Derrière son physique de petite fille mutine, la chanteuse incarne la modernité dans le respect des formes. Elle se plaît à prodiguer ses conseils en chansons, tente de faire profiter de sa sagesse, d’orienter et de guider les gens sur la bonne voie. Dans les années 90, elle enregistre ainsi à Paris un titre (Yankaw) qui invite la diaspora malienne à respecter les lois des pays d’accueil, et les Européens à ne pas bafouer la dignité de ses frères. À la base, Nahawa Doumbia est considérée comme la reine du Didadi, un rythme sur lequel les jeunes gens se défient lors des cérémonies et des soirées de fête pendant les périodes de semailles et de récolte. Infatigable militante du droit des femmes en Afrique, elle chante aussi l’amour, chroniquant sans concession le quotidien de ses compatriotes mais aussi les conditions de vie souvent difficiles de la femme malienne confrontée notamment à la polygamie et aux mariages forcés.

Surnommée « l’enfant des Djinns » (des créatures surnaturelles dont le Coran affirme l’existence), Doumbia s’exprime en bambara comme les autres Peuls du sud du Mali. Kanawa, son nouvel album, est un cri de détresse. Kanawa signifie « Ne pars pas ». La chanteuse y implore la jeunesse de ne pas fuir une région victime du terrorisme et une situation sociale difficile, de rester au pays pour le reconstruire et éviter qu’il ne tombe en des mains armées. L’occasion tant qu’on y est d’en finir avec les drames humains de l’émigration clandestine. Les morts dans l’océan, les sables du Sahara et les barbelés des frontières… Incisive, elle n’hésite pas à critiquer les conditions de vie au Mali en secouant à la fois le gouvernement et l’ONU, les exhortant à coordonner leurs efforts pour créer des emplois. Ne jamais baisser les bras. Ne pas céder aux sirènes de l’exode… Entre message d’espoir et appel à l’émancipation, Nahawa Doumbia continue de se battre. Candidate malheureuse aux élections législatives de 2020, elle était inscrite sur une liste d’alliance mais indique rester farouchement apolitique.

Nahawa Doumbia – « Kanawa »

Distribué par Awesome Tapes From Africa/Konkurrent. ****

Après 40 ans de carrière, Nahawa Doumbia continue de combattre les injustices de sa voix inimitable. À travers Kanawa, un quinzième album étourdissant enregistré à Bamako avec des instruments traditionnels et modernes, la chanteuse ouest-africaine invite les jeunes Maliens à ne pas quitter le pays gangrené ces dix dernières années par les luttes régionales et les attaques terroristes. Doumbia conseille d’ignorer les critiques (Ndiagneko). Sample un coup de feu pour rendre hommage au courage des chasseurs et des soldats (Foliwilen). Et invite sa fille Doussou Bagayako à chanter la patience, la tolérance et l’harmonie (Adjorobena). Splendide et ensorcelant.

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