Avec The Chaser, le réalisateur coréen signe un premier long métrage proprement soufflant en forme de polar d’un noir d’encre…

Voilà quelques années, déjà, que le cinéma coréen bouillonne d’une exceptionnelle créativité. Les Park Chan-Wook, et autre Bong Joon-Ho en tête, c’est à l’explosion d’une véritable nouvelle vague que l’on a assisté, un courant de cinéastes produisant des films aussi étonnants qu’enthousiasmants. Dernier venu de cette lignée de réalisateurs, Na Hong-Jin se destinait, pour sa part, à la bande dessinée. Des vignettes à la pellicule, il n’y aurait toutefois qu’un pas, rapidement franchi, après un détour par une société de production de films publicitaires.

Son premier film, The Chaser, a été « guidé par… la colère », explique-t-il, alors qu’on le retrouve sur une plage cannoise, quelques jours après le triomphe qu’a fait sa projection hors compétition. « Deux éléments m’ont inspiré: en 2006, un groupe d’étrangers, parmi lesquels un Coréen, a été enlevé en Irak. Si les médias ont rapporté les faits, personne, en Corée, ne s’est réellement bougé pour obtenir la libération de cet otage. Si l’on avait versé ne serait-ce qu’une goutte de sueur, il aurait pu être libéré. A la même époque, il y a eu, à Séoul, une histoire de meurtres en série d’une ampleur sans précédent. Dix prostituées ont été assassinées par un tueur. Cette histoire a défrayé la chronique et a fait un scandale. Pour ma part, j’ai été profondément choqué en voyant le regard que les gens portaient sur les victimes – un peu comme si, du fait de leur métier, il s’agissait là d’un danger qu’elles encouraient. En conséquence de quoi, je n’ai pas seulement eu l’idée de faire un film, j’en ai ressenti l’obligation. La forme a été inspirée par l’affaire des otages étrangers; l’expression par celle des meurtres en série. »

Sous couvert de film de genre – et rejoignant en cela plusieurs de ses contemporains -, The Chaser est aussi une critique acérée de la société coréenne, gangrénée par la corruption, quand elle n’est pas gouvernée par l’incompétence. « J’ai voulu tourner un film qui soit à la fois réaliste et critique. A un moment, j’ai pensé tourner un documentaire sur le fait divers, avant de réaliser que je ne ferais alors jamais que retransmettre quelque chose d’avéré, sans rien y ajouter. J’ai donc opté pour la fiction, qui était le meilleur moyen de porter un regard critique sur des gens ou des institutions. Mais si le cadre de mon film est Séoul, la ville où je vis et que je connais le mieux, cette histoire est avant tout celle d’êtres humains, elle aurait pu se produire n’importe où. »

Signant, pour le coup, un polar d’un noir d’encre, l’auteur a-t-il eu le sentiment de s’inscrire dans une veine particulièrement féconde du cinéma coréen? « C’est amusant, on ne produit guère de thrillers en Corée, mais on n’arrête pas de m’en parler depuis que je suis à Cannes, sans doute parce que ces films-là sont sortis en Occident. Il s’agit en fait d’un genre minoritaire; un film comme The Chaser n’a d’ailleurs pas été facile à financer… » Qu’à cela ne tienne. Na Hong-Jin prépare actuellement The Murderer, un film dans la veine de The Chaser. Histoire d’enfoncer le clou d’un cinéma jouissif et corrosif à souhait…

The Chaser, actuellement en salles. Critique dans Focus du 30/04.

Jean-François Pluijgers

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