Critique | Musique

Swans – The Seer

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

EXPÉRIMENTAL | Trente ans après la formation de Swans, Michael Gira sort son magnum opus: The Seer, ou deux heures pleines de rage, de bruit blanc et de contorsions noisy.

SWANS, THE SEER, DISTRIBUÉ PAR YOUNG GOD. ****
EN CONCERT LE 02/12, AU KREUN, COURTRAI.

Attention! Mise en garde de rigueur: voilà un disque à ne pas mettre entre toutes les oreilles. Bruyant, agressif, hors-format, The Seer, 2e album des Swans depuis leur reformation de 2010, est aussi beau qu’irritant, aussi éblouissant qu’irascible. Mais faut-il vraiment s’attendre à autre chose de la part de Michael Gira, tête pensante de la formation noise démarrée en 82? Lui qui a toujours cherché la confrontation, coupant l’air conditionné des salles de concert où il joue, poussant le volume des instruments au point de faire vomir certains dans le public. Swan aussi parce que le cygne est cet animal aussi majestueux qu’hargneux. La Belle « est » la Bête… Il y a deux ans, Gira mettait fin à une parenthèse ouverte en 1997. Il le faisait en lançant une souscription sur Internet, un appel au public -ce qui n’est pas la moindre des ironies pour une musique aussi revêche. Après My Father Will Guide Me Up a Rope to the Sky, voici donc The Seer. Le « point culminant de 30 ans de travail », dixit Michael Gira himself. Un monument, en effet.

The Seer impressionne d’abord par ses dimensions. Long de quelque 120 minutes, il a besoin de deux CD pour se déployer. Dès le départ, il installe une tension: Lunacy est un long crescendo habité, hanté même par des choeurs fantomatiques, presque tribaux. Quand l’orage se calme, les voix des invités Mimi Parker et Alan Sparhawk (Low) répètent en boucle: « Your childhood is over »Mother of the World joue encore plus sur les nerfs, avec son mantra de guitare, répété à l’infini, blues industriel brisé seulement après 5 minutes, laissant bientôt la place à une conclusion plus apaisée.

Beau bizarre

La pièce de résistance arrive un peu après. The Seer, le morceau, fait plus de 30 minutes, démarrant dans le bruit et la dissonance, laissant entendre des échos de clarinettes, de cornemuses… A ce moment-là, il ne sert vraiment à rien de résister, sous peine de louper la correspondance. Le trajet est cabossé, envoyant valdinguer l’auditeur dans tous les sens. Pas forcément « beau », mais remuant, faisant surgir la lumière dans la fange, le sublime dans la laideur. On est là quelque part entre drone music, blues vaudou, metal déstructuré et ambient déviante. Parfois, le geste frôle l’autocomplaisanse (la destruction sonore de 93 Ave. Blues). Mais c’est précisément à ce moment-là que Gira choisit également de balancer ce qui ressemble le plus à des chansons: The Daughter Brings the Water, puis surtout Song for a Warrior, en duo avec Karen O (Yeah Yeah Yeahs), seul morceau qu’un programmateur radio pourrait raisonnablement diffuser sur les ondes sans que cela passe pour un hara-kiri commercial. Tout cela avant de repartir dans la sublime cavalcade noisy d’Avatar, et de conclure avec A Piece of the Sky (19′) et le jouissivement décadent Apostate (23′).

Quand les dernières rafales de batterie s’éteignent, on est un peu groggy, un peu terrassé. On parlerait bien d’expérience auditive, si le terme n’apparaissait pas si pompeux. Un fameux trip musical en tout cas, loin des autoroutes du rock business. Il est parfois bon de se perdre…

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