Stikstof: sous la houlette de Zwangere Guy, le combo hip-hop refait parler la poudre

Jazz: "Dans notre cas, on montre les deux côtés. Bruxelles est à la fois triste et belle. Quelque part, même le laid peut parfois être attirant."
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Le plus bruxellois des groupes rap flamands est de retour. Avec Familie boven alles, il privilégie plus que jamais le collectif, dégoupillant une zwanze débraillée, célébrant les vices et vertus d’une ville punching-ball. Rencontre.

C’est l’un des effets Kiss Cool de l’explosion du rap belge. Non seulement il a réussi à s’exporter et à faire son trou en France. Mais il a aussi permis ce qui paraissait peut-être encore plus improbable: l’éclosion d’une scène néerlandophone qui parle aussi au public francophone -jusqu’à amener des festivals comme Couleur Café à créer des concepts comme Niveau 4, rassemblant sur une même scène rappeurs du nord et du sud du pays. En réalité, cette nouvelle « capillarité », on la doit surtout à un groupe -Stikstof. Et en particulier à sa plus grande gueule -Zwangere Guy. Ces dernières années, Gorik van Oudheusden, de son vrai nom, a été omniprésent, sortant deux albums et demi en deux ans, et remplissant plusieurs fois l’Ancienne Belgique.

Un succès qui aurait pu faire de l’ombre à son crew de coeur. Stikstof sort pourtant aujourd’hui un nouvel album, le quatrième. Son titre est explicite: Familie boven alles (« La famille avant tout »). Manière d’insister sur l’esprit de corps qui n’a jamais quitté une formation dont le noyau dur est composé de DJ Vega (Joris Ghysens), Astrofisiks (Paulo Rietjens) pour les productions et, au micro, Jazz Brak (Jasper De Ridder) et Zwangere Guy. Jazz: « Honnêtement, le succès de Gorik n’a apporté que du bon. Il a tiré tout le monde vers le haut et a braqué les projecteurs sur le groupe. » Zwangere Guy: « Mais attention, pour plein d’autres gens, ça ne se serait pas passé comme ça. J’ai eu la chance qu’ils aient été tout le temps à mes côtés. »

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Cartes sur table

Stikstof a donné rendez-vous dans son QG du centre-ville. C’est ici, au-dessus du café Les Brasseurs, quasi en face de l’AB, que le groupe a entreposé ses instruments et son matériel d’enregistrement. Au mois de mai dernier, il y présentait également le single Grondleggers, depuis leur mini-balcon, devant la foule rassemblée en bas. Quatre mois plus tard, les fenêtres sont toujours ouvertes. Le bruit des terrasses, étalées le long du piétonnier, tapisse la discussion, durant laquelle Jazz et Zwangere Guy tiennent le crachoir: le premier placide, le second plus animé, mais pratiquant l’un comme l’autre un savoureux mélange, mi-français, mi-néerlandais. Cool, tranquille, « à l’aise« …

Aux murs sont accrochés tous les disques produits par « la maison » -d’or en l’occurrence pour Zwangere Guy (Brutaal, 2020), voire platine (Wie is Guy?, 2019). Auxquels il faut donc ajouter aujourd’hui le nouvel effort collectif, Familie boven alles. Foncièrement, l’univers solo de Zwangere Guy et celui de son groupe ne sont pas diamétralement opposés. Ils restent cependant deux terrains de jeu différents. « J’ai ma propre histoire à raconter, explique celui que l’on surnomme également De Zet Gee. Je n’aurais pas pu faire un morceau comme Nitro, par exemple. Astro a le don d’imaginer des beats qui déclenchent quelque chose de particulier chez moi. Et Jazz, aussi, a sa propre méthode de travail: il arrive en studio et lâche un 16 mesures, comme ça, juste pour le sport. Et comme le résultat est souvent très « sale », il sert de base pour la suite. Du coup, c’est un mode de fonctionnement très libre. Quelque part, Stikstof est plus excentrique. »

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Au petit jeu des liens et comparaisons, on se permet de faire remarquer la douce ironie du titre du nouvel album, Familie boven alles. Là où, en solo, Zwangere Guy passe pas mal de temps à exorciser des relations parentales particulièrement compliquées (« C’est le moins que l’on puisse dire…« ), son groupe met justement en avant les liens familiaux. « On ne parle évidemment pas de la même chose. La famille dont il est question ici, ce sont les gens qui auront toujours une oreille attentive pour toi, à des moments où tu penses être seul. Ceux qui sont toujours prêts à te soutenir et à aller au charbon avec toi. En quelque sorte, c’est la deuxième famille qui aujourd’hui, pour moi, se trouve à la première place. » Est-ce que, comme celle de naissance, elle peut malgré tout être aussi parfois un poids, voire se révéler toxique? Sur Driedubbeldik, Jasper rappe: « Het doel is samen verdergaan/Dus speel het spel met open kaarten » (« Le but est d’avancer ensemble/ Donc joue le jeu cartes sur table »). « Si tu veux aller loin ensemble, confirme le rappeur, il ne faut rien cacher. Tu dois dire ce que tu penses, et ce que tu veux dans la vie. Comme ça, chacun peut faire de la place pour le chemin de l’autre. Est-ce que c’est toujours simple? Non. Mais on se connaît depuis plus de dix ans, on voit comment faire. »

Plus que jamais, Stikstof est donc un groupe, une attitude. Un son aussi -sombre, granuleux, volontiers jazzy. Zwangere Guy: « Avec ce disque plus que jamais. C’est un album pour les low fi old school rap beats (sic). C’est pas vraiment pour les kids, à peine pour les filles, certainement pas pour les clubs. Mais pour tous ceux qui veulent entendre rapper. » Buté, Stikstof est aussi une entité relativement fermée sur elle-même. À part le Néerlandais Stiks, invité sur le morceau-titre, Familie boven alles se joue en formation resserrée. « On est déjà à quatre, tous plus têtus les uns que les autres! Avec en plus, un imbécile de manager, qui est pour l’instant en train de se balader sur Anspach en sombrero, un klaxon à la main… Comment tu veux qu’on ouvre encore le bazar? »

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BX vice

Au-delà, Stikstof est surtout le reflet d’un territoire, d’une ville: Bruxelles. Le groupe est enraciné dans l’hypercentre, « notre île, où nous sommes les rois de notre propre petit royaume« . Une enclave coincée « entre la Bourse et l’AB« , la rue Dansaert étant déjà occupée par Arno. Comme pour la majorité des Flamands bruxellois, les idiomes, ici, se mélangent, brassant les idées et les influences, notamment francophones. « On n’a jamais été ces Flamands qui rêvent de jouer à Rock Werchter ou au Pukkelpop. Nos festivals de référence, c’est Dour et Couleur Café. Quand on a sorti notre premier vinyle, notre but ultime était de pouvoir monter sur la scène de Dour. Si on l’atteignait, on était contents, on se disait qu’on pouvait arrêter. » Les membres de Stikstof ont ainsi davantage écouté Lunatic que ‘t Hof van Commerce. Dans le morceau Zij, Jazz glisse par exemple: « Ze is veel knapper als de knapste van uw vriendinnen », référence à La Fièvre de NTM, quand JoeyStarr expliquait avoir passé la journée avec une fille, « beaucoup plus bonne que la plus bonne de tes copines » – « Putaiiiiiiin, Jazz, j’avais même pas capté! Saaaale! » , s’esclaffe le Zet Gee.

Capitale d’une Région-Communauté -la Flandre- qui a toujours autant de mal à l’aimer, Bruxelles est encore et toujours l’unique obsession de Stikstof, « la base« . Avec tout ce qu’elle peut avoir de bouillonnant, mais aussi de névrosé, de corrompu, voire de violent. Sur Nitro, Jazz explique: « Si vous croyez tout ce qui se trouve dans le journal, Bruxelles est un champ de bataille« . Certes. Mais l’image qu’en donne Stikstof est-elle forcément meilleure? Jazz: « Disons qu’au moins, dans notre cas, on montre les deux côtés. Bruxelles est à la fois triste et belle. Quelque part, même le laid peut parfois être attirant. Par exemple, je peux voir beaucoup de beauté dans une tour HLM illuminée la nuit. »

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En attendant, Stikstof n’y va pas par quatre chemins, en colère « since day 1« . Pas besoin de saisir toutes les nuances de la langue de Vondel pour comprendre que les rimes de Familie boven alles ont la dent dure: sous la zwanze, la rage… Dès l’entame, un titre comme Nitro tire dans tous les sens. Par exemple, en pointant une ville dont le visage a été façonné en grande partie grâce à l’argent du Congo, et qui continue d’honorer ses tortionnaires -la fameuse question des statues coloniales à déboulonner. Zwangere Guy: « Pour moi, les statues ne doivent pas être repeintes en rouge, elles doivent simplement être retirées. Il ne s’agit pas d’effacer l’Histoire. Une statue n’est pas de l’Histoire! C’est juste la glorification de quelqu’un et de ce qu’il a fait. Léopold le deuxième (sic) est encore présent dans chaque coin de la ville. Désolé, mais tu ne vois pas des statues d’Hitler partout en Allemagne! » Le Zet Gee est lancé, tel un taureau déchaîné dans l’arène. Comme quand il fait remarquer que l’espace vert le plus important de Bruxelles reste celui qui entoure le palais de Laeken, toujours sur Nitro. « Ce terrain est immense! En temps de corona, à un moment où personne ne pouvait sortir de chez soi, l’endroit aurait pu permettre aux gens d’aller se balader. Mais non! Comme toujours, il faut que chacun reste bien dans sa case. Donc, à toute la dynastie belge, fuck you! Le roi, c’est moi! » (rires). Dans son coin, Jazz sourit, flegmatique. Qu’en pense-t-il? « Jazz, il n’en a rien à cirer de la politique, ha ha ha. » Même si cela se retrouve sur son disque? L’intéressé opine. « Pour moi, c’est OK. À l’aise!… »

Stikstof, Familie boven alles, distr. Top Notch. ***(*)

En concert entre autres les 20 et 21/10, à l’AB, Bruxelles.

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