Sortie de route #3: The Best Disco in Town

Cultures noctambules, aventures imbibées, rencontres déglinguées, observations variées, win et lose… La plume moqueuse dans une main, un cocktail dans l’autre, Serge Coosemans chronique chaque lundi la nuit de 96 heures qui précède le début de semaine. Sortie de route, track 3.

BEFORE. A 30 ans, Céline, originaire d’Arlon, n’a jamais posé le moindre orteil au Libertine Supersport. Elle ne connaît pas Bruxelles, où elle n’habite que depuis quelques semaines et encore moins sa nuit, plus habituée à vadrouiller à Liège, dans les « bals miteux » de sa région, ainsi qu’à Paris et à Anvers. Après des postes en Pologne et au Luxembourg, Céline travaille aujourd’hui dans un environnement peps et international, en Flandre, où l’ambiance quotidienne est, dit-elle, « très Erasmus ». Comprendre que l’on y vient de partout et que l’on n’y hésite pas à griller du kilomètre afin de pleinement réussir son week-end. Se retrouver entre expats et assimilés, sortir en bande sans trop se préoccuper du reste. En se foutant même carrément de la tronche du reste, dès que murgé, reconnaît Céline.

Quand je lui apprend que le Libertine Supersport fête ce week-end ses 2 années d’existence et que le line-up DJ aligne les meilleurs canassons de l’écurie, Céline me répond qu’elle s’attend surtout à ce que la musique soit infernale, la vodka trop chère et les bousculades au comptoir énervantes. J’insiste pour savoir ce qu’elle cherche, ce qu’elle fantasme, ce qu’elle attend de cette nuit. Réponse, dans l’ordre: du bon temps, une cuite pas trop hard-core et mater des mecs. Rien de plus. Elle n’est fermée ni aux surprises, ni aux dérapages, mais me confie très sérieusement penser qu’une discothèque n’est pas le genre d’endroit où l’on rencontre des gens susceptibles d’être intéressants dans « la vie normale ». Moi qui ai personnellement percuté à peu près les trois quarts de mes connaissances sur un dancefloor et dans les bars de nuit, je ne relève pas. Je m’apprête à vivre ma ribote de mon côté, sans plan de route particulier mais non sans fantasmes, envies, soifs… Une errance, ce qui est une autre grosse différence avec le voyage au bout de la nuit de Céline, dont la planification noctambule a quelque-chose de très militaire, avec son timing serré qui bourre en quelques heures dispatching des canapés où certains amis vont dormir au retour, apéritifs, dînettes, shots de vodka, mojitos au Belga, déplacements en taxis et occupation de terrain. Une fenêtre de tir comprise entre Vingt-Et-Une-Zéro-Zéro et Zéro-Cinq-Cents. Convenant d’un débriefing le dimanche après-midi, nous nous quittons, non sans que je lui conseille de ne pas oublier de s’équiper de mitraille pour la Gestapo des waters et, en cas d’ennui soudain, d’observer l’acteur Jérémie Renier dans le public; surtout si elle en a l’image d’un garçon très sérieux et propre sur lui.

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AFTER. Je hais le logo de la bière Volga, qui a tout pour rendre fou. Au Potemkine ce dimanche, à chaque fois que je porte le verre à la bouche, j’ai comme l’impression que je vais avaler un moucheron. Durant la conversation, je n’arrête pas, instinctivement, de vouloir chasser ou écraser le petit Spoutnik stylisé qui orne le verre. Volga, Spoutnik, je ne comprends même pas le rapport. Je suis claqué, vaseux, la tête coincée entre deux images improbables enregistrées cette nuit: d’un côté, ce clip immonde de Die Antwoord et vaza que je te rappe à poil sur les gogues. De l’autre, le fou rire à 4 heures et demie du matin, quand j’ai croisé un eurocrate furieux en train de tambouriner sur le volet fermé de la Gare Centrale, hurlant d’ouvrir. Pour que l’audimat de cet article se porte bien, j’exige de Céline des anecdotes plus gratinées encore, si possibles carnassières, dures, méchantes. Je n’en aurai pas. Elle est franchement ravie de sa soirée. Elle parle du public du Libertine comme d’une belle faune, des « gens biens », irait même jusqu’à soutenir que l’endroit l’a réconciliée avec le « concept de discothèque ». Pour de l’electro, genre dont elle a plutôt tendance à se foutre, elle a trouvé la musique très agréable, très dansable. Oui, mais les hipsters boudinés de 19 ans? Cette impression de se retrouver dans la cour de récré du Lycée Dachsbeck? La Heineken à 4 euros? L’ambiance Margaret Thatcher aux toilettes? Les gros lourds qui se la pètent rois du pétrole alors qu’ils vendent des forfaits GSM? Bernique, le lancer de piques, si ce n’est à l’égard du cocktail Libertine, qu’elle a trouvé « à vomir ». « Non, vraiment, Serge, je suis désolée. Je sais que tu aimerais beaucoup que je te déballe des grosses vacheries mais j’ai vraiment été très agréablement surprise par cette boîte… » Je lui demande alors si elle pense que le Libertine est le meilleur club d’Europe, comme les quelques 350 lecteurs du magazine Trax l’avaient l’an dernier décrété lors du best of annuel. Non, quand même pas. Elle me parle plutôt d’une discothèque improbable à New Dehli, d’une villa gigantesque à Milan où l’ambiance est à chaque étage différente, d’une enseigne au Luxembourg dont les baies vitrées donnent sur un spectaculaire décor naturel. J’échange là contre des souvenirs de club funk illégal à Dublin, de Barcelone frappadingue durant le Sonar, de Berlin, de Gand. Nous évoquons l’imprévu, la folie, la sauvagerie même de certains endroits festifs. Et finissons évidemment par convenir qu’aussi bien tenue et gentiment agréable soit cette affaire, c’est tout ce qui manque au Libertine Supersport.

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Serge Coosemans

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