Sortie de route #2: Jésus reviens parmi les tiens

Vieux briscard des dancefloors aux coudes lustrés par 25 années de comptoirs divers, Serge Coosemans chronique chaque lundi la nuit de 96 heures qui précède le début de semaine. Cultures noctambules, aventures imbibées, rencontres déglinguées, observations variées, win et lose… Tout est possible. Sortie de Route, track 2.

Pour certains, c’est Tiesto. Pour d’autres, David Guetta, Erol Alkan ou encore DJ Furax. Chacun son dieu DJ. Moi, c’est Ivan Smagghe. Le bonhomme traîne une drôle de réputation: diplômé de Sciences-Po jadis vendeur imbuvable chez Rough Trade Records à Paris, un moment beau-fils de Michel Daerden, pas non plus le genre à aimer le sommeil, avec ses sets qui commencent généralement vers 5 plombes du mat. So what? Je ne vénère pas Dieu pour ce qu’il est mais pour ses actions de grâce, ses miracles. En l’occurrence, la patte à Smagghe, ses goûts, ses sélections. Ses sets de « frozen balearic gay biker house ». Son fond de commerce de morceaux vraiment barrés. Ses promesses de propager sur le dancefloor un bronx terriblement décadent et borderline. Bref, quand il y a quelques semaines, on annonce sa venue à la Leftorium de Geoffroy Mugwump, je suis pris de tremblements. J’ai des visions de règnes de lumières, j’irradie l’amour. Je me mets à parler en langues.

Seulement voilà, la nuit ne l’entend pas de cette oreille. C’est son mystère et personne de ma connaissance n’a jamais réussi à le percer. Pourquoi des soirées cartonnent et d’autres pas, à promesses de bamboulas monstres et à statures DJ pourtant égales? Pourquoi, certains soirs, ça déborde de partout, on ressent tous cette vibration balléarique qui fait aimer la ville et la vie et puis à d’autres dates entourées du calendrier, il n’y a dans les rues que des freaks en goguette, de la racaille qui rôde, la parano, des tronches d’enterrements, la possibilité d’un gnon. C’est Gotham City, il fait froid, il pleut, les trottoirs glissent et quand on regarde au travers des vitres des restaurants, les gens se tirent la gueule et s’embrouillent avec les serveurs. Elles existent, ces nuits, et il n’y a qu’un feeling assez incertain pour les prévoir. Quand on en a la prémonition, il est souvent déjà trop tard.

S’impose alors l’acte de présence. La conjuration par la pensée positive. Contrer l’appel de la pantoufle. S’adonner au clubbing syndical. Nez rouge, foie jaune, en fait, ça picole alors tout simplement sec. Aux normes du terroir, vers 1h30, c’est l’heure fatidique: on compte les têtes, on estime la valeur du cheptel. Bruxelles n’est pas une ville où l’on peut espérer voir débarquer soudainement la cavalerie à l’heure du loup pour relever le taux de participation à une soirée un peu désertée. Si vers 2 plombes du mat, ça manque de peuple et que l’ambiance est plus à la pochetronnade généralisée qu’à l’épiphanie dancefloor, la situation n’évolue ensuite généralement que dans un seul sens: vers la sortie. Je ne parle pas ici de soirées désastreuses, où sont attendus 500 individus et ne s’en présente qu’une cinquantaine, sur les nerfs. Au Leftorium ce 7 octobre, c’est suffisamment peuplé pour que ne survienne pas une telle catastrophe. Pas très peuplé mais suffisamment. Donc, l’ambiance reste paisible, d’autant qu’avec son ambition de drainer un public « connaisseur », y gigote surtout une troupe de trentenaires/quadragénaires qui en a vu d’autres et ne va pas se formaliser parce que la (très) grande salle choisie pour cette troisième édition est pleine de courants d’air et sent pas mal la douffe. Ces gens sont là pour la musique et se mettre la tête à l’envers, no matter what. Ils ont cette gentillesse noctambule, cette attention aux autres, cet esprit critique plus rigolard qu’acerbe que partagent beaucoup de ceux ayant jadis un peu trop forcé sur l’ecstasy. Ici, on a connu la house quand il s’agissait encore d’une utopie sociale plus que d’un produit musical à disponibilité des ambianceurs et il en reste quelque-chose. Ca sourit, ça partage des conneries, ça picole. Il y aurait bien quelques raisons de se plaindre, d’actionner sa langue de pute de compétition, mais Mugwump électrise, Kiki mouline et quand Smagghe arrive au contrôle, j’ai déjà une cuve entière d’Interbrew entre les deux oreilles. Paraît alors que je danse. Paraît aussi que je fais du gringue. Agglutiné devant l’estrade, foule ou pas, ça le fait. Jésus parmi les siens, Smagghe maîtrise, comme toujours. Plaisir de bouger son gras et de sentir les neurones dévaler par les oreilles.

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Le lendemain, vers midi, je reprends conscience en possession d’un grand pain acheté à l’aube chez Vatel, en pilotage automatique, sans réelle envie, de quasi aucun souvenir de la fin de soirée et d’une petite collection de SMS légèrement coquins qui pourraient valoir à son émettrice une bonne petite séance de torture médiévale. Raisonnablement, même si Bruxelles ressembla ce vendredi soir à un décor post-gothique de film de Christopher Nolan et qu’il manqua quelques cars sur le parking anderlechtois de la Leftorium, on ne peut donc franchement pas dire que cette sortie de route était mauvaise ou ratée. On vous donne Ivan Smagghe en début de mois, quand tout le monde a encore du pognon, vous restez chez vous. C’est le mystère de la pantoufle, de la nuit qui n’en fait qu’à sa tête. La mienne sort à peine de l’endroit où elle a passé le reste du week-end. Un indicateur fiable de la bonnassitude des choses, quand, toutefois, on y met du sien.

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Serge Coosemans

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