Sortie de route #15: Meubler le vide, se préparer l’après

Gonzo éthylique, Serge Coosemans chronique chaque lundi la nuit. Cultures noctambules, aventures imbibées, rencontres déglinguées, observations variées, win, lose et sortie de route assurées.

C’est une MILF tout ce qu’il y a de plus typique. La petite quarantaine encore très pimpante, voire même carrément redoutable. Ce n’est qu’au fil de la discussion qu’elle accuse son âge, qu’elle se met à parler comme une grand-mère, quelqu’un dont l’esprit et la vue commencent à perdre leurs élasticités. Ses responsabilités familiales, ses priorités professionnelles, son quotidien ménager en ont fait une femme très posée, adulte, réfléchie. Jadis, c’était pourtant une teufeuse. Elle me parle de techno des années 90, de Plastikman, de raves au Limbourg, du Sonar, du Tresor. Sans véritable nostalgie mais avec une certaine lueur dans les yeux. Elle n’a pas retenu beaucoup de noms, de références, n’est en rien spécialiste d’une musique qu’elle aimait surtout pour ses effets physiques. Se faire bombarder de basses balancées d’un très bon soundsystem, ce sentiment de communion avec la foule que peuvent procurer les meilleurs mixes électroniques. Elle aimait ça mais à l’écouter, j’ai l’impression qu’elle me parle de la teuf comme d’une sorte d’équivalent au scoutisme. Un truc que l’on fait quand on est jeune mais qu’il vaut mieux oublier à partir d’un certain âge, sous peine de rester calé dans un monde enfantin, grotesque et ridicule.

Elle croit deviner que si à 40 balais passés je sors encore chaque semaine, c’est pour tenter de me pécho de la jeunesse. Me mettre la tête à l’envers, histoire de gérer ma midlife crisis. En fait, il se fait que j’aime ça, très simplement. Le gros son, voir oeuvrer un bon DJ. Observer les gens, les comportements. Raconter des conneries à des inconnu(e)s, chercher des histoires. Voler des moments, m’enrouler, m’embrouiller. Apprendre. C’est clair: je dragouille, je picole, mais ce qui me motive vraiment, c’est tout le côté socio-culturel du machin. Sortir n’est pas un dérivatif à l’ennui existentiel, une façon d’anesthésier l’une ou l’autre angoisse. Ce n’est même pas un besoin para-sexuel. Ça me nourrit, l’intérêt est profond. Comme les bouquins, sans rire. Je déblatère, je force la dose, et commence à se lire une certaine pitié sur le visage de la MILF. Y apparaître le verdict que je suis définitivement un gros énergumène, un cas complètement perdu, pour lui-même tout comme pour la société. Je n’en suis pas peu fier et quand à minuit trente, elle rentre déjà chez elle, libérer la baby-sitter, c’est moi qui me met à ressentir une certaine pitié. C’est comme ça: quitte à être prisonnier d’une vie aux règles bien établies, autant choisir la moins contraignante du lot.

Après, je me monte un peu le bourrichon, tout ça prend dans ma petite tête d’éponge des proportions galactiques. Qu’un beauf à gourmette qui se rêve VIP ou un fermier qui voudrait ranger sa couenne voient la nuit de cet oeil-là, très bien. Mais là, mon ex-teufeuse, elle devrait en principe avoir compris qu’un dancefloor peut être un lieu de partages, d’émancipation et de découvertes. Cette MILF est comme beaucoup trop de noctambules du moment, retraités ou toujours en activité: ils n’attendent rien, ne créent rien, n’allument rien. Pas d’idées nouvelles, d’élans inattendus, de solidarités spontanées. C’est dès lors à tous un peu de leurs fautes, sans doute, si malgré une crise économique maousse, la culture noctambule actuelle stagne alors que jadis, dans le New-York City en faillite des années 70 et dans l’Angleterre en pleine panade libérale des années 80, des situations similaires accouchaient de mouvements nouveaux et forts, tout simplement parce que les gens cherchaient autre chose que des bitures et des papouilles. Du moins avant trois heures du mat.

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J’aime cet état d’esprit, cette transcendance de la banalité et du trivial dans l’acte de sortir la nuit. Sans quoi on ne vaut généralement pas beaucoup mieux que cette très belle collection de vainqueurs présentés dans ce vieux documentaire culte, Un Samedi Soir en Province, où tout un tas d’ouvriers agricoles plus ou moins gratinés du ciboulot sortent dans des boîtes totalement tartignolles dans l’unique but de se dégotter de la compagnie et de préférence à long terme. Aller en club comme on va au supermarché, à Disneyland ou à l’ONEM, avec des buts, des attentes précises, voire même des obligations. Meubler le vide, se préparer l’après, faire le con avec derrière l’oreille l’idée d’un jour être rangé, casé, responsable. Le pépère plan de carrière plutôt que les envies de sortir de soi. Non mais quelle putain d’horreur, misère de punaise de sa mère la MILF!!!

Serge Coosemans

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