Sortie de route #11: Orphelin des nuits rock and roll!

Gonzo éthylique, Serge Coosemans chronique chaque lundi la nuit. Cultures noctambules, aventures imbibées, rencontres déglinguées, observations variées, win, lose et sortie de route assurées.

J’ai appris ce week-end la mort de DJ Kim Ono. Comme ça, au détour d’une vanne, alors qu’au dîner, ça fanfaronnait autour de l’idée d’aller s’achever en after à Matongé ou à la Touche d’Ivoire, improbable bar de nuit du quartier de la Place du Châtelain. Kim Ono y avait ses habitudes et ses habitudes, c’était à l’ancienne: du rock, de la new-wave, par tranches de trois morceaux aux ambiances proches. Comme dit un type sur le web, sur un site de commentateurs de bistrots, Kim Ono était le « haut de gamme en matière de rock’n’roll. Les autres DJ se contentent de passer 1000 fois les produits fast-food diffusés à longueur de journées sur les radios poubelles telles que Contact, NRJ, RTL et compagnie… alors qu’à la Touche, vous n’entendez que des trucs qui sortent du lot. Vraiment de la musique d’avant-garde. »

Ce qui sonne d’avant-garde pour les uns, c’est toute la musique que nous avons à la maison, la plupart de mes potes et moi. Celle de notre adolescence. Sisters of Mercy. Gang of Four. Fad Gadget. Japan. Joy Division. The Gun Club. Bowie. Iggy Pop période The Idiot. Le Clash déjà un peu disco. Aussi celle, plus actuelle, qui ressemble à celle de notre adolescence, comme les Libertines ou The Horrors. De fausses évidences, de ces classiques dix mille fois entendus par certains alors qu’à peine connus des autres. Une musique curieusement souvent absente de la nuit rock bruxelloise, généralement plutôt partagée entre vieilles conneries à la Marc Ysaye, grosses nazeries grunge des années 90, punk prolo à la Dop Saucisse et hard-core morveux pour skaters, street-artists et autres sniffeurs de colle à bois. Je n’ai jamais été soufflé par une sélection de Kim Ono comme j’ai pu l’être par des prestations d’Ivan Smagghe, de Matias Aguyao, de Superpitcher ou du Laurent Garnier des petites heures. C’était une autre forme de plaisir que la déflagration en pleine poire, des enchaînements certes roublards mais qui n’en garantissaient pas moins l’accompagnement idéal à une toute bonne soirée. Je n’ai non plus jamais dansé sur un set de Kim Ono, mais ça, c’est parce que lorsque l’on se retrouve à la Touche d’Ivoire, généralement, on ne tient plus vraiment debout. Mélomane, pas cascadeur. Et de toutes façons, ce type était tout aussi capable d’encanailler l’ambiance d’un troquet de pochetrons que de littéralement bouter le feu à un dancefloor, comme c’est plus d’une fois arrivé à la Maison du Peuple et au Red Monkey, à ce que l’on m’a rapporté. Je n’en étais pas, ces fois-là. Premier rendez-vous manqué.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Deuxième rendez-vous manqué: je ne lui ai jamais parlé et je le regrette. C’est le genre de personnage qu’il me plaît d’interviewer, dont j’aime tracer le portrait dans des magazines et sur des blogs mais je ne connais rien de sa vie et alors que j’écris ceci, très tard ce dimanche soir, je me vois mal contacter les gens susceptibles de me fournir les anecdotes capables de cimenter un article digne de ce nom, avant sa mise en ligne du lundi matin. Derrière son comptoir, devant sa mixette, il n’avait pas l’air d’un abord facile, vraiment le genre de DJ qui se protège de la meute saoule en la gardant à distance. Un soir qu’il enchaînait classiques post-punks sur classiques post-punks, un ami lui suggéra l’idée de passer « un petit Bauhaus ». Kim Ono lui répondit très sèchement « moi, je ne joue pas de house ». C’est depuis devenu une vanne récurrente dans mon cercle de proches et c’est aussi à peu près tout ce que je peux dire de lui, ne connaissant pas son histoire, ni son parcours et encore moins sa vie.

On me dit qu’il s’est écroulé il y a quelques mois d’un accident vasculaire, la petite soixantaine, et je n’en ai pas entendu parler, alors que nombre de magazines en feraient probablement des tonnes si l’un ou l’autre zygoto surcoté de la jeune génération d’ambianceurs devait soudainement se prendre un arbre au petit matin. On ne va pas transformer cet hommage sincère en critique des médias mais voilà, cela doit aussi être dit: écrire sur la nuit, ce n’est pas qu’un ego-trip rigolard et des observations déglingosses. Ecrire sur le rock, ce n’est pas que pousser à la consommation de nouveaux produits culturels et gonfler la légende d’intermittents du spectacle. Un moment, il faut aller à la rencontre des personnages qui le/la vivent. L’incarnent. En transmettent la passion. Les demi-anonymes, les micro-célèbres. Les générateurs d’histoires incroyables. Pas plus que d’autres, je ne l’ai fait et aujourd’hui, je m’en mords carrément les doigts. Là, c’est le journaliste qui parle. Le noctambule, il déplore plutôt qu’avec la disparition de DJ hors normes et canailles comme Kim Ono, la boboïsation de la sonorisation de bar a assurément encore gagné du terrain. Quant à l’humain, il ne peut que transmettre ses plus sincères, même si tardives, condoléances aux proches, aux amis, aux fans et puis se taire. Dont acte. Oh, et puis non, allons nous écouter The Sisters of Mercy ou n’importe quel autre groupe décavé de rock arty eighties à fond! C’est ça, le meilleur hommage possible!

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Serge Coosemans

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content