Record Store Day, Noël des fans de musique ou machine à fric?

Michael Kurtz (à g.) avec Chuck D (Public Enemy): "Cette année, on s'est limité à 350 sorties contre 450 l'année dernière. Pour 2017, on aimerait descendre à 300, voire 250. On ne veut pas dire non à tout, mais trop c'est trop." © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

À l’approche du 9e Record Store Day, le 16 avril, son cofondateur et manager Michael Kurtz raconte l’histoire du RSD et répond aux critiques.

Croisé il y a deux ans dans un hôtel parisien où il accompagnait le batteur des Doors John Densmore, Michael Kurtz, carrure et sourire tout américains, nous avait laissé sa carte. Prêt à défendre son Jour des disquaires, expliquer sa philosophie, dévoiler son fonctionnement et répondre aux reproches dont il faisait déjà l’objet. Skype is the limit. Discussion transatlantique à bâtons rompus avec un mélomane heureux.

Qu’incarne pour vous le Record Store Day et comment est-il né?

Le Jour des disquaires a vu le jour en 2007. C’est le rassemblement de propriétaires et d’employés des magasins de disques indépendants. A l’époque, Tower Records vient d’annoncer sa fermeture. C’est la plus grande chaîne de magas des Etats-Unis et les médias évoquent sa disparition de manière très négative. Les indés, pourtant, font mieux que résister. Ils se portent superbement bien. Les grandes surfaces obtenaient des prix plus intéressants que nous, mais nous avions créé des coalitions et négociions des conditions préférentielles avec les labels. Enfin bref, quand on a vu comment les libraires spécialisés dans la bande dessinée faisaient pour attirer l’attention et amener les gens chez eux, on s’est dit qu’on pourrait adapter le concept du Free Comic Book Day. Mais au lieu de fêter Spiderman et Superman, on y célébrerait les Doors, les Beatles et Jack White…

Comment se passe la sélection des titres proposés lors du RSD?

Je suis en contact avec pas mal de managers, de maisons de disques et de distributeurs. Il arrive qu’on leur propose des idées mais, la plupart du temps, ce sont eux qui viennent nous voir. J’ai une équipe de sept proprios qui sont dans le business depuis plus de 30 ans. Je leur demande si ça a du sens. Quel serait le juste prix. Et combien d’exemplaires on devrait presser.

On a parfois le sentiment qu’il y a de moins en moins de titres originaux et de plus en plus de rééditions?

Le spectre est assez large. Il y a les pièces uniques créées pour l’occasion. Des inédits, des démos qui n’ont jamais été publiées, un Morrissey qui décide de concevoir une compilation de ses chansons préférées des Ramones, par exemple. Mais il y a aussi des rééditions. Des trucs limités, numérotés, qu’on est contents de pouvoir proposer. Les fans les adorent parce qu’ils retrouvent leurs albums préférés en vinyle. C’est tout le principe du RSD: célébrer la musique et nos idoles chez des indés. Je me suis toujours battu contre les labels, quels qu’ils soient, qui essayaient de nous fourguer n’importe quoi. L’un d’entre eux voulait rééditer un Ted Nugent. On a juste répondu: « Il n’y avait aucune demande pour ce disque à sa sortie et il n’y en a pas plus maintenant. » Je ne me moque pas de lui. Je veux juste montrer que nous disons non très souvent. Les albums de Styx, par exemple: jamais, même sur une autre planète, nous n’envisagerions leur réédition. Il y en a partout, dans tous les magasins d’occasion, pour un dollar et dans des états impeccables. Nos experts parlent avec les consommateurs, les connaissent et savent comment leur faire plaisir.

Vous négociez beaucoup?

Tout le temps. C’en est épuisant. Legacy a proposé le Smash Hits d’Hendrix. Un cas assez borderline. Il n’est plus dispo en vinyle depuis un bout de temps mais ça reste un greatest hit. On a dit OK pour l’édition américaine, mais à condition d’y inclure le poster original du groupe déguisé en cow-boys… Certains tapent sur le dos des majors en prétendant qu’elles ont trouvé un nouveau moyen de pomper du fric aux mélomanes. Ce n’est pas le cas. On ne presse jamais plus de 5.000 copies. Des quantités minuscules, voire ridicules, pour de grosses boîtes. Ça n’a rien d’un attrape fric. Alors que pour le music nerd, c’est fête. C’est Noël.

Il paraît que vous ralentissez méchamment les usines de pressage aussi…

On le leur a demandé. Elles nous ont répondu que non. Bien qu’évidemment presser des quantités importantes a un impact. Le grand responsable des embouteillages selon elles serait le vinyle coloré. Il prend par exemplaire dix secondes de plus au pressage et il faut nettoyer les machines entre les changements de couleur. Certains avancent également que les majors nous ont dans leur poche et qu’on abandonne les labels indés parce que nous sommes des gens horribles et corrompus. Voilà la réalité. Quand nous avons lancé le Record Store Day, les labels indépendants n’étaient pas intéressés de travailler le vinyle avec des magasins de disques ou avec nous. Sur dix titres proposés, huit venaient des majors. La deuxième année, Anti-, Ipecac et quelques autres sont montés à bord. Les indés constituent aujourd’hui la majeure partie de nos sorties.

Un autre problème du Record Store Day, c’est le marché noir?

On a dépensé beaucoup d’argent sur le dépôt de notre marque. Pas parce que nous sommes des trous du cul d’entreprise mais parce que nous voulons tenir le marché noir à l’écart de notre événement. On doit en permanence envoyer des lettres à des sociétés en leur expliquant qu’elles ne peuvent pas vendre notre sélection. Des gens malveillants vont jusqu’à proposer à des prix scandaleux des objets qu’ils n’ont pas encore. Les consommateurs ne voient rien, juste un disque à 300 dollars étiqueté « RSD » et ils se disent qu’on craint un max. C’est similaire au business des places de concerts… Alors, on se bat pour conserver notre intégrité. Le RSD, personne ne le contrôle, personne ne le possède. C’est Occupy Wall Street. Il n’y a pas de chef. Il est monté collectivement par des gens qui doivent faire leur police eux-mêmes, sans pouvoir central. Les magasins signent juste un engagement dans lequel ils garantissent qu’ils ne vont pas arnaquer les consommateurs. Ceux qui l’ont fait -on parle de 15 ou 20 établissements sur quelque 1.400 participants-, on ne leur vend plus. Ça a résolu une partie du problème. Mais il reste la revente individuelle. Et là, c’est aux magasins de réagir. De détecter les spéculateurs et de ne plus les approvisionner. C’est forcément très compliqué.

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