Quand les artistes remuent leur passé glorieux

Le 13 novembre, Therapy?, qui a quand même pris un coup dans l’aile ces dernières années, remplira l’AB en jouant l’intégralité de Troublegum, son album phare datant de 1994. Rendre vie à un album classique est devenu une affaire en or. Tendance.

En Angleterre, les organisateurs du festival All Tomorrow’s Parties, qui ont déclenché la mode, appellent le concept Don’t look back in anger. Oui, comme la chanson d’Oasis. L’idée est simple. Convaincre les groupes de ne pas cracher sur leur passé et au contraire les inviter à rejouer sur scène, dans l’ordre, du début à la fin, un de leurs albums mythiques.

Depuis que le ATP a lancé la série en 2005, Belle & Sebastian a réinterprété If You’re Feeling Sinister. Les Lemonheads ont déterré It’s a shame about Ray. Les Stooges ont nettoyé Fun House et réactivé Raw Power. Sonic Youth a réveillé Daydream Nation. Et même Jon Spencer a ravivé Orange. Grosso modo, ils sont une cinquantaine à s’être prêtés au jeu. Un jeu qui, en 2007, a inspiré Rewind aux programmateurs de l’Ancienne Belgique.

Rewind, c’est Don’t Look back in anger à la sauce belge. Les Scabs qui célèbrent Royalty in Exile. The Neon Judgement qui se souvient de 1981-1984. Et Raymond van het Groenewoud, ça nous parle moins, qui promet à nouveau Nooit Meer Drinken. Une résurrection en quelque sorte pour ces disques qui ont marqué un tournant dans une carrière et, plus largement, imprégné un pays et une époque.

« Il n’est pas toujours facile de convaincre les artistes. De les amener à se projeter ainsi dans le passé, avoue Kurt Overbergh, le directeur artistique de l’Ancienne Belgique. Monter ce genre de projet peut prendre jusqu’à deux ans. Contrairement aux apparences, ce concept demande beaucoup de travail aux groupes qui doivent retrouver un son, une atmosphère. C’est ce qui explique que le phénomène se soit répandu et qu’après le ATP, ils tournent avec le même set un peu partout dans le monde. Front 242 a même du mal à retrouver les instruments avec lesquels il jouait sur son premier album. » D’autres groupes se sont tout simplement séparés. Pas toujours en bons termes. « Et dans ces cas-là, il n’est pas facile de les rabibocher. ça demande pas mal de psychologie. »

Evénement historique

Les groupes belges des années 90 comme dEUS, Zita Swoon et Soulwax n’ont pour l’instant pas trop envie de regarder dans le rétroviseur. Ils préfèrent, ça se comprend, que leur présent soit tourné vers le futur que dédié au passé. Aussi fiers puissent-ils en être. Si Therapy? s’apprête à secouer l’AB avec Troublegum, l’album de No-where et de Die Laughing, celui de l’apogée artistique et commerciale, sorti en février 1994 et vendu à un million d’exemplaires, les Irlandais le font avec des gants. Et l’année de leur vingtième anniversaire. « Pour nous, jouer Troublegum dans son intégralité, c’est une manière de montrer notre respect envers les fans qui ont acheté ce disque mais c’est aussi un moyen de mettre certaines chansons à la retraite pour un petit moment, expliquent Andy Cairns, Michael McKeegan et Neil Cooper. Nous voulons passer l’année qui vient à aller de l’avant avec de nouvelles idées et un nouvel album. »

« Quand tu es organisateur, tu cherches la nouveauté, l’actualité mais tu respectes aussi les vieilles gloires du rock’n’roll. Moi, je vois presque ces concerts comme des événements historiques. » Kurt Overbergh ne s’y trompe pas. Il a évidemment aussi perçu le potentiel commercial de l’affaire. A l’image du Trilogy Tour de Cure et des tournées Berlin et New York de Lou Reed, le concept a fait ses preuves et rempli les salles plus souvent qu’à son tour. Plusieurs éléments permettent d’expliquer son irrésistible succès. Il tient forcément en premier lieu à la nostalgie, à ce bonheur qu’on peut éprouver en réécoutant un disque qui a bercé notre enfance, accompagné notre adolescence ou bouleversé notre vie. Le rock a 60 ans maintenant. Il est devenu adulte. Certains albums sont devenus des classiques. Et conscients qu’on n’aura pas éternellement leurs créateurs, on mène ce combat perdu d’avance qu’est la course contre le temps.

Un petit coup d’oeil suffit. La moyenne d’âge des Don’t look back in anger, Rewind et assimilés tourne au minimum autour de la trentaine. Il serait cependant complètement à côté de la plaque de les résumer à un truc de vieux cons. Depuis que le rock est revenu (enfin plus ou moins) en odeur de sainteté, des tas de gosses se penchent volontiers vers les gloires du passé. Ces groupes mythiques dont leurs idoles parlent avec passion et conviction dans les magazines et sur le Web.

Grosso modo, tout le monde s’y retrouve. Les artistes, qui reprennent leur place dans l’histoire. Les organisateurs, qui font salles combles. Les firmes de disques, pas folles les guêpes (qui a dit les mouches?), qui accompagnent ce genre de tournées de rééditions. Et évidemment les spectateurs.

« Une atmosphère vraiment particulière se dégage de ces concerts. Les disques qui font l’objet de ces événements étant des classiques, des valeurs sûres, avec une vraie force symbolique, le public en connaît souvent tous les morceaux sur le bout des doigts. » Gimme something to breathe, give me a reason to live. Close your eyes and see

Therapy?, special Troublegum , le 13 novembre à l’Ancienne Belgique (Bruxelles), sold-out.

Julien Broquet

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