« Pour que les étoiles brillent » : le dernier album de Youssef Swatt’s, jeune rappeur « à l’ancienne »

Youssef Swatt’s, entre rage et spleen. © MAXIME LORAND
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

A l’affiche des Solidarités à Namur, Youssef Swatt’s viendra présenter son nouvel album, Pour que les étoiles brillent. Portrait d’un jeune rappeur «à l’ancienne».

Youssef Swatt’s a toujours fait plus que son âge. Il suffit de revoir la première vidéo de La Poignée de punchlines. A l’époque, en 2013, le jeune padawan inaugure la collection de freestyles initiée par Deparone, pilier du hip-hop belge. Avec son sac à dos et sa veste Adidas, l’ado déplie son rap en déambulant dans les rues, visage encore poupon, mais voix profonde. A la fin du clip, il se retrouve en haut d’une colline, s’assied sur une chaise et fixe gravement l’horizon. Il a 14 ans.

Dix ans plus tard, les traits se sont affinés. Mais la voix a pris encore un peu plus de graves. Le CV s’est aussi étoffé de plusieurs projets – albums, EP –, de premières parties pour Gaël Faye, Scylla ou encore de freestyles aux côtés de Roméo Elvis, entre autres. Sans avoir le rayonnement de ce dernier, Youssef Swatt’s a réussi à bâtir une notoriété qui lui permet aujourd’hui de jouer à Dour ou d’ouvrir pour IAM. Au début de l’été, il sortait aussi un troisième album, son premier pour un label français, sur lequel on peut retrouver, entre autres, Oxmo Puccino. Alors forcément, Youssef Swatt’s a un peu la pression. «C’est sûr que je ne suis plus le stagiaire à qui on permet de faire des erreurs. Je dois passer à l’étape suivante. Et puis, quand vous rappez à 14 ans, vous êtes un petit prodige. A 20, vous êtes juste un rappeur parmi d’autres…»

Super-héros malgré lui

Comme les autres? A voir. D’origine algérienne, Youssef Reziki est le premier enfant de la famille à naître en Belgique, le 8 février 1998, à Tournai. «Je suis très enraciné dans la culture de mes parents. Mais je suis aussi très attaché à mes origines wallonnes et picardes.» Grâce à son grand frère et ses amis, il tombe très tôt dans le rap français. «A 9 ans, j’écoutais Puisqu’il faut vivre de Soprano, qui est quand même un album qui parle notamment de suicide.»

Dans le quartier social où il grandit, la musique devient ainsi l’une de ses deux «bulles libératrices». L’autre est la lecture et l’écriture. Il y a ce prof de français qui encourage le gamin à écrire. Puis aussi cette bibliothécaire qui a le don de cerner les goûts du kid. «Je me suis mis à lire des bouquins à la pelle. Autobiographie d’une courgette reste une de mes lectures les plus marquantes. J’ai avalé une tonne de romans d’aventures qui mettaient souvent en scène des enfants. La série Cherub m’a valu mes premières nuits blanches. Jusqu’en deuxième ou troisième secondaire, j’ai vraiment cru très sérieusement que j’allais devenir un super-héros.»

Pour Superman, c’est peut-être raté. Même si Youssef Swatt’s a un côté Clark Kent. Tiraillements compris. Par exemple quand, plus tard, il tente et réussit l’examen d’entrée en réalisation à l’Insas, avant de laisser tomber. «Au dernier moment, j’ai flippé. Je me disais: « Tu crois vraiment que c’est avec une caméra que tu vas t’en sortir? »» Sur l’album Poussières d’espoir, il rappait déjà: «Le poids des miens sur mes épaules / quand je marche il faut que je me concentre / Je leur offrirai des diplômes.» Le fils de chauffeur de bus choisira donc finalement la pub et le marketing, histoire «de faire de l’argent, vite et beaucoup, pour se mettre à l’abri». Il s’inscrit dans une école privée, 7 000 euros l’année – «la mise du siècle». Quand il entend les fils de bourgeois chahuter au cours, il sort de ses gonds: «Contrairement à eux, je ne pouvais pas me foirer, je n’avais pas un père qui allait financer ma start-up.»

© National

Plus que jamais, la musique devient une soupape, l’exutoire qui donne le sens qu’il ne trouve pas ailleurs. C’est encore le cas sur Pour que les étoiles brillent, disque qui oscille entre rage et spleen, où même les histoires d’amour n’échappent pas à la mélancolie – notamment dans Etoile filante, avec Coline et Toitoine, le duo électropop dont il est devenu le manager. Il est surtout l’album d’un jeune homme pressé, hanté par la peur de louper le train «Comme écrit Yasmina Khadra, il n’y a rien de pire qu’une gare fantôme…» – et celle de ne pas avoir le temps de mener tous les combats de front – familiaux, sociaux, politiques, etc. Comme quand il fait rimer Aïd et Adélaïde sur Remonter le temps, et avoue: «J’aurais pu prendre le temps / De m’engager pour le climat.» «Je suis entouré de gens très impliqués. Adélaïde (NDLR: Charlier, figure de proue des grèves étudiantes en Belgique) est devenue une amie proche. Quand elle parle, elle donne envie de monter aux barricades et de se mobiliser.»

On l’a compris: pour celui qui donne régulièrement des ateliers d’écriture en milieu carcéral, psychiatrique ou d’aide à la jeunesse, le fond compte au moins autant, sinon plus, que la forme. Quitte à traîner l’image, pas complètement injustifiée, de rappeur «conscient». Il tend même volontiers le bâton pour se faire battre quand il intitule l’un de ses morceaux Le rap est mort. «C’est mon côté aigri, vieux tonton chiant (rires). Je suis nostalgique d’une époque que je n’ai pas vécue…» Sur le premier couplet, il rumine: «Ils aiment bien quand ça bouge, quand tu dis que chez toi ça tire / Ils ont du mal avec ceux qui ont des choses à dire.» Mais il finit quand même par avouer plus loin: «Mais au fond j’suis fier / De voir que ce que le rap est devenu frère.» «J’ai connu l’époque où l’on regardait le rap de haut. C’est nettement moins le cas aujourd’hui. Donc, je ne peux que me réjouir. Mais ce n’est pas farfelu de dire qu’une partie de cette culture, celle qui fonctionne le mieux actuellement, fait aussi la promotion de choses qui devraient poser question, comme la misogynie, la drogue, les armes, etc. Il ne s’agit pas de créer des tribunaux pour juger de ce qu’on peut dire ou pas dans un morceau. Chacun a sa conscience. Moi, je sais ce que je veux apporter. De toute façon, si je tournais un clip où je jouais les gangsters avec des bouteilles d’alcool, je n’oserais plus rentrer dans ma famille (rires).» La pression des siens…

Youssef Swatt’s, Pour que les étoiles brillent, dist. par E47. Le 28/08 aux Solidarités, Namur.

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