Polyphonic Size, la comète européenne

Polyphonic Size: France et Kloot Per W, 1981. © via beyondpolyphonicsize.wordpress.com
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

À l’occasion du lancement de l’application Belgium Underground et en collaboration avec PointCulture, Focus revisite durant 10 épisodes l’histoire de 10 albums marquants même si parfois méconnus de l’underground belge. Chanson française, synth-pop, électronique de salon, post-rock et garage-punk mélodique au menu. Episode 2: Walkin Everywhere de Polyphonic Size, sorti sur une filiale de Virgin France en 1984.

« Je nous vois comme un minuscule grain de sable dans La Grande Muraille de Chine de la musique. On a essayé de montrer une autre voie, de ne pas tomber dans la « popasse », la routine… Construire quelque chose de nouveau. Dans cette optique, c’est normal de se retirer quand on estime avoir dit tout ce qu’on avait à dire », déclarait en 2009 Roger-Marc Vande Voorde, le chanteur de Polyphonic Size, à pop-rock.com, un site obscur aujourd’hui inactif. Officiellement, l’histoire tourmentée du groupe a pourtant duré de 1979 à 1991 (et a repris en 2011) mais si on en croit Vande Voorde, ça aurait donc pu et dû se terminer nettement plus tôt: « Polyphonic Size, il faut le prendre du premier EP (1979) au premier album, Live for Each Moment/Vivre pour chaque instant (1981). Le deuxième est une catastrophe et après, c’était déjà fini. »

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Sorti en janvier 1984 sur Clouseau Musique, une filiale de Virgin France, Walkin Everywhere, ce fameux deuxième album, est pourtant loin, très loin, d’être mauvais. Moins crâneur que Taxi Girl et forcément plus stylé qu’Indochine, Polyphonic Size y navigue comme eux entre chanson française, rock et new-wave, spleen et révolte, citations d’oeuvres littéraires, cynisme et sensibilité post-punk. Sans en atteindre les sommets, pas toujours du moins, le disque reste bien dans la continuité du chef d’oeuvre Vivre pour chaque instant; très accessible mais jamais franchement pop, majoritairement chanté en français mais sans l’habituelle balourdise frenchie. « Edgy », comme disent les Anglais, un peu bizarre, et selon les propres termes de Vande Voorde, c’est justement ce qui faisait l’essence de Polyphonic Size: « sortir du neuf, du zarbi, n’ayant aucune base sur laquelle se reposer. Les concerts à la Genesis dégoûtaient, le punk était moins crédible mais les synthés et les boîtes à rythmes, c’était une voie ouverte… »

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L’une des influences majeures de Polyphonic Size était Euroman Cometh, l’album immensément culte sorti en 1979 par Jean-Jacques Burnel, le bassiste franco-anglais des Stranglers. Sur la pochette, comme il se doit vêtu de noir de la tête aux pieds, le karatéka du punk y pose devant l’entrée du Centre Pompidou à Paris, bâtiment encore relativement futuriste à l’époque de la photo. Celle-ci illustre parfaitement le concept du disque: un futur qui promet des lendemains intéressants (fuck le no-future punk, donc) incarné dans une musique essentiellement européenne, qui tente de se défaire de son héritage blues-rock américano-britannique en s’aventurant du côté des synthés et des textes mêlant différentes langues; en l’occurrence l’anglais, l’allemand et le français. Jean-Jacques Burnel ne reste pas qu’une simple influence parmi d’autres (Devo et Kraftwerk) pour Polyphonic Size. Sans trop croire à une suite favorable, Vande Voorde contacte le Strangler pour lui présenter des maquettes de chansons et les deux hommes deviennent amis. Mieux, Burnel intègre pleinement l’histoire et la légende de Polyphonic Size. Il produit le groupe, chante les morceaux les plus emblématiques du répertoire (Winston & Julia, Je t’ai toujours aimée…), y joue de la basse, donne des idées, compose… En fait, il vampirise bien un peu le projet, qu’il dit considérer comme un « laboratoire musical », probablement surtout le sien.

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Avec Burnel dans le rôle de Victor Frankenstein, Walkin Everywhere s’enregistre en 1983 à Cambridge, en Angleterre. Vingt-cinq ans plus tard, Vande Voorde considérait toujours cet album comme une erreur monumentale: « Ça a dérapé notamment pour des histoires de drogue, pour d’autres choses aussi. Il y a eu une jalousie monstre entre Jean-Jacques Burnel et Kloot Per W qui a fait que ce deuxième album reste inachevé. » En fait, il manque surtout de guitares, Burnel ayant tout simplement interdit les sessions d’enregistrement au guitariste Kloot Per W. Dans un certain sens, c’était logique. À la base, Polyphonic Size n’a jamais été considéré comme un véritable groupe mais plutôt comme « un concept de rock électronique à biographie variable ». On n’est pas chez The Fall et ses 43 membres licenciés en 30 ans mais le personnel y preste selon les besoins, les envies et traverse aussi quelques crises, les bagarres d’égos étant régulières. Polyphonic Size est avant tout le projet de Roger-Marc Vande Voorde, né à Charleroi en 1959, mais celui-ci ne chipote pas longtemps seul dans son coin, s’entourant très vite de personnalités fortes. Il n’écrit pas non plus les textes, qui sont l’oeuvre de Dominique Buxin, un parolier de l’ombre qui ne monte jamais sur scène mais que beaucoup considèrent comme le seul génie du groupe, un digne héritier de Boris Vian, Serge Gainsbourg et Jacques Lanzmann. D’autres fortes têtes, comme le guitariste Kloot Per W, Daniel B de Front 242, quelques cadors du post-punk bruxellois et sur la fin, Daniel Darc en personne, font eux aussi partie de l’histoire. Une histoire généreuse en embrouilles, en anecdotes parfois carrément pathétiques, qui minent peu à peu le groupe. Déçu par Walkin Everywhere, Virgin France va par exemple carrément flinguer Polyphonic Size, qui se retrouve embourbé dans une bagarre légale durant laquelle il lui est interdit de sortir de nouveaux morceaux (beaucoup d’enregistrements d’époque restent à ce jour toujours inédits).

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« On avait beau être souvent nuls, on avait l’énergie pour nous porter », résumait Vande Voorde en 2009, ne se doutant pas encore que Polyphonic Size reprendrait du service deux ans plus tard, avec Jean-Jacques Burnel en impeccable guest-star, le temps de quelques concerts survoltés. Aujourd’hui, le groupe existerait dans une énième incarnation, avec Mika Nagazaki de Ghinzu et des membres des Vedettes. On n’en attend pas forcément grand-chose, sinon une éventuelle joie simple. Les sensations vénéneuses et les troubles profonds, c’était de 1979 à 1984 et ça ne reviendra pas. La véritable comète européenne, c’était alors, c’était eux.

Belgium Underground, la nouvelle application de PointCulture, est disponible sur iOS et Android. Infos et téléchargement: www.belgium-underground.be

>> Lire également: L’appli Belgium Underground, l’autre Sound of B.

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