Vidéo | Musique

Pierres: les dessous d’un clip au poil

Kevin Dochain
Kevin Dochain Journaliste focusvif.be

Le Bruxellois Pierres continue de dérouler son univers dada avec une nouvelle chanson autotunée et décomplexée, Mardi matin, assortie d’un clip qui mêle voyeurisme et pudeur. On en parle avec le principal intéressé.

« Retrouvailles de divers Pierre d’un même Pierre qui se connaissent depuis toujours sans jamais avoir encore envisagé la montagne », Pierres est surtout le projet belge le plus outrageusement farfelu qu’il nous ait été donné d’écouter ces dernières années. Du genre qui loue les vertus de l’oisiveté en plein confinement, kidnappe ses amis autour du feu, ou encore se fait harceler en rue pour cause d’énorme tattoo. Bref, ça part dans tous les sens, tant musicalement que du côté des thèmes abordés, mais avec toujours comme fil conducteur une légèreté à toute épreuve qui n’est pas sans cacher quelque chose de plus profond.

Soit. Pour illustrer son nouveau titre Mardi matin, rêverie gonflée à l’autotune, Pierres fait à nouveau appel au réalisateur Nicolas Van Ruychevelt, qui avait déjà réussi à magnifier son univers par le passé (Le Soir). Une « étude sommaire de l’instant qui suit l’acte charnel un mardi matin, entre dodo et métro boulot, songe et réveil, volupté de l’intime et âpreté du dehors » dont les paroles aussi crues que tendres demandaient naturellement de mettre en scène des corps nus. Défi relevé avec beaucoup d’humour et sans une once de perversité: voilà qui valait l’occasion d’un Zoom avec Pierre Leroy…

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Le fait de tourner nu, c’est un sacré défi. Comment est-ce qu’on s’y prend pour instaurer un climat de confiance?

C’était une grosse expérience. La plupart d’entre nous n’avaient jamais fait ça. Pendant les répétitions, on met en place les figurants, on reste tous habillés, et à un moment donné, on se dit qu’il va falloir faire les choses correctement (rires). La première fois qu’on a tiré mon short (puisqu’on ne me voit pas le faire), il y a eu comme un pouf de rire sur le plateau. Finalement, c’est comme si l’ensemble était désexualisé. C’est du travail, on est là avec beaucoup de bienveillance. Il n’y a pas de séduction comme ce qu’il pourrait y en avoir dans la « vraie vie ». Ça s’est hyper bien passé. Le réalisateur avait fait gaffe à n’avoir presque que des filles dans son équipe technique, ce qui permettait d’avoir un équilibre sur tout le plateau. Ça permettait aussi une atmosphère plus bienveillante à l’égard de toutes et tous. Il y a eu pas mal de questionnements. Pour le clip d’Un énorme tattoo, ou Le Soir, je n’avais qu’à envoyer un message à tous mes potes, et ceux qui étaient là venaient. Tandis que là, j’ai essayé d’avoir des copains, mais c’était plus subtil comme demande (rires).

Il y a beaucoup de visages qui reviennent de clip en clip, ce qui donne un côté « familial » au projet…

J’aime bien mettre des visages sur Pierres. Même si ce ne sont que des potes qui ne font rien d’autre qu’apparaître. J’aime qu’ils fassent presque partie de l’identité de Pierres. C’est important pour moi. Étant solitaire dans le projet, je voulais être entouré. Ça me rassure.

Comment passer outre la censure, comment montrer des corps nus sans les montrer?

D’où vient l’idée de faire un clip nus? La chanson l’imposait?

Les corps nus, c’était presque une évidence, avec la chanson. J’ai parlé de mon idée à Nicolas (Van Ruychevelt, le réalisateur, NdlR). Le plan séquence/reverse, tout ce mécanisme. On a discuté de plusieurs choses, notamment de la question de la censure. Comment passer outre, comment montrer des corps sans les montrer? C’était un travail avec lui sur toute la chorégraphie. Il y avait un équilibre à trouver entre le voyeurisme et le côté jouette. Je voulais ce côté « enfants qui font comme les adultes mais qui ne le font pas ».

En un an, tu es le deuxième Belge à montrer des corps nus dans un clip, après le très réussi See You Naked d’Annabel Lee. Ça a un côté très beau, libre. Aujourd’hui, on se décomplexe de certaines choses?

Dans le projet Pierres, il y a toujours eu une envie de se décomplexer, de s’en foutre avec un côté très léger. Mais je vais t’avouer un truc: j’aime bien me mettre tout nu. Pour l’expérience, et pour qu’on se marre (rires).

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Il y a aussi une symbolique très forte tout au long du clip. Pourquoi les mains bleues, par exemple?

Dans tous les clips, il y a des mains bleues. Il y a des idées qui viennent comme ça, en intuition. Je les prends et je les mets en forme. Et leur signification vient par après. Quand j’ai commencé Un énorme tattoo, je ne savais pas du tout pourquoi il y avait les mains bleues, pourquoi un mec portait une plante, mais je me suis dit: « on va laisser aller, on va voir où ça se met ». Et finalement, j’ai trouvé des significations à ça, mais qui viendront peut-être plus tard dans des clips. Ce qui fait que ce projet a un côté rhizomique, au sens deleuzien: il n’y a pas vraiment de racines, mais tout se mêle bien. Ces histoires d’échos, de retours, de clins d’oeil, c’est quelque chose que j’aime beaucoup. J’adore les univers de mise en abîme de Quentin Dupieux. On ne comprend pas très bien au niveau chronologique, on ne distingue plus vraiment réalité et fiction. C’est quelque chose qui me passionne. Donc ces mains bleues n’avaient pas vraiment de signification au départ, mais maintenant, il va y en avoir. Ça va venir petit à petit.

Le tattoo aussi, forcément. Tu t’es fait une décalcomanie géante?

À chaque fois, c’est un différent.

Il faudra te le faire en vrai, un jour!

C’est ce qu’on me dit. Mais si ça tombe, je l’ai déjà… Non, je suis grillé (rires). Même chose: Un énorme tattoo, c’était au départ une chanson qui est partie de n’importe quoi, puis je me suis dit que ça représentait le projet Pierres qui fait partie de moi maintenant, duquel je ne peux plus me détacher.

C’est quelque chose qui revient beaucoup dans ton projet: du n’importe quoi au départ qui, in fine, est porteur de beaucoup de sens. Tant dans les paroles que dans la musique. Par exemple, sortir une sonnerie de téléphone avec l’intro un peu cheap de ce Mardi matin, qui au final porte le morceau, c’est du même ordre, non?

Oui, toujours ce truc de décomplexion: on ne se pose plus de questions et on fonce. Cette chanson, c’est parti d’un mot: « bourses molles ». Sur cette base-là, plusieurs musiciens devaient bosser un morceau, chacun de leur côté. Certains ont parlé de thunes, moi du sexe. C’est presque en une après-midi que c’est venu. Je pense que c’est une force du projet: ne plus se poser de questions, même au niveau de la communication, qui est quelque chose de très libre. En même temps, j’essaie de le maîtriser, mais ça se fait peut-être par après. On part d’impulsions. Comme en improvisation.

La réalisation du clip est très maîtrisée et pose beaucoup de questions, avec ce plan séquence qui revient en arrière.

Au départ, quand j’ai expliqué l’idée à Nicolas, il n’avait pas tout compris. Mais oui, le tournage est très différent de ce qu’on voit à l’écran. Ça a été bizarre à faire: on l’a tourné avec la chanson déconstruite, on a fait un patchwork. On n’en disait pas trop aux figurants, sinon ils n’allaient rien comprendre. Ce qui est drôle, c’est le décalage entre le tournage et le résultat final.

Le fait de te réapproprier des codes rap, avec de l’autotune dans quelque chose qui est plus proche de la chanson, c’est assez iconoclaste. D’où te vient l’idée de faire ces mélanges?

L’autotune, je l’ai découvert avec Logic Pro. Je me suis rendu compte que c’était un instrument à part entière. Tu peux savoir chanter et utiliser de l’autotune, ce n’est pas du tout antinomique. J’ai découvert une façon de chanter dessus, et je trouve ça fascinant. Il y a des morceaux que je n’aurais pas pu faire sans autotune, parce que ce n’est pas la même texture. À nouveau, on teste des choses. Ce qui est peut-être un peu perturbant, c’est qu’entre Le Soir qui est une bossa, et cette chanson-là, il n’y a pas vraiment de rapport. Il y a peut-être une appréhension de perdre du monde en route, mais il faut s’accrocher.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content