Pete Doherty: « À notre premier concert belge, on s’était sentis jugés. Je m’étais pris une bière quasi dans la tronche. »

"Je ne sais pas si ma vie est triste. C'est une question intéressante. Elle est quelque part tragique. À te briser le coeur. À 40 balais, certains se pendent. Moi, je vais aller enregistrer à Margate..." (Pete Doherty, ici avec ses Puta Madres à Étretat) © Thibault Leveque
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Ingérable mais pas trop, Pete(r) Doherty sort un album de cowboy plein de violon avec un nouveau groupe, The Puta Madres, et parle de sa vie à Margate, de country, des Libertines et de leur avenir.

Début d’après-midi. Radisson Blu. Au coeur de Bruxelles. Chapeau, costard, visage bouffi marqué par les excès et démarche déjà titubante, Peter Doherty ne passe pas inaperçu tandis qu’accoudé au bar, il commande sa tequila sunrise. Fidèle à lui-même, souriant, sympa, bien déglingué, le Libertine fait un sourire à l’un, adresse un clin d’oeil à l’autre. Trois jours plus tôt, Pete le survivant fêtait ses 40 ans à Margate. Et plus précisément à Cliftonville, petite ville côtière dans le sud-est de l’Angleterre. C’est là qu’à l’automne 1921, lors d’un séjour en convalescence, T.S. Eliot trouva l’inspiration pour La Terre vaine (The Waste Land), classique de la poésie anglo-saxonne. C’est là aussi que les Libertines ont aménagé leur tanière. Dans un hôtel proche de la mer qui faisait grincer des dents les utilisateurs de TripAdvisor et était même considéré comme l’un des pires du Kent. Outre des piaules, les anciens enfants terribles du rock anglais, qui en bons entrepreneurs ont vendu 125 livres la brique personnalisée à leurs fans, y ont installé un studio d’enregistrement. « Il va s’appeler The Albion Rooms. Et le bar en dessous, le Waste Land. Il appartient à Carl (Barât, NDLR). Il a obtenu sa licence maintenant pour vendre de l’alcool. »

Comme il y a élu domicile, Doherty s’y serait bien vu y fabriquer son disque. « C’était l’endroit parfait. Mais Carl a dit: « Le premier album qu’on enregistrera ici, c’est le prochain Libertines » (prévu cette année). Donc, on ne pouvait pas bosser là avec les Puta Madres. Énervé, j’ai pissé sur tous les bureaux. Ouais, je l’ai fait. C’était une très mauvaise idée. Parce que l’urine s’est infiltrée partout. Ça sentait vraiment la mort. L’assurance n’a pas payé les réparations. 80.000 livres… »

Pete ou Peter, appelez-le comme vous voulez, ne quitte quasiment plus Margate. Il y a même une petite galerie d’art où est exposé son travail. « Honnêtement, les drogues n’y sont pas chères et restent de bonne qualité. On a beaucoup d’espace là-bas. C’est super pour moi et mes chiens. Tu as de grandes plages et il s’y passe plein de trucs sur le plan culturel. Des concerts, des fêtes, des projections… C’est le bout du monde mais c’est incroyable et surtout pas cher. Les artistes peuvent encore y trouver des lieux où s’installer à prix abordables. »

Une interview avec Doherty, c’est toujours sacrément décousu. Avec le journaliste précédent, le Libertine avait donné un coup de fil au mec qui garde ses clébards. « Tu veux un rhum? Vous avez du Diplomatico? On se fait une petite ligne de cocaïne? » Alors que papy et mamy, à la table d’à côté, nous regardent éberlués, le bonhomme recharge son verre avec de petites flasques qu’il a déposées sur la table. « Tu ressembles à un acteur. On te l’a déjà dit? Tu as un truc de gangster italien. Tu es beau hein. Il faudrait juste que tu t’achètes un costume. Regarde le mien. Je l’ai reçu hier. On me l’a offert à Cologne. La totale. La chemise, le pantalon, le veston, la cravate, le chapeau… La classe hein? C’est un Danois qui me l’a filé. En fait tu ressembles au mec dans Taxi Driver… » « Robert De Niro? » « Ouais, voilà. Un croisement entre Robert De Niro et Jim Carrey. D’ailleurs je vais t’appeler Jim De Niro ou Robert Carrey. C’est toi qui choisis. »

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Enregistré avec Dan Cox (Laura Marling, Thurston Moore, Florence and the Machine…) et mixé par son manager et pote de secondaire Jai Stanley, Pete Doherty & The Puta Madres est le premier disque du bonhomme depuis 2016 et le passable Hamburg Demonstrations. « D’où ça vient les Puta Madres? Sorry mec, mais je réponds à cette question depuis trois jours. De Puta Madre est le nom d’un groupe mythique de hip-hop belge? Non. Jamais entendu parler. J’étais dans un studio à Barcelone. L’un des meilleurs. Et Rafa n’arrêtait pas de répéter: De Puta Madre, De Puta Madre… Ça sonnait bien. Ça sonnait mal. Ça sonnait médiocre. Il savait jouer de la batterie. Faisons une jam. Je déteste ce mot « jam ». Mais je l’ai utilisé quand même. On a fini par faire un disque. »

Peter Doherty et The Puta Madres a vu le jour dans une bicoque familiale surplombant Étretat, station balnéaire de Normandie jadis village de pêcheurs. « La baraque appartenait à la mère de Katia, mon ex. Elle a sept frères et soeurs. Après la guerre, il y avait deux familles qui y vivaient. Ça semble grand maintenant. Mais c’était la pauvreté à l’époque. » Katia est la fille de Jean-Paul De Vidas, producteur de cinéma proche de Claude Lelouch. « Je me sens comme un gamin quand je suis en France. Vraiment. J’ai vécu un temps du côté de Melun. Un bled anonyme. Quarante minutes de Paris. J’ai mon permis de conduire et un petit mobil-home. Le 7e art français? J’adore Quai des brumes et Le Diable probablement de Robert Bresson… » Fortement teinté de violon, le nouvel album de l’Anglais sonne toutefois plus américain qu’autre chose. La musique traditionnelle du fin fond des États-Unis… « Je suis un country boy, mec. Enfin, je ne suis pas vraiment un country boy. Mais cette musique est dans mon coeur. Hank Williams, Johnny Cash et surtout Billy Hughes. Billy Hughes, c’était un tueur. Écoute Cocaine Blues par Billy Hughes. Formidable. Ce n’est pas encore la version originale, qui est de T.J. « Red » Arnall… 1947. » Le nouveau quadra a l’air à l’ouest, renverse la moitié de son burger sur son beau costume et étale la sauce sur sa manche pour tenter de la faire disparaître mais il sait encore ce qu’il raconte. Il se met à chanter. « Early one morning while making the rounds… Johnny Cash en a signé une version très personnelle mais ce n’est pas la meilleure. Je me suis pas mal plongé là-dedans. Burl Ives aussi… Ghost Riders in the Sky. (Il se met à fredonner). Ça a un truc particulier dans l’âme. Ce sont de jolies mélodies avec des histoires complètement dingues et des gens magnifiquement fous. C’est comme si tu me demandais pourquoi j’aime Jack Kerouac. Kerouac est devenu un cliché mais si tu l’écoutes lire son travail, c’est incroyable. C’est fantastique. Un auteur formidable. De la grande littérature… »

Money money money

Doherty s’enquiert de notre équipe de foot préférée et explique être récemment retourné au stade de QPR, son club de coeur. « Mon oncle est mort et ses cendres ont été répandues sur le terrain. C’était juste après Noël. Maintenant, je vais voir le FC Margate (les Libertines en sont le sponsor maillot). C’est marrant, c’est là que mon manager, Jai, a disputé sa première rencontre. On est allés à l’école ensemble. » Toujours enclin à passer du coq à l’âne, il raconte avoir insisté pour faire installer un tourne-disque et une machine à écrire dans toutes les chambres de The Albion Rooms. Il estime que l’Angleterre est bénie d’avoir des groupes comme Goat Girl et Sleaford Mods. La Fat White Family? « Ils sont OK. Ils écrivent de bonnes chansons. C’est un bon band. Mais comme personnes… Ils vont se faire planter un de ces quatre. Ils disent trop de trucs offensants… Dan Lyons, leur premier batteur, a un nouveau groupe. Il vit sur Margate maintenant. »

« De Puta Madre est le nom d’un groupe mythique de hip-hop belge? Non. Jamais entendu parler. » (Pete Doherty)© Thibault Leveque

Parenthèses faites, il s’épanche sur la reformation des Libertines, n’ose pas comparer le groupe qui est revenu à celui qui avait explosé en plein vol et se dit curieux de l’opinion des gens. « C’est dur de vieillir en tant que membre d’un groupe de rock mais c’est aussi compliqué en tant que fan, je pense. Comme artiste, c’était vraiment impossible comme situation. Mais j’avais besoin de fric. Qu’est-ce que tu peux faire? Money, money, money… En même temps, je suis sûr que ce n’était pas que pour ça. C’est ce qui était déjà mauvais au début, quand on a monté le groupe. « Allez, on fonce. On va être géniaux. On va être connus. On va gagner du pognon… » La reformation, ça été une affaire de promoteurs, de managers. Pete, tu dois 200.000 livres aux impôts… Qu’est-ce que tu veux que je fasse? Ils ont changé la loi en plus. Tu ne peux plus te mettre en faillite. Tu dois payer. Donc, on a dû relancer les Libertines. »

Le Velvet, Oasis et Graham Greene…

Le mec a gardé un souvenir étrangement précis de son tout premier concert en Belgique, au Witloof Bar, les caves du Botanique, en 2002, à l’époque de la bombe Up the Bracket. Un souvenir affreux. « Je me rappelle de tout. Je me souviens des colonnes. Je me souviens que j’étais déglingué. Je me souviens d’un mec dans la foule qui provoquait notre batteur Gary. Le concert de reformation (à Forest National en 2014, NDLR) était bien plus relax. C’était grand mais il y avait du monde et les gens voulaient entendre les chansons. Ils reprenaient les morceaux en choeur. Ils ont vu leurs héros. Enfin, il ont vu le mythe. Au premier, on s’était sentis jugés. Je m’étais pris une bière quasi dans la tronche. Ça avait été dur. En même temps, j’aime bien être attaqué. Pour moi, c’est un sentiment familier. Au-dessus, en dessous, devant, derrière, le monde entier… Mais plus la presse, non. Elle n’est plus intéressée. Les médias en Grande-Bretagne se penchaient sur mon cas quand j’étais associé à d’autres gens beaucoup plus célèbres que moi. Ces jours-là s’en sont allés. »

Sur Peter Doherty & the Puta Madres, on trouve notamment une chanson dédiée à son ami et compagnon de débauche Alan Wass, décédé en 2015 d’un arrêt cardiaque. Deux mois après avoir traversé une cloison en verre. « Il occupe tellement souvent mes pensées pour l’instant. J’écoute sa musique et je l’aime plus que jamais. C’est quand les gens disparaissent qu’on réalise ne pas avoir passé assez de temps avec eux. On avait des projets. On allait monter un groupe, The Travelling Tinkers, et donc, c’est le titre de la chanson. Elle est très particulière pour moi. C’est vraiment le ventre du disque. Son coeur. Tu ne pouvais pas tirer Alan vers le bas. Il tenait debout. Il tenait bon. Tout le temps. Je pense que je suis comme ça aussi. C’était un putain de dingue. Il me manque vraiment. »

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Si Someone Else to Be est présenté comme une réinvention de Ride Into the Sun du Velvet Underground et de Don’t Look Back In Anger d’Oasis, Who’s Been Having You Over? comprend un dialogue du Rocher de Brighton, l’adaptation cinématographique du roman noir de Graham Greene. L’histoire de Pinkie qui devient le chef d’un gang à seulement 17 ans lorsque meurt celui qui s’est chargé de son écolage. « J’aurais dû jouer dans le remake. Je suis né pour ce rôle. Qui sait? S’il y en a un autre… » Doherty sourit, semble dubitatif quant à son expérience dans le cinéma et Confession d’un enfant du siècle. « Je pense que je vais rester sur la musique. Il y a trop de films de nos jours, non? Tout est filmé? Tout le monde est devenu star de cinéma. Moi, je regrette les Edward G. Robinson, les Humphrey Bogart, les Kirk Douglas… »

Doherty a toujours beaucoup parlé dans ses textes d’Albion, nom poétique souvent donné à la vieille Angleterre, et d’Arcadie, pour lui le vaisseau menant à cette utopie de terre idyllique pastorale et harmonieuse. « Le Brexit, c’est l’anti-Arcadie. C’est la mort. L’Arcadie, ce serait la disparition des frontières. Perso, je crains le Brexit. Ça va déjà foutre en l’air mon groupe. Dedans, il y a deux Français, un Espagnol et une Japonaise d’Amérique… C’est la vieille génération qui a voté le départ de l’Union européenne. Si on devait retourner aux urnes maintenant, on gagnerait. 80.000 votants ont péri depuis ce référendum… Tous ces gens avaient plus de 80 balais. Ils sont morts. On les a enterrés. Ça fait 3%. Je ne sais pas ce qui va se passer. Mais le Brexit n’est pas l’Arcadie. L’héroïne et le crack sont plus l’Arcadie que le Brexit. »

Au moment de dire au revoir, en sursaut, après s’être endormi une poignée de secondes, Pete entonne une chanson de Dad’s Army, une série britannique sur la Seconde Guerre mondiale… « Who do you think you are kidding mister Hitler? If you think old England is done. We are the boys who will stop your little game. We are the boys who will make you think again. » Sacré Doherty…

« Peter Doherty & The Puta Madres »

Distribué par Strap Originals/Konkurrent. ***

Les premiers accords de guitare sont reconnaissables entre mille. La voix se fait toujours aussi brinquebalante, sincère et désarmante. Pete Doherty a une griffe inimitable mais ce n’est pas cette fois-ci que le Libertine (dont il y a des relents un peu partout) habille ses chansons de la plus excitante façon. Trop souvent, le violon de Miki Beavis coupe l’élan et donne l’impression de se promener dans les musiques traditionnelles autour d’un feu de camp. Mélancolique, folk, country, blindé de ballades, Peter Doherty & The Puta Madres est le disque assez inégal (Paradise Is Under Your Nose, chanté avec son guitariste Jack Jones, est insoutenable) d’un poète maudit, d’un héros cramé et d’une rock star turbulente musicalement apaisée. Fuck forever.

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